Nouvelles de Flandre
Napoléon et la langue française (2/3)
"Premier écrivain du siècle" en littérature militaire

"Soldats, voilà la bataille que vous avez tant désirée!" (7 septembre 1812, à l'aube de la bataille de la Moskowa.) Le chef de la Grande Armée use du pouvoir des mots pour captiver ses soldats. Il récompense les plus valeureux par la Légion d'honneur.

Les proclamations de guerre et le pouvoir des mots

En Italie puis en Égypte, le général Bonaparte s'initie à l'art oratoire et perçoit l'effet de ses mots sur les troupes. "Les mots sont tout." Il a un sens inné de la communication. Lorsqu'il prend la parole, son regard, l'animation de son expression et son sourire séduisent et emportent toutes les réticences. Sa parole directe galvanise les hommes et contribue aux succès de la Grande Armée. "C'est étonnant le pouvoir des mots sur les hommes. La 32e brigade se serait fait tuer pour moi, parce qu'après Lonato, j'avais écrit: 'La trente-deuxième était là, j'étais tranquille'." (Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène, 2 juin 1817.)

Le premier objectif du discours de guerre est de renforcer le moral des troupes. Pour être audible sur le champ de bataille, la proclamation, généralement brève et concise, claque dans le vent. Les phrases sont courtes.

Que dit Napoléon à ses hommes? Il engage le discours par un "Soldats", qui impose le silence dans les rangs. L'apostrophe peut être complétée d'un "Amis", voire d'un "Camarades" quand il s'adresse aux soldats d'un régiment auquel il a appartenu. Il dit aussi "mes enfants", créant un sentiment d'appartenance à cette grande famille qu'est l'armée à ses yeux. Une famille dont il est le père: "Mes soldats sont mes enfants", écrit-il en octobre 1815.

Ce sentiment d'appartenance passe par des formules qu'il répète, précisément parce qu'elles atteignent leur but. "Il était de l'armée d'Italie". "L'Europe se souviendra que vous êtes de la race des braves!" Les plus célèbres restent: "Soldats, je suis content de vous" et, dans la proclamation du 3 décembre 1805: "il vous suffira de dire: J'étais à la bataille d'Austerlitz, pour que l'on réponde: Voilà un brave."

Après les victoires, Napoléon informe l'armée du nombre de canons et de drapeaux saisis ainsi que des pertes de l'ennemi. "Soldats, vous avez en quinze jours remporté six victoires, pris vingt et un drapeaux, cinquante-cinq pièces de canon, plusieurs places fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont; vous avez fait dix-sept mille prisonniers, tué ou blessé plus de dix mille hommes." (Cherasco, 7 floréal an IV [26 avril 1796], après les premières victoires en Italie.)

Il oppose ses soldats, qui seraient les défenseurs du droit, à ses adversaires "perfides", c'est-à-dire infidèles à la parole donnée et sans loyauté. Ainsi accuse-t-il les Anglais et les Autrichiens, puis les Russes, qu'il qualifie de "barbares" lorsqu'ils repoussent les Français.

Dès l'été 1797, il exalte la "grande nation", la France qui exporte ses principes en Europe, justifiant ainsi l'expansion militaire et ses conquêtes. Sous l'Empire, l'armée française devenue la "Grande Armée" a vocation à défendre le nouveau régime impérial. Le discours exalte alors la gloire militaire, la grandeur, voire la splendeur d'un geste héroïque comme la bataille, porteur de gloire.

Ainsi, à Fontainebleau, le 20 avril 1814: "Soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l'honneur et de la gloire. Dans ces derniers temps comme dans ceux de notre prospérité, vous n'avez cessé d'être des modèles de bravoure et de fidélité. [...] je pars. Vous, mes amis, continuez de servir la France. Son bonheur était mon unique pensée; [...] Adieu, mes enfants ! Je voudrais vous presser tous sur mon cœur; que j'embrasse au moins votre drapeau!"

Au XIXe siècle, selon Sainte-Beuve, les grandes pages de la littérature militaire que constituent les proclamations et les discours de guerre font de Napoléon "le premier écrivain du siècle".

La Légion d'honneur

Napoléon ne cesse de faire appel au sentiment d'honneur de ses soldats. Le mot revient constamment dans ses proclamations. En tout soldat sommeille un héros. Aux plus valeureux, il attribue des armes d'honneur, des sabres d'honneur, des baguettes d'honneur, puis la Légion d'honneur.

L'ordre de la Légion d'honneur, institué en 1802 en récompense de services militaires et civils, reste le premier ordre national français (ruban rouge). Aujourd'hui, à sa tête, le grand maître est le président de la République. L'insigne est une étoile à cinq rayons doubles, surmontée d'une couronne de chêne et de laurier. En exergue: "Honneur et Patrie". "La Légion d'honneur est la plus belle de mes institutions. [...] Elle établit une honorable fraternité entre le civil et le militaire, entre le maréchal et le soldat, entre le paysan et le duc."

Reçoivent la Légion d'honneur des personnes choisies, comme l'indique le mot légion. Dérivé de legere, "choisir", légion s'appliquait à une division de l'armée romaine composée d'hommes recrutés au choix, dans laquelle chacun pouvait se choisir un compagnon d'armes.

Il arrive cependant que soient choisies des personnes civiles ou militaires et, anciennement, une ville qui ne sont pas françaises. La première ville non française à avoir reçu la Légion d'honneur est la Ville de Liège, le 7 août 1914, pour avoir tenu en échec l'armée de l'envahisseur, qui viola délibérément la neutralité de la Belgique. En 2014, par décret, le Président de la République française m'a nommée chevalier de la Légion d'honneur.

Dépouillée des souvenirs des champs de batailles, la gloire de l'Empereur reste intacte dans un grand texte d'une nature autre que les proclamations de guerre: le Code civil. Le prochain article le montrera.


Michèle LENOBLE-PINSON


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