Nouvelles de Flandre
46e Assises de la presse francophone à Conakry

Succédant aux assises d'Antsirabé (Madagascar) axées sur l'économie des médias dans l'espace francophone, les 46èmes assises de l'Union de la Presse francophone qui se sont tenues du 20 au 25 novembre 2017 à Conakry (Guinée) ont été plus spécialement ancrées dans l'actualité, dans l'évolution du métier de journaliste mais également dans les "pratiques de consommation" des médias, traditionnels et - de plus en plus souvent - liés aux nouvelles technologies de l'information et aux réseaux sociaux.

Journalisme, Investigation, Transparence

Un événement majeur qui a accueilli plus de 300 participants provenant de 48 pays sur les cinq continents. Le thème avait été clairement défini: "Journalisme, Investigation, Transparence". Ce sont toutes les questions qui se posent quotidiennement dans nos pratiques: jusqu'où peut-on aller dans nos recherches d'information? Comment démêler le vrai du faux, combattre les rumeurs, les fausses informations? Comment vérifier les faits, notamment sur Internet? Quel est le rôle de la justice pour garantir la liberté d'information?

Programme ambitieux, ambigu et complexe sans doute pour la Guinée, pays de l'ouest subsahélien classé parmi les plus pauvres de la planète, certes en plein développement économique, certes francophone du moins en titre (la langue officielle est le français mais seul un quart de la population le maîtrise). Un pays où la lecture de la presse écrite ne concerne qu'une élite urbanisée et bénéficiant d'un niveau de vie très nettement supérieur à celui de la masse des habitants qui vivent dans des conditions de très nette précarisation, comme ont pu le voir les journalistes congressistes, confinés dans un établissement super-étoilé, îlot au milieu d'une mer de bidonvilles urbains.

Précarité de la presse locale

Cette presse écrite - en français avec, en province, des pages en langues vernaculaires - compte une centaine de titres, mais ce sont quasiment tous des périodiques (hebdos, mensuels, trimestriels), de plusieurs dizaines de pages. Ces médias conventionnels sont de plus en plus concurrencés, il est vrai, par les radios locales (outre les chaînes publiques de radio-TV) au nombre d'une soixantaine et par plus de 200 sites d'information électroniques.

Le niveau de professionnalisme et celui de la formation des journalistes sont réduits car la précarité - et le clientélisme, voire la corruption larvée - sévissent aussi au sein de ces "organes" de presse: beaucoup de collaborateurs sont peu ou pas payés et ne survivent que grâce aux "enveloppes" que leur distribuent les pourvoyeurs d'informations (ministères, entreprises, organisateurs de conférence de presse).

On comprendra que, dans ces conditions, les thèmes de ces assises, d'un intérêt incontestable et d'une grande utilité pour les congressistes issus des pays du Nord ou émergents, relèvent du surréalisme pour les journalistes issus de pays pauvres, lesquels représentaient environ un tiers du nombre des participants à Conakry.

Autorégulation à la belge

Lors d'un atelier sur "les garanties au droit d'accès à l'information et la liberté d'informer", notre compatriote Colette Braeckman a souligné la singularité du régime belge d'auto-régulation de la presse, n'hésitant pas à déclarer devant des journalistes du Sud, tous habitués à être "surveillés" dans leur pays par un ministère dit "de l'information", "de la presse" ou "de la communication" (comme c'est le cas en Guinée), qu'"un ministère de l'information, où que ce soit, cela n'a pas lieu d'être".

Elle s'oppose en effet à une autorité étatique régissant l'information. Certes, le journaliste n'est pas au-dessus des lois. Mais en ce qui concerne le contrôle éthique, civique et démocratique de la presse professionnelle, la meilleure garantie est la régulation par les pairs, laquelle peut se concrétiser, comme en Belgique, par un Conseil de déontologie, fonctionnant comme instance consultative mais dont la jurisprudence inspire, dans les faits, celle des tribunaux civils... et cela bien entendu dans un pays où, préalable indispensable, le pouvoir judiciaire est totalement indépendant des pouvoirs législatif et exécutif.

Sur ce point l'avait rejoint Julia Cagé, professeure d'économie et administratrice de l'AFP, qui, elle, prône la constitution de "sociétés de média à but non lucratif" ou instances susceptibles de bénéficier d'un statut juridique de "fondation", estimant par ailleurs "qu'on ne peut laisser les médias aux mains exclusives du marché" et "qu'il faudra bien sortir les médias de la logique du profit". Loïc Hervouet, ancien directeur de l'École de journalisme de Lille et professeur d'éthique professionnelle à l'ESJ, ne dit pas autre chose quand il propose des initiatives de mutualisation des organes de presse d'investigation, qui permettent, dans le respect des règles éthiques, de publier des dossiers fiables sur les dérives politiques et financières qui sévissent au plus haut niveau dans le monde.

Et l'on en vient à l'aspect le plus sensible et le plus en prise avec l'évolution dramatiquement rapide des médias contemporains: l'hémorragie des fausses nouvelles (fake news dans le jargon des internautes) et les tentatives pour les éradiquer ou, du moins, pour les neutraliser, afin de contrer le mouvement de désinformation, de manipulation et de déstabilisation de la société qui s'étend partout, du village jusqu'à l'autre bout du monde. Tout cela a été débattu et résumé pendant deux jours par les membres de l'atelier intitulé "Fausses infos: nouveau visage de la propagande".

Pas de remèdes miracles mais des pistes

Parmi les pistes de solution proposées: viser les publics les plus menacés, entre autres les jeunes, les personnes non averties, les partisans trompés; expliquer les techniques de l'industrie de la désinformation pour rendre le lecteur en partie autonome dans ses analyses ultérieures; rejeter le terme générique de "fake news" et dresser une typologie p1us précise sur la nature, les origines et les acteurs de ces déformations, désinformations et manipulations; être soi-même le plus transparent possible et accepter les notions d'"imputabilité" et de "redevabilité"; donner une dimension collective à la lutte contre les fausses nouvelles, en l'institutionnalisant, en facilitant l'accès aux documents publics, en mettant à la disposition du plus grand nombre des statistiques et des données significatives et fiables.

Par ailleurs, nous avons émis la proposition concrète suivante: inciter systématiquement - ce qui implique un gros effort pédagogique et de formation de l'internaute et/ou du blogueur lambda - à abandonner la consultation d'une information numérique dont l'auteur n'est pas clairement identifié: soit un média connu et reconnaissable par son logo et ses informations légales d'identification ,soit un particulier qui, avant tout autre message, publie sur son site un curriculum vitae abrégé incluant des clés ou codes d'identification. En cas d'absence de ces données: ne pas ouvrir, considérer qu'en le faisant on s'expose à un virus informatif. On peut aussi faire appel aux "décodeurs de l'information" mis en ligne par des journaux comme Le Monde ou Libération.

Mais, comme en bien d'autres matières, la principale démarche à promouvoir est celle de la formation continue.


André BUYSE


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