Nouvelles de Flandre
Napoléon et la langue française (3/3)
Organiser l'administration, l'université et le Code civil en français

L'emploi de la langue nationale réduit l'usage des dialectes et des patois, restés vivants dans le Midi, et participe à la centralisation du pouvoir de l'Empereur. Sans lui rendre son nom, Napoléon fait renaître l'Académie française, supprimée en 1793.

L'administration en français

En poursuivant son œuvre de centralisation, le régime napoléonien fait progresser l'usage de la langue nationale. En France, il n'y a désormais qu'une administration uniforme, semblable de Strasbourg à Bordeaux. Ses fonctionnaires, appartenant tous à un cadre unique, sont envoyés au hasard des places disponibles de poste en poste, qu'ils soient préfets, magistrats, percepteurs, gendarmes ou agents voyers. Naturellement, ils n'administrent et ne remplissent leurs paperasses qu'en français. Leurs guichets, déjà peu avenants, se fermeraient impitoyablement à celui qui serait incapable de s'expliquer en français.

En matière administrative, comme dans la Grande Armée, l'Empereur use d'un langage très direct. Ainsi, de Schönbrunn, le 21 août 1809, écrit-il au préfet du Var: "Monsieur le préfet, J'apprends que des incendies ont éclaté dans les forêts du département dont je vous ai confié l'administration. Je vous ordonne de faire fusiller sur le lieu de leur forfait les individus convaincus de les avoir allumés. Si ces incendies se renouvelaient, je veillerai à vous trouver un remplaçant." Signé Napoléon Empereur.

L'enseignement et l'Université impériale

Ni le premier Consul ni l'Empereur n'attache de l'importance à l'instruction primaire. Celle des filles est laissée aux familles. Celle des garçons n'est organisée, sur le papier, qu'en novembre 1811. Napoléon ne s'occupe que de l'enseignement supérieur. Afin de répondre à ses corrections très dures, Fourcroy réécrit 23 fois le texte législatif qui instaure l'Université impériale, le 10 mai 1806, et donne à l'Empereur le monopole de l'enseignement. Deux ans plus tard, Napoléon crée l'ordre des Palmes académiques afin de récompenser, par une décoration et une pension, les personnes qui se sont distinguées au sein de l'Université française ou ont rendu des services à l'enseignement. Le décret du 4 octobre 1955 régit l'ordre des Palmes académiques actuel.

Une nouveauté. À la Faculté de médecine, les étudiants attachés à un hôpital doivent y coucher. Ce sont les premiers internes des hôpitaux, ainsi nommés depuis le Ier Empire. Napoléon, en effet, adore les dortoirs, les casernes, les internats. À cette époque, interne est un nom exclusivement masculin. La Faculté de médecine de Paris rayonne dans le milieu médical français et dans l'Empire. Elle forme les médecins et les chirurgiens de la Grande Armée.

La deuxième classe, ex-Académie française

Supprimée en 1793, l'Académie française renaît, le 23 janvier 1803, sous le nom de deuxième classe ou classe de langue et de littérature françaises. Elle retrouve sa vocation initiale : être la gardienne de l'intégrité de la langue, mais il lui est interdit de reprendre le nom d'Académie française. Napoléon est néanmoins considéré comme son second fondateur. En 1805, il décide d'installer l'Institut dans l'ancien collège des Quatre-Nations, situé quai de Conti. Son adresse actuelle.

Par souci de prestige, Napoléon crée d'importants prix littéraires (seize pour la deuxième classe). Toutefois, il a l'impression que les grands esprits le récusent et il craint les gens de lettres. En homme des Lumières, il fait tout pour les ramener à lui, d'autant plus que, dans son obsession des formules, du théâtre, des inscriptions de marbre au fronton des monuments à sa gloire, il veut agir sur la littérature et sur la langue.

