Nouvelles de Flandre
La Moldavie, le plus francophone des pays d' Europe centrale et orientale

Fin mars 2017, étant en Roumanie, à Iaþi, au colloque annuel de la Francophonie, des professeurs de français m'ont proposé de passer une journée en République de Moldavie, le pays voisin. Ils voulaient me montrer la capitale et me présenter à leurs collègues. J'ai accepté, ravi de découvrir, même brièvement, ce pays européen méconnu. Iasi n'est pas loin de la vallée du Prout qui matérialise la frontière.

Après les contrôles d'usage, le chauffeur a pris la direction de Chisinau. Le paysage est vallonné et verdoyant, et la route, de bonne qualité. Peu de trafic, à l'exception des poids-lourds qui filent comme s'ils étaient seuls au monde. De petits villages apparaissent en contrebas, à l'écart de la route principale. Bientôt nous entrons dans les faubourgs de la capitale hérissés de grands blocs d'appartements qui semblent perpétuer la tradition des architectes soviétiques.

Un territoire convoité

Chisinau (pron. "kichinaou") est une assez grande ville d'environ huit-cent mille habitants. Le noyau historique, avec ses ruelles aux maisonnettes entourées d'arbres et de jardins, a été conservé. L'atmosphère paisible de ce quartier hors du temps contraste avec le reste de la ville d'inspiration russe, comme toutes les capitales de l'empire des Tsars: un plan en damier, de larges avenues où circulent des trolleybus bleu et blanc. J'ai aussi vu beaucoup d'espaces verts, des places monumentales et de pompeux édifices néo-classiques.

On se rappelle que c'est en 1812 que la Russie s'empara de la Bessarabie, soit près de la moitié de l'ancienne principauté de Moldavie dont l'autre partie, en s'unissant à la Valachie, en 1859, donna naissance au royaume de Roumanie. Puis, au lendemain de la fondation de l'URSS, celle qui était depuis peu la République démocratique de Moldavie retourna à la Roumanie, mais, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, elle lui fut à nouveau arrachée et annexée cette fois à l'Union soviétique sous le nom de République socialiste soviétique de Moldavie.

À partir de là, le développement économique fut réel, mais aussi la volonté de slaviser la seule terre latine de l'URSS. La langue de 80% de la population, le roumain, reçut le nom de "moldave" et fut forcée de s'écrire en caractères cyrilliques (la Roumanie avait adopté l'alphabet latin dès 1859), et Chiþinau fut rebaptisée "Kichinev". À partir de 1985, avec la pérestroïka, l'identité roumaine du pays fut enfin reconnue, le roumain devint officiel à côté du russe et l'on rétablit l'alphabet latin. L'indépendance intervint en 1991. La fête nationale, le 27 aout, commémore l'évènement.

Une économie faible

Petit pays, de la taille de la Belgique, la Moldavie compte trois millions cinq-cent-mille habitants. C'est une région fertile, longtemps célèbre pour ses vignobles qui, avec ceux de Géorgie, fournissaient jadis toute l'immense Union soviétique. Hélas, à l'heure actuelle, un PIB de moins de cinq-mille euros par tête en fait l'un des pays les moins riches d'Europe. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela_: la perte du marché de l'ancienne URSS, bien sûr, mais aussi la corruption, le conflit russo-ukrainien, la crise économique de l'UE, en 2008, et, bien entendu, le contrecoup du conflit gelé de la Transnistrie ou "République moldave du Dniestr".

Au lendemain de l'indépendance, la minorité russe vivant en Moldavie, craignant la réunion avec la Roumanie, s'est regroupée à l'est du fleuve Dniestr, ou Nistru, en roumain, et a fait sécession. Cet "État" autoproclamé n'a jamais été reconnu par aucun pays, sauf la Russie qui l'aide financièrement et y maintient une forte présence militaire. Il se fait que c'est en Transnistrie que se concentrent les principales industries du pays, d'où un important manque à gagner pour le fisc moldave.

Le français bien vivant

À mon arrivée, la présidente de l'Association des Professeurs de français de Moldavie, Mme Cristina Enicov, m'accueillit autour d'une table garnie d'une copieuse collation. Un bon nombre de professeurs de français, des responsables et des membres de l'association moldave, étaient là, prêts à me poser mille et une questions sur la Belgique et sur l'enseignement du français chez nous.

De mon côté, j'avais hâte de connaitre l'état de la francophonie chez eux: elle se porte plutôt bien, à vrai dire, au point que le directeur de l'Alliance française locale, le Français Emmanuel Skoulios, a fait récemment cette déclaration: "La République de Moldavie peut passer à juste titre pour le pays le plus francophone d'Europe centrale et orientale".

Depuis 1996, la Moldavie est membre à part entière de l'OIF. Par attachement à la latinité, la tradition francophone et francophile y est aussi ancienne qu'en Roumanie. Sous les tsars, le français était déjà la première langue étrangère enseignée, un intérêt qui s'est perpétué pendant toute la période soviétique. À présent, comme partout, il faut compter avec la concurrence de l'anglais, mais le français résiste bien.

On estime que 20% des Moldaves savent parler français. Plus de 50% des jeunes l'apprennent à l'école, grâce au travail de plus de deux-mille enseignants, dont beaucoup sont affiliés à l'APFM. Grâce aussi à un important réseau d'établissements bilingues francophones et de nombreuses filières à l'université, le tout soutenu par l'Agence universitaire de la Francophonie.

D'autres opérateurs jouent également un rôle non négligeable en cette matière, comme l'Alliance française et l'Association Québec-Moldavie (AQM). Et bientôt, ce sera le tour de l'Association belge des Professeurs de français, (ABPF. En effet, à l'issue de ma visite nous avons décidé d'étendre aux lycées de Moldavie le concours "Belgique romane" qui ne s'adressait depuis sa création qu'aux élèves roumains. Tous les ans, l'ABPF organise, avec son homologue roumaine, l'ARPF, une épreuve de connaissance du français sur le mode ludique. L'année dernière les concurrents devaient inventer une recette inédite de "cuisine fusion" belgo-roumaine. Les lauréats reçoivent un diplôme à leur nom, mais trois "super gagnants" sont récompensés par un colis surprise. L'édition du Concours BR 2017-2018 verra donc l'entrée en lice des jeunes francophones moldaves!

Dans le centre ville, on m'a montré un socle d'où les russophones extrémistes ont fait retirer la statue de la louve romaine, un symbole de latinité trop explicite à leur gout. C'est peut-être vexant, mais ce n'est pas grave, la réalité est plus importante que les symboles, car mes hôtes m'avaient réservé une excellente surprise pour conclure la journée: la finale d'un concours de chansons francophones par des jeunes de 12 à 18 ans. Un récital d'une qualité quasi professionnelle qui m'a fait réentendre les succès de Brel, Céline Dion, Renaud, France Gall, même Stromae, et, à mon arrivée dans la salle: Non, rien de rien, non, je ne regrette rien! Ce que j'ai aussi pensé en reprenant la route vers l'Union européenne, vers Iasi et la Roumanie, tard dans la nuit.


Robert MASSART


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