Christiane Buisseret, passionnée de langue et de culture françaises est à la tête de l'Association belge des professeurs de français (ABPF)* qui co-organise leur congrès mondial, cet été à Liège, avec la province, la ville et l'université.
N.d.F.: Si vous deviez vous présenter en quelques mots...
C.B.: Indiscutablement, je suis bruxelloise. Bien que je souffre de tous ses avatars et difficultés actuels, j'aime cette ville où je suis née de parents des deux Wallonies (Liège et Charleroi). Ce sont ces fondations, mes substrats "Wallonie-Bruxelles", qui ont permis l'éclosion d'une vie familiale et professionnelle dense et tellement plurielle.
N.d.F.: Quel est votre parcours professionnel?
C.B.:J'ai travaillé pendant 38 ans dans le secondaire général sans rester continuellement dans une classe. J'ai participé notamment à l'implantation de nouveaux programmes. J'ai été maitre de stage et je continue encore à donner des séminaires de didactique en agrégation de philologie romane à l'UCL, convaincue de l'importance de la formation initiale des futurs professeurs. Je suis également membre du Conseil de la Langue française et de la Politique linguistique. Et je viens de commencer en février, une réflexion qui doit alimenter et illustrer le Pacte d'Excellence, dans un groupe de travail consacré aux grands axes et thématiques des cours de français.
N.d.F.: Comment vous êtes-vous intéressée à la francophonie?
C.B.: Lors de congrès et symposiums à l'étranger, j'ai pris conscience de ce que représentait l'enseignement du français en tant que langue étrangère. Un enseignement différent de celui du français langue maternelle. J'ai suivi des modules de français langue étrangère (FLE) à l'UCL. Je suis convaincue que tout professeur de français doit posséder aussi des compétences en FLE, vu les publics de plus en plus hétérogènes auxquels il est confronté.
N.d.F.: Comment percevez-vous le rôle de l'ABPF en Wallonie et à Bruxelles?
C.B.: Il faut fédérer les professeurs de français de tous niveaux, de toutes sections, de la maternelle à l'entrée à l'université et en Haute École. Les amener à se rencontrer, à échanger sur leurs pratiques. Les écouter dans leurs difficultés mais aussi à propos de leurs réussites. Quel cours a bien "marché"? Pourquoi? Ce n'est pas facile, bien que notre zone géographique d'action soit petite: tout semble un problème de communication. Enfin et surtout, ne pas laisser de côté les jeunes enseignants dont on sait que beaucoup quittent ce métier, faute d'aides et de soutiens psychologiques.
N.d.F.: Quelles sont les activités que vous proposez?
C.B.: D'une manière générale, l'ABPF publie la revue "Vivre le français" quatre fois par an, organise des journées de formation notamment pour les jeunes enseignants de français et pour les professeurs de FLE ainsi que des rencontres internationales et l'accueil de professeurs étrangers.
N.d.F.: L'ABPF entretient-elle des relations particulières avec d'autres associations?
C.B.: Oui, bien évidemment. L'ABPF entretient
d'excellentes relations avec la "Belgische Vereniging Leraren Frans"
(BVLF), son association "sur" flamande, notamment dans
l'organisation du Congrès mondial des professeurs de
français, cet été à Liège. C'est
d'autant plus facile que le président de la BVLF est aussi
vice-président de la Fédération internationale
des professeurs de français (FIPF).
Chaque année l'ABPF répond à des invitations
diverses pour participer à des symposiums, des colloques, etc.
Elle va à la rencontre d'associations étrangères
pour présenter des modules de cours, des communications sur le
FLE et bien d'autres thèmes. Durant les étés
2013 et 2014, l'ABPF a reçu une quinzaine de présidents
d'associations de professeurs étrangers. Ceci pour les
sensibiliser eux et les membres de leur association à une
participation au Congrès mondial FIPF Liège
2016.
N.d.F.: Qu'attendez-vous du Congrès de cet été à Liège?
