Nouvelles de Flandre
Une grammairienne belge invitée au Forum de la traduction en Russie

Chaque année, traducteurs et interprètes russes se réunissent dans une ville différente de leur pays. En 2016, ce fut à Astrakhan, à la tête du delta de la Volga dans la mer Caspienne. En 2017, c'est à Oufa, capitale de la République autonome de Bachkirie ou du Bachkortostan, au confluent de la Biclaïa et de l'Oufa (918 km), dans l'Oural méridional.

Les Bachkirs et les Tatars

Les Bachkirs - environ 1.500.000 personnes -, peuple d'origine turque, vivent en Ukraine, en Asie centrale et principalement en Russie (1.350.000, dont 870.000 au Bachkortostan). Leurs ancêtres ont appartenu au royaume des Bulgares de la Volga. Ils se sont islamisés entre le XIe et le XIIIe siècle. Ils sont musulmans sunnites. Ils parlent le bachkir. Malgré leur résistance, ils sont devenus les sujets de l'Empire russe.

Vingt-cinq pour cent des Bachkirs sont Tatars. Les Tatars sont majoritaires dans leur république, la République du Tatarstan (à l'ouest de la Bachkirie). Certains vivent en Crimée. Ce peuple composite d'origine mongole ou turque, installé depuis très longtemps dans le pays, domina la Russie du XIIIe aux XVe-XVIe siècles.

Actuellement, le développement économique de la Bachkirie bénéficie de l'exploitation de gisements pétrolifères. Les principaux centres urbains sont spécialisés dans le raffinage et la pétrochimie. De plus, à Oufa (un million d'habitants), on construit des moteurs d'avion et on produit des vitamines.

Les colonies russes

En vain, les belliqueux Bachkirs, qui supportaient mal la colonisation russe, se révoltèrent-ils à plusieurs reprises. La colonisation se poursuivit durant tout le XIXe siècle, surtout après la découverte d'importants gisements miniers et le début de l'exploitation du pétrole.

Dans l'ensemble, les républiques russes autonomes correspondent aux anciennes colonies de la Russie. Contrairement aux colonies des états européens qui se trouvaient pour la plupart en Afrique, c'est-à-dire dans un autre continent, les colonies russes appartenaient au même continent que celui du colonisateur.

Après la chute de l'U.R.S.S., des colonies sont devenues indépendantes (comme le Kazakhstan), tandis que d'autres sont restées des sujets de la Fédération de Russie tout en bénéficiant d'une large autonomie. C'est le cas de la République autonome de Bachkirie. Ces républiques gardent une langue commune, le russe, et une monnaie commune, le rouble. Il n'existe pas de dialectes russes. Les langues d'origine turco-mongole parlées dans les républiques autonomes forment un ensemble linguistique assez homogène au point de permettre l'intercompréhension. Toutefois, en ce qui concerne la langue écrite, la barrière des écritures et des conventions de transcription qui diffèrent d'une langue à l'autre rendent la compréhension nettement plus difficile. Sont parlées également des langues d'origine finno-ougrienne, comme le carélien et le vespe.

Le tatar et le bachkir

Le turco-tatar devenu le tatar et le bachkir appartiennent au groupe des langues turques du Nord-Ouest. De 1928 à 1938 (Atatürk), la langue bachkire s'est écrite en alphabet latin. Puis, elle a suivi une adaptation bachkire de l'alphabet cyrillique. Comme le turc, le bachkir respecte la règle de l'harmonie vocalique. Selon cette règle, les voyelles étant réparties en deux classes (antérieures et postérieures), un mot ne peut normalement contenir que des voyelles d'une seule classe.

Rappelons que les langues s'enrichissent par les emprunts qu'elles font les unes aux autres. En français, cravache (fouet de cuir), kiosque (pavillon de jardin), caïque (bateau à rames), sérail (palais du sultan), viennent du turc, qui lui-même les a empruntés au persan. Ajoutons tulipe et turban, que le turc désigne par le même mot_: la tulipe ayant la forme du turban, coiffure masculine faite d'une pièce d'étoffe enroulée autour de la tête.

Le Forum de la traduction à Oufa

Du 25 au 28 mai 2017, trois cents traducteurs et interprètes russes venus de Moscou, de Saint-Pétersbourg et de républiques autonomes de la grande Russie, se retrouvèrent à Oufa. Une vingtaine s'occupent principalement de traduire le russe en français. À la suite de la cérémonie d'ouverture, en présence du ministre Mirsayapov de la République du Bachkortostan et de représentants de l'Université d'Oufa, quatre séances de travail se déroulèrent en parallèle pendant trois jours. Chaque langue bénéficia d'un programme propre. La traduction simultanée se fit en russe, en anglais, en français et en chinois.

Les participants, motivés, modestes et attentifs aux particularités des langues, discutèrent de sujets variés, allant de la traduction littéraire à la traduction automatique, en passant par l'évolution des techniques, les agences de traduction, les appels d'offres, le coût de la traduction, le marché noir, la collaboration au lieu de la concurrence et la déontologie de la traduction à l'époque du "nuage". Une équipe dévouée ne cessa de veiller au bon déroulement du Forum.

Trois exposés en français

Lorsque l'on sait que la première mission du traducteur est de transmettre le message fidèlement, avec précision et impartialité, en tenant compte des personnes et des cultures, on ne s'étonne pas des demandes des organisateurs en matière de langue française. En effet, selon la langue qu'il emploie, le traducteur voit et dit le monde d'une façon différente.

Ma communication sur la féminisation des noms de professions mit plus d'une fois l'excellente interprète dans l'embarras parce que de doubles formes féminines, telles que vendeuse et venderesse, chanteuse et cantatrice, enquêteuse et enquêtrice, n'existent pas dans la langue russe.

En revanche, pendant ma présentation des particularités lexicales belges, administratives et juridiques, nous découvrîmes que la langue russe ne dispose pas de certains termes français, mais qu'elle emploie des termes équivalant aux particularités belges: auditoire (au sens de salle de cours), pensionné (à la place de retraité), logopède (pour orthophoniste), subsides (pour subventions).

Enfin, les sept règles qui simplifient l'orthographe m'amenèrent à commenter les rectifications recommandées par l'Académie française. Suivirent des questions linguistiques enrichissantes.

La ville d'Oufa

Pendant la visite guidée, nous vîmes de larges avenues plantées d'arbres, des parcs fleuris de tulipes et de lilas, des fontaines, des grilles en fer forgé, des kiosques, d'anciennes maisons de bois, six théâtres, la cathédrale orthodoxe, plusieurs mosquées, des bâtiments administratifs peu élevés, soit en briques, soit recouverts de peinture de couleur (comme à Budapest). Le soir, une ligne lumineuse colorée souligne les corniches des bâtiments publics, administratifs, universitaires et culturels.

Le dimanche matin, l'organisation d'un marathon dans la ville révéla d'importantes mesures de sécurité. De gros camions bloquèrent l'entrée des rues en lien avec le parcours, lui-même surveillé par de très nombreux policiers.

Le Forum de la traduction en Russie? Une rencontre chaleureuse unissant sympathie et travail. Des exposés de qualité. Des échanges passionnants. Une réussite.


Michèle LENOBLE-PINSON


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