Nouvelles de Flandre
Michaëlle Jean sur les pas des précurseurs africains de la Francophonie, Léopold Senghor et Abdou Diouf

Progressivement, "le métier d'oratrice et de médiatrice entre" chez Michaëlle Jean, la secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui a succédé il y a deux ans au flamboyant Abdou Diouf: elle a compris que pour avoir la plus large répercussion, le plus grand "impact" comme on dit aujourd'hui, les proclamations publiques, les discours et davantage encore ces messages officiels qui ne sont pas prononcés physiquement devant une assemblée, ont intérêt à être les plus brefs possible, avec un contenu profond, puissant, interpellant.

Célébration engagée

Et c'est bien la caractéristique du message du 20 mars 2016 de Mme Jean dont vous venez de prendre connaissance: une célébration engagée, pleine d'optimisme, d'espérance et de détermination, de cette "Journée internationale de la Francophonie".

Michaëlle Jean n'y fait pas de la surenchère sur le nombre avéré ou supposé de locuteurs de français, elle s'adresse à tous les francophiles de la planète qui, en réalité, sont bien plus nombreux que ne l'attestent les chiffres additionnés des populations francophones des 80 membres, associés et observateurs de l'OIF. Elle a raison. Car la "Fête de la francophonie" est célébrée aussi, avec éclat et dans la plus large diversité culturelle et ethnique, dans un certain nombre d'Etats, et non des moindres, qui ne sont pas membres de l'OIF. Telle la République populaire de Chine, qui a étalé, sur l'étendue de son immense territoire, la célébration de la francophonie sur une période plus longue que la durée officielle - précisément du 10 au 30 mars 2016 - soit le double du temps que lui ont consacré les Etats membres de la Francophonie institutionnelle, dont la Belgique (ou plus exactement la Fédération Wallonie Bruxelles puisque la Région flamande qui compte au sein de sa population cinq pour cent de francophones quotidiens, et donc proportionnellement davantage qu'un certain nombre de pays membres de l'OIF, ne veut plus en faire partie).

Michaëlle Jean ne parle d'ailleurs pas "à" un auditoire, un groupe constitué, mais veut s'exprimer "au sein" d'une assemblée: "nous sommes des millions à fêter la francophonie sur les cinq continents", dit-elle, une communauté touchée au cœur par les attentats terroristes de 2015 et par cette idéologie de la haine distillée par les djihadistes. Interviewée le mois dernier dans le cadre des célébrations par TV5Monde, Mme Jean s'est focalisée sur le "vivre ensemble" qui est aussi le "libre ensemble" postulé, revendiqué ou vécu par la jeunesse du monde, et du monde francophone en particulier.

Elle prend à témoin les réactions suscitées sur la Toile par la plateforme libresensemble.com: en à peine quatre jours, pas moins d'un million de jeunes ont réagi sur les cinq continents. Et toujours des messages en français, "preuve que la langue française se porte bien" en général et aussi comme passerelle intercontinentale. Et justement, puisque ce point de la valeur et de la pérennité de la langue était évoqué, l'était également celui, très actuel, de ce que l'on appelle la "réforme" de l'orthographe française, qui n'est en réalité que celui des "recommandations de rectification" du langage. Délicate question pour ce héraut de la francophonie que se doit d'être la secrétaire générale de l'OIF, qui fuit comme la peste tout ce qui pourrait diviser la communauté francophone. Elle s'en est d'abord tiré par une pirouette: "je me battrai pour qu'on n'enlève jamais le tréma dans Michaëlle!".

Pouvoir des mots

Et, comme le journaliste insistait, elle a tenu à mettre les points sur "ses i". Plutôt que de graphie des mots, parlons plutôt du pouvoir des mots, ces mots de la langue de Voltaire, qu'il s'agisse d'expressions emblématiques et chargés de sens - liberté, égalité, fraternité, diversité, universalité - ou de mots, banals et quotidiens, pourtant nuancés et précis, qui sont ceux de notre langue commune: mettons plutôt l'accent - c'est le cas de le dire - sur le pouvoir du langage, les mots comme moyen de lutte, comme moyen de résistance, d'engagement, reflétant un pouvoir qui n'appartient certes pas qu'à la francophonie mais qui, comme l'Histoire l'a démontré, lui appartiennent plus spécifiquement, au travers des multiples révolutions, émancipations, libérations et développements qu'elle a suscités.

Ce qui implique un retour à "la case départ des libertés et des réfugiés". "Réfugiés" et non pas "émigrés", souligne-t-elle, car elle-même et toute sa famille furent des "réfugiés" (des citoyens qui avaient fui la dictature haîtienne de Duvalier) et non des "migrants". Ou alors qu'on renomme et revalorise ce terme de "migrants". Car toute l'histoire, toute la richesse, la réussite, le leadership même, de l'Amérique du nord (Etats-Unis et Canada) sont le fait de générations de migrants. Elle-même, jeune Haïtienne réfugiée au Canada, n'en est-elle pas un symbole vivant puisqu'en l'espace d'une génération elle est devenue Gouverneure générale du Canada (de 2005 à 2010)?

Enfin, et ceci illustre aussi - la Francophonie institutionnelle est d'ailleurs là pour le confirmer - le fait que le centre de gravité du "monde francophone" est en train de se déplacer, non pas en concurrence avec la France, mais en toute complicité avec elle, partout sur une planète de plus en plus globalisée.


André BUYSE


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