Nouvelles de Flandre
Carte blanche: Liban: des (dés)illusions à l'État de droit

Cela fait plus de 45 ans que le Liban se tient au bord du gouffre. Depuis le début de la guerre civile, qui a constitué un tournant dans l'histoire de ce pays, le Liban a vu l'exacerbation du confessionnalisme et des formes de clientélisme que la classe politique cultivera par la suite.

Au lendemain de 15 ans de confrontations sanguinaires, les chefs de la guerre civile ont troqué leurs uniformes contre des costumes et cravates, se transmuant en chefs politiques. La guerre, qui hante encore le quotidien de ceux qui l'ont vécue a été passée sous silence: le peuple a fait le choix délibéré de l'amnésie collective consolidée par l'absence d'une volonté d'écrire l'Histoire.

Depuis, le Liban a inauguré le règne de l'équilibre de la terreur, qu'il a masqué par des slogans et des symboles: "le vivre ensemble", "la mosaïque confessionnelle", "la coexistence", etc. Une langue de bois qui rend compte d'une pluralité qui s'est malheureusement toujours révélée handicapante car incessamment politisée. L'impunité est devenue une norme et l'équation privilégiée de la classe politique s'est imposée: il n'y aura ni vainqueur ni vaincu, mais un départage quasi-égalitaire du pouvoir entre confessions et factions politiques.

Des tentatives désenchantées

A chaque tentative de soulèvement dans l'histoire du Liban, l'échec était au rendez-vous. On se souviendra toujours du 14 mars 2005, qui a nourri le rêve de pouvoir changer le système et de libérer le pays du joug de l'occupant. Mais le 14 mars 2005 était trop beau pour être vrai...

L'échec cuisant de ce qui fut décrit comme le plus grand rassemblement de l'après-guerre favorisa un sentiment de désenchantement et d'incapacité, qui explique d'ailleurs le découragement du peuple face à toute tentative de soulèvement ultérieure... Jusqu'à l'avènement du 17 octobre 2019.

Ce qui fut baptisé "la révolution d'octobre" en dépit de l'inadéquation du mot "révolution" avec la nature du soulèvement a offert un moment d'espoir pour ceux qui sont restés et une raison pour revenir pour ceux qui sont partis. A la différence de tout ce qui l'a précédé, nous avons pensé que ce mouvement aurait enfin pu briser les tabous, désacraliser la figure du zaïm et rapprocher un peuple plus divisé que jamais.

Mais le soulèvement s'est rapidement essoufflé, miné par l'incohérence des demandes, l'absence d'une feuille de route commune et la politisation de certaines parties.

Repenser le Liban

J'avais 3 ans quand ma mère m'a fait participer à ma première manifestation vers la fin de la guerre civile. Ma première année d'université a été marquée par le rêve et la désillusion du 14 mars 2005. Le 17 octobre 2019 m'a redonné l'espoir puis le désespoir de pouvoir ébranler le système sclérosé. Puis, il y a eu le 4 août 2020, le choc, la colère et la rapide descente aux enfers.

Pour moi, il est désormais impossible de vivre de la même façon, de faire les mêmes choix en s'attendant à des résultats différents, de plonger dans l'amnésie et l'indifférence, de s'attacher au passé et d'avoir une peur constante de l'avenir. Il ne s'agit plus de rafistoler le système effrité pour repousser l'inévitable, mais de passer de l'illusion de la démocratie consensuelle fondée sur le confessionnalisme à une véritable démocratie, et ce en lançant les assises d'un État de droit au vrai sens du terme.

Cet État de droit, fondé sur une valorisation du système judiciaire libéré de l'emprise politique, constituera la seule soupape de sécurité pour nous, citoyens libanais, supplantera le zaïm, le clan, le parti, la confession, la tribu, bref le système féodal traditionnel, et débouchera sur la possibilité d'envisager un Liban laïque.

La transition sera pénible, longue, mais pas impossible_: une transition des slogans vers l'action, de la langue de bois vers le pragmatisme, de l'impunité vers la justice, des (dés)illusions vers la prise de conscience...


Pascale ASMAR
Linguiste, scénariste et productrice de films


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