En littérature, il a des idées précises. Ses genres préférés sont la tragédie et l'épopée. À l'époque, cela signifie revenir au XVIIe siècle, à Corneille, Racine, Chapelain et Boisrobert. Une anecdote. Quand Napoléon n'aime pas un livre, il le jette au feu. Comme il est sensible au froid, des feux brûlent dans ses appartements presque toute l'année. De plus, lorsqu'il surprend ses gens de maison à lire des ouvrages qui lui déplaisent - particulièrement des romans -, il jette aussi ces livres au feu, en demandant aux délinquants "si un homme ne peut pas faire meilleure lecture".

Le Code civil des Français ou le code Napoléon

Napoléon n'aime pas les avocats: "Interpréter la loi, c'est la corrompre; les avocats tuent les lois." En revanche, il apprécie la magistrature et s'intéresse à ses travaux.

Sous l'Ancien Régime, les Français n'étaient pas soumis aux mêmes lois civiles et pénales. "On change de lois en changeant de chevaux de poste" avait coutume de dire Voltaire. Une législation unique va se substituer à la diversité des coutumes. Le Code civil des Français, promulgué le 30 ventôse an XII (21 mars 1804), fort de 2281 articles, et appelé code Napoléon en 1808, est l'un des titres de gloire de Napoléon Bonaparte.

Il en est conscient. "Mon seul code pour sa simplicité a fait plus de bien en France que la masse de toutes les lois qui m'ont précédé." (Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, 29 novembre 1815.) Sur le rocher de Sainte-Hélène, au soir de sa vie, il déclare à Montholon: "ma vraie gloire n'est pas d'avoir gagné quarante batailles, Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n'effacera, ce qui vivra éternellement, c'est mon Code civil".

Bonaparte a un double mérite. D'une part, il choisit les bons rédacteurs qui composent la Commission: Portalis, Tronchet, Maleville, Bigot. D'autre part, il exige deux qualités d'écriture: la clarté et la concision, parce qu'elles permettent la bonne compréhension d'un langage technique et spécifique.

De plus, il contribue personnellement à l'élaboration du Code civil par sa présence assidue aux séances de travail et par ses interventions fréquentes. Il questionne beaucoup. Il étonne les juristes les plus chevronnés par ses remarques et par son éloquence: "des phrases brèves, nettes, coupantes, qui font image, qui parlent, qui vivent, qui marchent, des traits de feu... dardés par son esprit", note le doyen Savatier. S'il suit de près l'élaboration du Code, c'est parce qu'il veut que l'œuvre aboutisse et qu'elle dure, contrairement aux trois premiers projets qui ont avorté.

Le fauteuil construit pour lui existe toujours, probablement dans le bureau du secrétaire général du Conseil d'État français. Ce fauteuil permet de mesurer combien cet homme, grand sur les champs de bataille, est de taille normale pour un homme de son époque: 1,68 mètre.

Misogyne, Napoléon? Oui, si l'on se réfère au Code civil et à des confidences. Corse, Bonaparte tient au principe d'autorité: la femme doit obéissance à son mari et les enfants, à leur père; toute rébellion entraîne une correction paternelle pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement. C'est le Pater familias au sens romain du terme. D'ailleurs, "il vaut mieux que les femmes travaillent de l'aiguille que de la langue." (Roederer, Journal, 19 nivôse an IX [9 janvier 1801].) Sans enfant, soucieux de sa succession, Bonaparte fait insérer les dispositions relatives au divorce et à l'adoption.

Alors qu'ils datent de plus de deux cents ans, la plupart des textes du Code civil n'ont pas pris une ride. Clarté, concision. Tout est dit, il n'y a rien à ajouter ni à retrancher. Ces qualités expliquent l'influence extraordinaire du code Napoléon tant en Europe qu'en Amérique latine et en Afrique.

Le style du code Napoléon continue de faire l'admiration des juristes et des écrivains. "En composant La Chartreuse [de Parme], pour prendre le ton, je lisais chaque matin deux ou trois pages du Code civil, afin d'être toujours naturel", écrit Stendhal à Honoré de Balzac, le 30 octobre 1840.

"Et dire que les Anglais ont envoyé Napoléon à Sainte-Hélène pour qu'on n'en entende plus parler" (J. Jourquin, spécialiste de l'histoire de Sainte-Hélène).


Michèle LENOBLE-PINSON


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