Nouvelles de Flandre
Le franglais et les anglicismes, caprice de la mode ou phénomène sociolinguistique? (1ère partie)

En français, et dans toutes les langues d'une manière générale, l'afflux des anglicismes semble devenu incontrôlable. La tendance est plus manifeste encore en Belgique et surtout à Bruxelles où l'anglais s'invite et s'installe partout. À tel point que cette importante métropole francophone (la 4e ou la 5e du monde) souffre de symptômes de schizophrénie: les habitants utilisent largement le français dans la vie courante et pour communiquer entre eux, mais un étranger fraichement arrivé et qui ne ferait que lire tout ce qu'il verrait autour de lui, serait sûr de se trouver dans une ville de langue anglaise. Bruxelles est aujourd'hui une ville à la fois francophone et anglographe.

Cette allégeance à l'anglais va quelquefois très loin. Voici deux faits récents: le Premier ministre fédéral, le chef du gouvernement belge, lors de la réouverture de l'aéroport national, après les attentats du mois de mars, a lancé, à la fin de son allocution: - Now, back to business! Une sorte d'équivalent, si l'on veut, de la sentence latine "Et nunc est laborandum". La différence, c'est que le latin n'étant plus une langue parlée par personne, on n'y aurait vu qu'une touche de pédantisme classique qui aurait suscité, au pire, quelques quolibets dans les journaux et peut-être l'un ou l'autre dessin humoristique. L'anglais, contrairement à la langue de César, de Virgile ou de Cicéron, n'est pas une langue morte, loin s'en faut, mais c'est surtout une langue qui ne jouit en Belgique d'aucun statut légal ou officiel. Or, non seulement l'exclamation de Charles Michel n'a donné lieu à aucune moquerie, mais nul ne s'en est scandalisé ou étonné. Un peu plus tard, le directeur d'un célèbre parc animalier, en Hainaut, donc en pleine région unilingue française, s'est écrié, pour saluer la naissance d'un jeune panda mâle: - Et comme on dit "It's a boy!".

Un anglais mal maitrisé

Ces deux exemples montrent qu'en Belgique plus personne n'hésite à utiliser l'anglais, même à des niveaux de représentation très élevés, au détriment de nos langues nationales et officielles. Ceci me ramène directement au sujet de mon article. Il est indéniable qu'en ce début de l'ère de la mondialisation l'anglais s'est imposé dans le monde comme la nouvelle lingua franca, un truchement qui facilite la communication internationale. L'anglo-américain serait-il donc devenu la langue véhiculaire mondiale? Un de mes petits cousins canadiens - un anglophone - me déclarait naguère, avec l'air pénétré de celui qui détient la vérité: - Aujourd'hui, le monde parle anglais! Eh bien, je regrette pour lui, mais des statistiques et des études scientifiques récentes montrent qu'en Europe à peine 15 à 20% des gens se débrouillent plus ou moins bien en anglais. Hormis ceux dont la connaissance de cette langue fait partie de leur spécialité ou de leurs obligations professionnelles, le reste du public n'a de la langue anglaise que les souvenirs d'un apprentissage scolaire mal fixé plus quelques bribes de chansons à la mode. Ajoutez-y encore un peu de baragouin issu de la fréquentation des auberges de jeunesse, et c'est tout. Ma collègue, prof d'anglais au département de langues germaniques d'une Haute École, aime raconter combien ses amis britanniques sont heureux de s'entretenir avec elle quand elle va les voir pendant les vacances. Ils sont soulagés d'avoir affaire, pour une fois, à quelqu'un de non anglophone qui sait vraiment l'anglais. Cela les change de la plupart des touristes persuadés de s'exprimer dans la langue de Shakespeare qui leur posent, en définitive, d'incessants et difficiles problèmes de compréhension.

Un anglais complexe

À l'inverse des idées reçues - particulièrement nombreuses en matière de langues - l'anglais n'est pas l'idiome facile que l'on se figure. Pour nous, francophones, cette apparente simplicité vient sans doute du fait que près de la moitié des mots anglais sont issus du français, d'un français très ancien mais toujours reconnaissable, j'y reviendrai , ce qui crée une sorte de familiarité de façade, de "déjà vu", et qui fait croire à tort que cette langue est plus abordable que toute autre. Deux écueils effrayants menacent pourtant l'étranger - surtout s'il parle une langue romane - qui souhaite se mettre à l'étude de l'anglais: la prononciation d'abord, l'orthographe ensuite. S'il a tout de même réussi à franchir ces durs obstacles, il lui faudra apprendre à manipuler habilement les postpositions, une spécialité qui est à la grammaire anglaise ce que le welsh rarebit est à sa cuisine, pas facile à digérer. Les postpositions sont ces "petits mots" d'une syllabe grâce auxquels l'anglais parvient à donner une infinité de significations différentes à un nombre de verbes de base tout compte fait pas très abondant. Le francophone qui n'y arrive pas aura toujours l'air de parler français en anglais, chose qui marche très bien entre des étrangers d'origines diverses qui ont pris cette langue comme dénominateur commun, mais pas avec des anglophones natifs. (à suivre)


Robert MASSART


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