C.B.: Tout simplement pouvoir rencontrer et favoriser la rencontre entre 1.300 enseignants de français (ou davantage) venus du monde entier. Leur parler et échanger avec eux. Ce sera une belle occasion de parcourir le monde en français et de déconstruire bien des stéréotypes. Participer au Congrès nous invitera à recharger nos batteries pédagogiques; à ouvrir portes et fenêtres des salles de classe sans provoquer de tempête mais un simple courant d'air bien rafraichissant. À l'issue des débats et des échanges, nous repartirons probablement en proie à bien des questionnements.
N.d.F.: Dans le cadre de votre présidence, vous vous déplacez régulièrement à l'étranger. Quel est votre meilleur et votre pire souvenir?
C.B.: J'ai beau chercher, je n'arrive pas à trouver un
seul mauvais souvenir. Les gens qui vous accueillent sont tellement
gentils, prévenants et désireux de vous
satisfaire...
Peut-être un tout petit quelque chose: un brouet infâme
et une absence totale de café pendant une semaine dans un pays
que je nommerai pas. Mais ces nourritures terrestres valent bien peu
à côté des intellectuelles et des relations
humaines qui se nouent durablement. Quant au meilleur souvenir, il
est au Portugal, en Inde, en Roumanie, en République
tchèque... partout!
N.d.F.: Comment voyez-vous l'évolution de la place du français en Belgique et au niveau international face au "tout à l'anglais"?
C.B.: Ma formule favorite est la coexistence pacifique des
langues: anglais et français par exemple. Il existe, on le
sait, on l'entend, un engouement total pour l'anglais, obligatoire ou
en premier choix dans les options. Mais les premiers
frémissements d'une prise de conscience culturelle, qui mettra
du temps - peut-être une génération -
à voir le jour, sont déjà perceptibles. Si on
pratique "le tout à l'anglais", avec ce fameux petit bagage de
globish, permettant de communiquer en voyage par exemple, on devient
un "analphabète" au sens que ne connaitre qu'une seule langue
dans le monde d'aujourd'hui, c'est petit à petit
acquérir un statut rétréci.
Il ne faut donc pas sous-estimer la puissance et l'attraction de
l'anglais sur les publics de jeunes apprenants qui, sans trop
réfléchir, préfèrent dans un premier
temps, la "rentabilité" de l'anglais, oubliant peut-être
que la langue française, en Belgique par exemple, appartient
au patrimoine de notre pays, au même titre que l'allemand. Nous
sommes un pays trilingue à des degrés
différents: cela implique respect et considération pour
chacune de nos langues fédérales. Dès que l'on
étudie une langue, on pénètre dans la culture et
la connaissance de l'autre. Il ne nous reste plus qu'à
espérer que l'école fera passer, sans équivoque,
ce message.
N.d.F.: Et l'avenir du français en Flandre?
C.B.: Notre association "soeur" en Flandre, la BVLF, compte de
nombreux membres, très motivés qui enseignent le
français en tant que FLE. Il y a quelques années, par
exemple, lorsque le ministre de l'enseignement, Pascal Smet a
suggéré de supprimer l'enseignement obligatoire du
français, ils se sont serrés les coudes: impensable de
supprimer l'apprentissage du français en Flandre!
Il faut savoir aussi que la BVLF reçoit une aide logistique et
matérielle importante de l'Ambassade de France en Belgique,
lui permettant de développer et de promouvoir des projets
très divers, tels que le cinéma francophone. Et
finalement c'est bon pour l'avenir de la langue française en
Flandre.
Je le répète, le français, le néerlandais
tout comme l'allemand sont nos langues patrimoniales. Que veulent nos
jeunes élèves belges? Quel est leur contexte
socioculturel? Qu'entendent-ils comme propos sur chacune de nos
langues? La responsabilité des ministres de l'Éducation
de chacune des Communautés est engagée: il faut
à tous les niveaux d'enseignement maintenir "contre vents et
marées" l'apprentissage des langues officielles reconnues sur
notre territoire, mais avec des méthodes vivantes et
attractives.
propos recueillis par
Anne-Françoise COUNET
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* www.abpf.be