Nouvelles de Flandre
Lectures: Luc Beyer publie un essai édifiant sur la collaboration des deux guerres en Flandre: "Ils avaient leurs raisons"

Incroyable, indécrottable Luc Beyer de Ryke! L'ancien présentateur vedette (pendant 18 ans) aujourd'hui à la retraite du journal télévisé belge, journaliste de talent n'ayant jamais mis sa langue maternelle et romane - une langue ô combien châtiée! - dans sa poche, ce Flamand francophone déclaré, "engagé" même mais sans jamais verser dans la prétention ou l'arrogance - il fut membre du Conseil communal de Gand, du Conseil provincial de Flandre orientale et plus récemment du Conseil communal d'Uccle, où il réside désormais -, a réagi au quart de tour aux propos sans doute inbuvables mais certainement irresponsables de celui qui est ministre de l'Intérieur et vice-premier ministre de l'Etat belge, lorsqu'il évoqua la collaboration flamande avec l'occupant: "La collaboration? Une erreur mais ils avaient leurs raisons".

Beyer en a fait le titre de son essai historique ("historique" au sens de scientifique, sans parti pris) que viennent de publier les éditions Mols. Avec ce sous-titre purement factuel: "14-18 & 40-45. La collaboration en Flandre"*.

Preuve de sa retenue comme de son professionnalisme: il précise qu'il a cherché à comprendre, en tant qu'observateur de la vie politique et comme journaliste amoureux de l'Histoire, "les raisons" qui ont porté une partie (c'est nous qui soulignons) des Flamands à collaborer avec l'envahisseur. Il ne manque d'ailleurs pas de rapporter "qu'il y eut des résistants et des collaborateurs partout". Donc des collabos en Wallonie et à Bruxelles aussi, à peine moins nombreux qu'en Flandre. Mais avec cette différence qu'en Flandre aujourd'hui, l'héritage de cette collaboration avec l'Ordre nazi, à défaut d'être revendiqué, est assumé par le plus grand nombre.

Une propagande affichée

L'image de couverture de cet essai qui lève le voile sur un pan de l'histoire trop peu connu des francophones, parle d'elle-même. C'est une affiche de propagande figurant aux archives de la bibliothèque de l'Université de Gand. Elle porte, sous le portrait d'un soldat nazi casqué (supposé flamand) les inscriptions suivantes: Vlamingen op! (Flamands,debout!). Treedt aan in (rassemblez-vous au sein du-) SS-Standard "Westland". SS-Vrijwilligers Legioen "Vlaanderen" (SS-volontaires à la Légion "Flandre"). Meldt U aan bij (faites-vous inscrire auprès de la-) "Erganzungsstelle Flandern der Waffen-SS". Une adresse bien précise est donnée aux candidats nationalistes flamands: "Antwerpen -Koningin Elisabethlaan 22" (c'était l'adresse réelle de ce centre de recrutement à Anvers). Enfin, figuraient les initiales des mouvements nationalistes pro-nazis: V.N.V - Zwarte Brigade -N.S/J.V. De Vlag - SS-Vlaanderen". Une affiche qui était tout un programme!

Luc Beyer a interrogé des contemporains flamands de ces collabos, des descendants ou des personnes apparentées, certains ayant continué à faire de la politique (à la droite extrême bien sûr) par exemple au Conseil communal de Gand, où ils siégeaient sur les bancs d'en face...

Une quarantaine de collaborateurs

Il serait trop long - et se serait priver le lecteur de passionnantes découvertes anecdotiques dans cette saga d'un pan de l'histoire de Belgique par la lorgnette - d'énumérer les principaux acteurs de ces collaborations. Beyer en cite une bonne quarantaine dans son glossaire final, y incluant quelques francophones notoires, parmi lesquels Raymond De Becker, qui fut le rédacteur en chef du "Soir volé"... et son grand ami un certain Georges Remy, ou le Liégeois Robert Poulet, qui fonda "Le Nouveau Journal" avant d'être condamné à mort à la libération (peine commuée en exil). Mais, bizarrement, ce glossaire exclut des personnages majeurs comme le grand patron d'Agfa-Gevaert pendant la guerre, André Leysen (dont le frère aîné s'était engagé dans la Waffen-SS), ou, surtout, celui qui fut bourgmestre de Gand de 1941 à 1944 par la grâce des nazis.

Il s'agit d'Hendrik Elias, qui est mentionné sept fois et qui occupe une douzaine de pages. Sa collaboration avec l'occupant fut constante, récurrente, même si parfois qualifiée de "molle": il n'hésita pas à fournir les listes de Gantois d'origine juive et quelques semaines encore avant la libération de la Belgique, alors qu'il savait comme tout le monde que les Allemands avaient perdu la guerre, il n'hésitat pas à inciter ses troupes à continuer d'agir contre la Résistance désormais active du nord au sud du pays. L'éditorialiste du journal "La Flandre libérale" (quotidien francophone de Flandre qui parut jusque dans les années 80), Henri Van Nieuwenhuyze, évoqua, à la mort d'Elias (il avait été condamné à une lourde peine de prison), "le stoïcisme à la Montherlant" du bourgmestre pro-nazi, et plus particulièrement le "service inutile" de son engagement... et qui "revêt une obscure vocation au suicide".

Bien sûr, l'essai de Beyer aborde aussi la "Flamenpolitik" des Allemands pendant la première guerre, le "flamingantisme en soutane", notoire depuis le 19e siècle (soit le clergé flamand des campagnes, authentiquement réactionnaire), les velléités de créer une Grande Néerlande, un empire englobant la Flandre, Bruxelles et sa périphérie, les Pays-Bas et l'Afrique du sud (mais pas l'Indonésie, l'ex-empire des Indes néerlandaises dont l'énorme population s'empressa d'éradiquer toute trace du néerlandais lors de son accession à l'indépendance en 1949).

Luc Beyer clôt "cette descente dans les abysses du passé" d'une Flandre qui ne devrait plus se laisser endormir en traduisant une citation de l'écrivain flamand Stijn Streuvels: quand le jardinier dort, le diable sème la mauvaise herbe.


André BUYSE

* Ils avaient leurs raisons - 14-18 & 40-45. La collaboration en Flandre, par Luc Beyer de Ryke, Editions Mols


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