Nouvelles de Flandre
Rectifications orthographiques: La guerre du nénufar ou du nénuphar n'aura pas lieu!

L'orthographe française suscite les passions. Elle est quasi sacrée. On ne peut y toucher. S'il est vrai que tout changement gêne, qu'il soit de signalisation ou d'habitude, le changement de graphies touche davantage. Il inquiète et développe des résistances. Pourtant, les rectifications donnent aux francophones l'occasion de désacraliser l'orthographe. Se posent trois questions.

D'abord, peut-on toucher à l'orthographe sans nuire à la langue?

Oui, parce que l'orthographe n'est pas la langue. Beaucoup les confondent. L'orthographe est le vêtement de la langue. C'est aussi un outil au service de la langue. Les œuvres de Montaigne, de Molière et de Bossuet sont écrites en français. Elles le restent aujourd'hui alors que les éditeurs en ont modernisé les graphies. Et ils les moderniseront encore. Rénover un peu l'orthographe, ce n'est donc pas assassiner la langue, ni l'appauvrir, ni la simplifier, ni opérer un nivèlement par le bas puisque l'on ne touche pas à la langue, on touche seulement à son vêtement.

Ensuite, est-il souhaitable que l'orthographe française, déjà très conservatrice, se fige entièrement?

Non. Le français n'est pas une langue morte comme le latin, c'est une langue vivante, il est donc normal que son ou ses usages évoluent. Les rectifications de 1990 montrent une évolution de l'usage, mais pas une révolution. La prononciation, le vocabulaire commun, les terminologies scientifiques et techniques, la féminisation des noms de professions évoluent. Les réformes font partie de l'évolution des usages de la langue.

De plus, en l'occurrence, il s'agit d'une saine évolution. Au cours des siècles, l'orthographe a accumulé des anomalies et des irrégularités. L'Académie française propose de mettre fin à certaines d'entre elles. Pourquoi bonhomme et bonhomie, vingt-deux et cent deux sans trait d'union? Pourquoi un porte-avions dans lequel avions s'écrit au pluriel? Les recommandations de l'Académie touchent environ 2000 mots, et souvent le changement ne concerne qu'un accent. Si toutes étaient appliquées, elles toucheraient en moyenne moins d'un mot par page. Et souvent, la réforme se réduit à modifier soit un accent aigu qui ne correspond plus à la prononciation (allégement peut s'écrire allègement), soit un accent circonflexe sur le i ou sur le u lorsque celui-ci n'apporte pas de nuance indispensable (maître peut s'écrire maitre; il connaît, il connait; août, aout; coûter, couter).

Les modifications correspondent en grande partie à l'évolution naturelle de la prononciation et des graphies. On constate ainsi que de plus en plus de personnes utilisent spontanément l'orthographe nouvelle. Comme elle va dans le sens d'une rationalisation du système, on eût pu souhaiter une mise en ordre plus ample.

Les graphies nouvelles attestent l'évolution de l'usage. Il convient de les entériner. Les correcteurs orthographiques - comme Antidote - et les dictionnaires - comme le Dictionnaire de l'Académie française, le Dictionnaire Hachette (depuis 2005) et le Petit Larousse illustré (depuis 2012) - les mentionnent toutes. Le Conseil international de la langue française (CILF, Paris) et les Conseils supérieurs de la langue française, en Belgique et au Québec, leur ont donné un avis favorable. Nombre d'auteurs, d'enseignants et d'usagers belges, québécois et suisses les utilisent. La Fédération internationale des professeurs de français (F.I.P.F.), qui organise son congrès mondial à Liège en juillet 2016, en recommande l'emploi.

Enfin, quels bénéfices les élèves retirent-ils de l'enseignement des rectifications?

Les rectifications suppriment des incohérences et des irrégularités.

- Charriot écrit avec deux r trouve sa place parmi les dérivés de char: charrue, charrette, charretier, charroi, charron, etc. - Imbécilité écrit avec un seul l s'aligne sur imbécile.

- Dans les mots terminés par -gue(s), le tréma se met sur le u effectivement prononcé. Une douleur aigüe. Des réponses ambigües.

- Les noms composés avec trait d'union du type porte-avion (verbe + nom) forment leur singulier et leur pluriel comme s'ils étaient des noms simples: seul le second élément prend la marque du pluriel, et seulement quand le nom composé est au pluriel. Un porte-avion. Deux porte-avions. - Le garde-barrière. Les garde-barrières.

- Les mots empruntés à des langues étrangères s'écrivent avec des accents conformes aux règles du français et forment leur pluriel comme les mots français. Un désidérata. Des désidératas. - Les matchs. Les weekends. Deux whiskys.

Il en résulte que le temps scolaire consacré à l'enseignement de l'orthographe traditionnelle peut être réduit au profit d'autres aspects de la langue et de la communication.

Que retenir?

Écrire en orthographe doit rester la norme. Mais il faut accepter les variantes comme les rectifications. Les graphies rectifiées correspondent à des variantes orthographiques. Aux 3000 variantes anciennes, du type clef ou clé, il payera ou il paiera, contenues dans le Petit Robert, s'ajoutent désormais 2000 variantes nouvelles. C'est tout.

L'inquiétude n'est pas de mise. La langue n'est pas touchée. De plus, les rectifications ne sont pas imposées. Elles constituent des recommandations. L'orthographe ancienne reste valable. Aucune des deux graphies ne peut être tenue pour fautive. Pendant un temps indéterminé, les deux orthographes auront à coexister.


Michèle LENOBLE-PINSON

Sites: www.orthographe-recommandee.info - www.renouvo.org


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