Nouvelles de Flandre
Petite chronique langagière: "Spoiler", néologisme de l'année

2583 lecteurs du journal Le Soir ont voté, lors du dernier trimestre 2015, pour élire "le néologisme de 2015". Le verbe "spoiler" est arrivé en tête.

Certes, spoiler a des origines latines (spoliare a donné spolier en français), mais ce n'est pas ce qui a guidé le choix des lecteurs. Pour eux, c'est un mot anglais et cela suffit pour le porter au pinacle. "Il faut bien constater que le français a cessé de créer. Il recycle..." précise le président du jury en ajoutant: "Là où le substantif est repris tel quel de l'anglais, le verbe spoiler est un vrai néologisme, car il n'existe pas en anglais." On ne peut nier que spoiler reste manifestement un anglicisme dans l'esprit de ceux qui l'ont choisi. Le vrai néologisme, c'était bien sûr divulgâcher, mot-valise proposé par les Québécois ou encore dévoileur ou tout simplement éventer qui est un mot de la langue française.

De plus, ces trois derniers mots évoquent bien l'action décrite: informer ses amis du contenu - et surtout de la fin - d'un livre, d'un film qu'on leur recommande et ainsi les priver de la joie du suspens.

Manque de créativité et phénomène de mode

Point n'est besoin d'inventer à tout bout de champ des néologismes lorsque notre langue peut exploiter ses propres ressources. Les deux mots qui suivent spoiler dans les cinq mots qui ont obtenu le plus de suffrages sont deux mots à consonance française (ubérisation, s'enjailler). Maigre consolation? Lorsqu'il y a "lacune lexicale", le français est capable (comme toutes les langues d'ailleurs) de combler ce "vide". Il l'a prouvé suffisamment de tout temps. Ne citons qu'un exemple avec le célèbre computer, remplacé dès l'origine par ordinateur. C'est donc un manque de créativité chez les décideurs et chez les usagers qui fait qu'ils se contentent de reproduire les termes anglais et bien entendu un phénomène de mode mariné dans un peu de snobisme. De plus, la consonance anglaise de "spoiler" a dû jouer un rôle décisif dans le choix des participants. J'avais voté personnellement pour ubérisation plus répandu je pense que le mot "gagnant" et qui garde une consonance française.

Il ne se passe guère de quinzaine où un anglicisme nouveau n'apparaisse dans les journaux ou dans les médias en général. Après spoiler, c'est maintenant infotainment (information spectacle) qui envahit nos écrans, nos magazines et nos radios favorites. À quoi ressemblera le prochain?

De plus, ces termes anglais sont intégrés tels quels en français alors que la langue les assimilait antérieurement (je vous parle d'un temps...) en les habillant d'un costume français et en leur imposant ses règles orthographiques et grammaticales, ce qui est de moins en moins le cas actuellement. Pensons entre autres à riding coat (redingote), packet boat (paquebot), bowl (bol), partner (partenaire) adaptés à la lan-gue française lors de leur passage de l'anglais au français, mais suivis par club, pickpocket ou jockey qui n'ont pas perdu une plume dans l'aventure.

Spoiler, un mot supplémentaire pour les futurs dictionnaires des anglicismes, mais malheureusement un nouveau pas en arrière pour la langue française!


Henry LANDROIT


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