Nouvelles de Flandre
Les dialectes romans en Belgique francophone: Un point de vue...

Lors de la création de la Belgique, ni le français ni le néerlandais n'étaient la langue de la majorité de la population du nouvel État. Au Nord, les gens parlaient des dialectes flamands, germaniques, au Sud, des dialectes romans, d'origine latine, appartenant à la grande famille des langues d'oïl, exactement comme le français. Le plus important de ces dialectes romans était le wallon, les autres, le picard, le lorrain et le champenois.

Moi-même, né et habitant à Bruxelles, je vivais en dehors de la Wallonie. J'étais persuadé que le "wallon" - nul n'employait jamais le mot savant de "dialecte" - n'était que du "français mal parlé", du français déformé. C'est seulement quand j'ai commencé à étudier le latin, au lycée, que j'ai pris conscience peu à peu que le wallon de mes grands-parents n'était pas du tout du français corrompu par la bouche des petites gens, des artisans, des ouvriers, mais que c'était, comme le dira plus tard Julos Beaucarne, "le latin venu à pied du fond des âges". Une jolie formule qui, bien que poétique, se rapproche assez de la réalité historique.

En effet, après les cinq siècles de la romanisation, deux grands groupes de dialectes gallo-romans étaient apparus: au sud de la Loire, la langue d'oc, qui conservait une configuration plus latine. Au Nord, la langue d'oïl, marquée par une plus forte empreinte germanique, réunissait, par exemple, le bourguignon, le normand, le français (le dialecte de l'Ile-de-France), le lorrain, le champenois, le picard et le wallon. Pour de multi-ples raisons, c'est le parler de l'Ile-de-France - où se trouvait Paris - qui s'imposa comme langue de la Cour, langue du Roi, et, plus tard, comme langue nationale et officielle de la France.

L'émergence du français

En revanche, les provinces qui deviendront au 19e siècle le Royaume de Belgique, sont des régions que les aléas de l'Histoire n'ont pas voulu inclure dans la nation française, si bien qu'elles n'ont pas connu ce centralisme très fort qui a toujours été une caractéristique essentielle de la politique de la France, par conséquent les langues régionales ont pu se maintenir en Wallonie avec une vitalité plus grande qu'en France. Et même s'il est exact que le français a commencé à y pénétrer dès le haut Moyen-Âge, principalement dans les villes, on peut dire qu'une sorte de bilinguisme franco-wallon et franco-picard, a existé dans les faits jusqu'au milieu du dix-neuvième siècle. C'est le rattachement des Pays-Bas du Sud (la future Belgique) à l'Empire de Napoléon qui a retourné cette situation: la France révolutionnaire ne voulant plus de ce qu'elle appelait "les patois", au nom de l'Égalité des citoyens, la connaissance et l'emploi du français ont fait d'énormes progrès chez nous en l'espace d'une génération. Quelques années après, avec la création de la Belgique, le français a été promu au rang de langue officielle de l'État, donc aussi langue de l'enseignement. Ce dernier, devenu obligatoire au lendemain de la Guerre 14-18, a porté un coup fatal aux parlers locaux qui changent alors brutalement de statut: les langues régionales deviennent de simples patois relégués dans les campagnes. Utilisés uniquement comme langue orale par les couches sociales les moins favorisées, ils s'appauvrissent de plus en plus vite.

Nos langues régionales

Quelles sont-elles, ces langues régionales en Belgique francophone? Si nous regardons une carte, on voit qu'aucune d'entre elles ne coïncide entièrement avec les frontières du pays. Des quatre dialectes romans de la Belgique, trois sont des prolongements en Wallonie de grandes aires linguistiques de France: par ordre d'importance, le picard, le lorrain, appelé localement "gaumais", et le champenois, le dialecte de la Champagne, présent chez nous dans quelques villages du sud de la province de Namur. Seul le wallon est majoritairement limité à la Wallonie, à laquelle il a donné son nom.

Quant au mot "wallon", il est attesté sous cette forme depuis le début du 16e siècle et nous savons qu'il provient d'une très ancienne racine germanique - *walh - par laquelle les Germains désignaient l'ensemble des peuples romanisés qu'ils rencontraient à mesure qu'ils s'avançaient dans l'Empire romain. Cette racine est aussi à l'origine du mot "Valaque", ainsi que des mots Welsch en allemand, Vlaþ en tchèque et Wloch en polonais, qui veulent dire "italien".

C'est par souci de simplification que je dis le wallon, car l'une des caractéristiques des langues régionales et des dialectes, c'est de ne pas être unifiés.Le wallon est fragmenté en trois ou quatre variétés: le wallon occidental (Charleroi, Nivelles) marqué par l'influence du picard, son voisin à l'ouest et au sud. Le wallon-namurois ou wallon central. L'est-wallon, ou wallon liégeois, probablement la variété la plus spécifique. Enfin, le wallon ardennais ou sud-wallon.

