Préface


Ferdinand Brunot, linguiste illustre surtout pour une Histoire de la langue française en plus de vingt volumes, monument qui n'a d'équivalent pour aucune autre langue, a montré de diverses façons qu'il ne s'intéressait pas seulement au passé, mais qu'il était aussi attentif à la langue contemporaine et aux techniques nouvelles. C'est ainsi qu'il a créé à Paris en 1911 le Musée de la parole, grâce à des appareils fournis par la maison Pathé. Les buts étaient variés, scientifiques, pédagogiques, etc. Les performances des ancêtres que sont le gramophone et le phonographe nous font sourire. Mais l'initiative a permis de conserver des témoignages sur des langages dont la disparition n'a fait que s'accélérer depuis, les dialectes, et des voix qui se sont éteintes peu d'années après. Ce qui avait été fait pour les artistes de l'Opéra, l'a été pour des personnalités diverses, le pape, des hommes politiques, des écrivains. Parmi ceux-ci, non pas seulement ceux qui étaient reconnus par tous, les académiciens et les académisables, mais aussi pour des gens de l'avant-garde, comme Guillaume Apollinaire. Autre preuve de la modernité de Brunot.

Sur le principe, il est difficile de ne pas être d'accord : la voix est une part importante de la personnalité. Les r vigoureusement roulés par Colette montrent que, devenue Parisienne, elle n'a pas perdu, elle ne pouvait pas perdre, tout ce qu'elle avait de bourguignon. L'intérêt est aussi historique. La façon dont Sarah Bernhardt déclamait a des rapports avec les conceptions théâtrales du temps ; la psalmodie d'Apollinaire surprend pour une poésie si éloignée de la rhétorique.

C'est avec enthousiasme que j'ai appris l'initiative prise par l'Association pour la promotion de la francophonie en Flandre et réalisée grâce à la collaboration des Archives et Musée de la littérature ; ce dernier, essentiellement musée de l'écrit, a des collections remarquables et une organisation qui met ses richesses à la disposition des chercheurs.

Le XXe siècle est derrière nous. C'est sur un site internet que nous sont proposés, à l'occasion de La langue française en fête, huit enregistrements, auxquels de mois en mois s'en ajouteront d'autres pour nous offrir au total en décembre une anthologie de trente-deux auteurs.

Entre ces huit premiers, les différences sautent aux yeux, et d'abord l'origine géographique, le Bruxellois Roger Kervyn faisant par son langage même le lien entre Wallons et Flamands, et par son itinéraire capricieux et son œuvre admirable Liliane Wouters, membre à la fois de l'Académie de langue et de littérature françaises et de l'Academie voor Nederlandse Taal- en Letterkunde. Cette réunion est constante dans notre Académie de langue et de littérature françaises, et ce n'est pas simple coexistence ou cohabitation. Il me plaît de rappeler, notamment, l'amitié entre les ardents francophiles, parfois très engagés politiquement, Albert Mockel, Marcel Thiry, Charles Bertin, Joseph Hanse et, respectivement, Charles Van Lerberghe, Suzanne Lilar, Paul Willems, Roland Beyen.

Il est toujours permis de rêver, et notamment à un apaisement des passions et à la disparition d'un complexe d'infériorité que plus rien ne justifie. Les Maeterlinck, les Verhaeren, les Elskamp, loin de nuire à leur communauté, l'ont fait connaître, parfois dans le monde entier : Toute la Flandre a été chantée par Verhaeren devant ce vaste auditoire, et le seul prix Nobel de littérature accordé à un Belge le fut au Gantois Maeterlinck.

 

ANDRE GOOSSE
Secrétaire perpétuel de l'Académie royale
de langue et de littérature françaises

 


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