Nouvelles de Flandre
Comprendre les langues romanes, quand on est francophone? Mais, Es simplu como buongiorno!

L'intercompréhension en langues est aussi vieille que l'humanité. De tout temps les hommes ont essayé de se comprendre même s'ils parlaient des langues différentes. En Afrique, là où j'ai habité quelques années, la langue locale était le kikongo, mais il arrivait souvent que les gens discutent, dans cette langue, avec d'autres parlant le tshiluba ou le lingala. Ils faisaient de l'intercompréhension en langues bantoues.

L'idée de tirer profit de cette potentialité naturelle qui consiste à comprendre malgré les différences, pour en faire une méthode réfléchie, systématisée, est née au début des années 1990. En France, les pionnières ont été Claire Blanche Benveniste, de l'université d'Aix-en-Provence, et Louise Dabène, de Grenoble. Aujourd'hui, les travaux se poursuivent à Nice, à Rome, à Barcelone, à Madrid, à Lisbonne, mais aussi en Roumanie, à Iasi et à Bucarest, en Argentine, etc. Ils portent davantage sur la compréhension à l'orale, ce qui est plus compliqué, mais parfaitement possible.

Quel est précisément l'objet de l'intercompréhension des langues? C'est ni plus ni moins la capacité de comprendre une langue étrangère sans l'avoir apprise, et principalement s'il s'agit de langues apparentées. Chacun utilise sa langue sans maitriser celle(s) de son ou de ses interlocuteurs. On va donc entrainer les gens à la compréhension réciproque.

Des outils de formation ont été mis au point. Je ne citerai que www.europensemble.eu, ou, tout récemment, le CLOM de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF): clom-ic@francophonie.org. Il existe aussi des formations de courte durée, trois ou quatre semaines, soit vingt à trente heures de cours.

Première approche

En ce qui me concerne, j'ai mis au point une approche de la méthodologie - une initiation - sous la forme d'un atelier qui prend environ deux heures. Pour que l'expérience porte bien ses fruits, j'essaie de limiter le nombre de participants à quinze.

Une introduction théorique assez brève permet d'expliquer les origines du concept, comme je l'ai fait ci-dessus. Ensuite je rappelle ce que sont les langues romanes, ou néolatines: il y a six langues officielles plus un grand nombre de langues régionales (sarde, occitan, romanche, etc.). J'insiste sur leur parenté qui provient de leur origine commune, le latin, et aussi sur l'importance des locuteurs "latinophones" dans le monde qui sont beaucoup plus d'un milliard à l'heure actuelle, répartis sur tous les continents, même s'ils sont moins nombreux en Asie.

La phase active débute alors par l'identification des langues romanes à travers leur apparence graphique: l'exercice ne concerne en effet que l'écrit. À partir d'un tableau où apparaissent la plupart des caractéristiques principales de leur système orthographique, les participants sont amenés à reconnaitre les six langues. Ils y arrivent toujours facilement, peut-être parce que la plupart de ces signes particuliers leur sont inconsciemment familiers, mais sans doute aussi grâce à une forme d'intuition linguistique.

Mise en pratique

La partie pratique s'ouvre alors réellement avec l'essai de compréhension d'un texte en catalan et en roumain. Il s'agit du même petit texte, dans deux langues romanes un peu moins connues que d'autres (comme le seraient l'italien ou l'espagnol) afin de ne pas fausser la portée de l'activité. Il m'est arrivé de compter parmi mon public une personne qui maitrisait le roumain, j'ai été obligé de lui demander de ne pas intervenir pendant la première partie de l'exercice.

En général, je distribue d'abord le texte roumain. Je le lis à haute voix pour que les gens aient au moins une fois dans l'oreille les sonorités de cette langue. Rapidement, j'explique trois ou quatre spécificités du roumain, telles que la postposition de l'article défini (ex. lupul, le loup) ou le fait que certains mots ne dérivent pas du latin, histoire d'éviter des blocages trop sérieux dès le démarrage. Je rappelle qu'il faut procéder par hypothèses et comparaisons, par essais et erreurs, se poser beaucoup de questions, profiter, bien entendu, des analogies avec le français, et, s'ils le peuvent, avec d'anciens souvenirs de latin scolaire, ou d'autres langues, même l'anglais dont le lexique est "roman" dans une très large mesure.

Au bout de vingt minutes on fait le point: chacun propose ce qu'il a compris. On se corrige mutuellement. Quant à moi, je veille à intervenir le moins possible, puis je distribue le second texte, en catalan. Soupir de soulagement: - Oh! Ça, c'est beaucoup plus facile!

Exact, le catalan est très proche du français, mais mes apprenants oublient qu'ils ont travaillé pendant une demi-heure sur le même texte et qu'ils ont déjà fameusement défriché le terrain, même si c'était du roumain.

Analyse croisée

Dès lors, c'est un exercice croisé qui s'instaure: un va et vient entre le français qui sert de base de transfert, entre ce qui a été compris en roumain et le catalan. Pour moi, c'est toujours un vrai plaisir d'assister à leurs surprises et leurs découvertes qui sont de plus en plus nombreuses à mesure qu'ils avancent: - Luna, ça veut donc dire le mois, en roumain? La lune et le mois, c'est pareil, c'est vrai! - Els nens, en catalan, ce sont les enfants: c'est comme niños en espagnol, ou les nains en français. C'est drôle, mais c'est un peu ça quand même. Etc.

Très vite on arrive au bout. Nous faisons une mise en commun pour vérifier si tout est compris. Chacun traduit une phrase et les autres corrigent s'il reste l'une ou l'autre petite erreur ou imprécision.

Chaque fois, avant de se séparer, je demande ce qu'ils en pensent. Dans presque tous les cas, les gens sont convaincus de l'efficacité de la méthode. Évidemment, ils sont prévenus dès le départ que ce n'est qu'une approche, une "mise en bouche", comme je dis parfois en plaisantant, mais ils voient bien que ça marche et qu'en plus de comprendre les autres langues apparentées au français, l'intercompréhension fait aussi beaucoup réfléchir sur le français lui-même que nous avons tendance à employer mécaniquement, par habitude.

 

Robert MASSART


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