Je peux dire, en somme, que le wallon a été la première langue romane que j'ai apprise, à côté du français, ma langue maternelle. Plus tard, quand je me suis mis à l'étude du latin et, presque au même moment, de l'espagnol, le fait de posséder déjà la connaissance - intime - de deux langues d'origine latine m'a apporté une aide considérable: grâce au wallon, je ne trouvais pas anormal que l'accent tonique, en espagnol, tombe sur d'autres syllabes que la dernière, comme c'est toujours le cas en français. Le wallon possède une particularité qui touche le pluriel de l'adjectif épithète féminin: "des blantchès fleûrs / des bellès feumes / des nvès cotes" (des fleurs blanches, de belles femmes, des robes neuves), où c'est l'avant-dernière syllabe qui porte l'accent (ex. au singulier: ène blantch' fleûr). D'autre part, avec son lexique, le wallon m'est apparu comme le maillon intermédiaire entre le vieil ancêtre - le latin - et la jeune génération, le français. À titre d'exemples: le mois d'aout "augustus - awouss - aout" - "ministerium - mestî - métier". Il y avait aussi des mots wallons très différents du français et que je retrouvais en latin et en espagnol, ce qui me rassurait d'une certaine façon: comme "oûy, aujourd'hui en wallon liégeois, qui s'explique par le latin hodie et qui réapparaissait en espagnol, hoy". Le cas de "dispiertî", éveiller ou réveiller, en wallon, est intéressant, car il n'existe pas en français. En espagnol, je l'ai retrouvé sous la forme "despertar" et, plus tard, quand j'ai fait connaissance avec la langue roumaine: a destepta (destept / desteptat).

Bref, je me félicite d'avoir reçu, étant jeune, ce bilinguisme français/wallon. C'est lui qui m'a ouvert à la passion des langues romanes. Je n'en suis pas devenu pour autant un intégriste du wallon ni des autres langues régionales qui subsistent aujourd'hui en Belgique. Pour moi, ce sont des vestiges d'un état de société révolu, tout au plus d'aimables témoins du passé, des curiosités, qu'il ne faut pas oublier complètement, mais auxquelles il n'y a pas lieu d'accorder une place ni un intérêt excessifs.

La situation actuelle

Aujourd'hui, en Wallonie, les dialectes sont moribonds. Plus personne ne serait capable de tenir une conversation correcte en wallon, ni en picard, notamment parce que les jeunes n'ont pas entendu leurs parents les parler. Le souvenir de ces anciens idiomes survit un peu dans des traits phonétiques et quelques tournures syntaxiques qui font les caractéristiques du français régional: du sale linge, des courts cheveux (anté-position de l'épithète). Ainsi que dans un certain nombre de répliques familières, affectives, de la joie ou de la colère (Dji sû scrant, je suis fatigué - Qué mwé timp! Quel mauvais temps - Abîye, i va ploure! Vite, il va pleuvoir) et des expressions calquées: tomber faible = s'évanouir - un trois-quart sot = un demi-doux, un zozo - ça ne vient pas à une heure = ce n'est pas à une heure près - ça sent l'ognon = l'affaire prend mauvaise tournure, etc.). C'est ce que l'on appelle des "belgicismes" (ici, proprement, des wallonismes) et c'est tout cela qui fait l'identité et la saveur du français un peu particulier que parle le peuple en Belgique romane.

Comme l'extinction de ces parlers populaires parait inéluctable, on s'efforce de sauver ce qui peut l'être encore. Il s'agit toujours d'initiatives dues à des intellectuels, des professeurs d'université, des linguistes, des folkloristes. La Communauté Wallonie-Bruxelles a institué un Conseil des langues régionales endogènes et voté plusieurs textes qui les reconnaissent comme partie intégrante de notre patrimoine, pour favoriser leur étude scientifique et pour les préserver. On autorise même le recours aux dialectes de Wallonie, dans l'enseignement, chaque fois que les professeurs peuvent les mettre à profit, notamment pour l'étude de la langue française.

Çà et là, des troupes d'amateurs essaient de perpétuer la tradition du théâtre dialectal qui était encore assez florissant il y a trente ou quarante ans, quand des pièces en wallon, en picard, étaient diffusées régulièrement sur les ondes de la radio nationale et même à la télévision. Quelques radios locales le font encore.

Toutefois, le signe le plus remarquable de la présence de ces anciens parlers de chez nous, à mon avis, c'est la publication des albums d'Hergé, les aventures de Tintin, dans toutes les langues régionales de Wallonie et toutes les variétés de wallons. Cela depuis la traduction en picard tournaisien des Bijoux de la Castafiore (Les pinderleots del Castafiore - Éditions Casterman). Ensuite, en 2008, ce fut le tour de l'édition du même album en wallon-carolo (de Charleroi): Lès-ôr'rîyes dèl Castafiore. Maintenant, ils existent en aclot (picard de Nivelles), en Liégeois, etc. Au pays de la bande dessinée, pouvait-il en être autrement?


Robert MASSART


Copyright © 1998-2016 A.P.F.F.-V.B.F.V. asbl
Secrétariat: Spreeuwenlaan 12, B-8420 De Haan, Belgique
Téléphone: +32 (0)59/23.77.01, Télécopieur: +32 (0)59/23.77.02
Banque: BE89 2100 4334 2985, Courriel: apff@francophonie.be
Site: http://www.francophonie.be/ndf