Nouvelles de Flandre
Claude Hagège: Rayonnement et précarité des langues humaines

Invité d'exception à la Maison de la Francité dans le cadre de son cycle "Apéro-conférence"! Claude Hagège, célèbre linguiste français, exposait, avec la faconde et l'éloquence qu'on lui connaît, son point de vue sur le rayonnement et la précarité des langues humaines.

Un homme habité par les langues

Né en 1936 à Carthage en Tunisie, ce "fou des langues" comme il se nomme (il se dit même habité par les langues), possède une connaissance approfondie dans une trentaine de langues aussi différentes et variées que l'anglais, l'arabe, le mandarin, l'hébreu, le russe, le turc, le persan, l'hindi, le malgache ou le japonais. Linguiste émérite, titulaire de la chaire de théorie linguistique au Collège de France, Claude Hagège est l'auteur de plusieurs ouvrages qui visent à éveiller les consciences à la variété et la diversité des langues.

Lors de sa conférence, même s'il n'a pas raté l'occasion de dire tout le mal qu'il pensait de l'hégémonie de la langue anglaise, Claude Hagège a pendant plus d'une heure (sans la moindre note écrite) décrit plus généralement le rôle des langues. L'orateur est passionnant à écouter. Un foisonnement d'idées, de multiples références historiques, des exemples lexicaux divers et variés. Tentative de synthèse...

La définition d'une langue

Les langues peuvent être définies d'un point de vue cognitif: elles sont une projection de nos capacités d'organiser notre univers à travers des catégories de pensée. Elles peuvent être définies aussi d'un point de vue socio-politique: les langues sont des moyens de communication entre les individus. Elles sont propres à la communication humaine. Chaque langue développe ses propres règles.

Ainsi, les langues ont, en quelques sortes, des caractéristiques humaines. Tout comme les hommes, elles connaissent une naissance, une vie et une mort. C'est le sort de toutes les langues. Aucune ne fait exception si ce n'est l'hébreu qui est la seule langue "ressuscitée". En 1948, quand le nouvel état israélien a dû faire le choix d'une langue de communication pour tous les juifs issus de pays différents venant s'installer sur ce nouveau territoire, deux possibilités s'offraient à lui. Le Yiddish, langue des juifs d'Europe mais il avait presque disparu en même temps que l'extermination de ses locuteurs. Le choix s'est donc porté sur l'hébreu, langue disparue au 6ème siècle avant notre ère parce que supplantée par l'araméen lors de l'exil de Babylone. Bien évidemment, lors de la remise en usage de l'hébreu, de nombreuses adaptations ont dû être faites, dont notamment la création de néologismes, de mots nouveaux pour désigner des objets ou concepts modernes qui n'existaient pas dans la bible.

Les langues comme moyen de revendication politique

Les langues sont envisagées comme des "espèces vivantes" et sont par là même des moyens de construction de la personnalité, de l'affirmation de l'identité nationale et des revendications politiques.

Face à l'oppresseur, les élites politiques prônent le retour à leur langue d'origine comme une façon de s'affirmer. De nombreux exemples le prouvent:

La précarité des langues

Claude Hagège ne mâche pas ses mots. Pour lui, "l'anglais est une langue oppressive, coloniale, impérialiste. L'anglais tue les autres langues". En effet, le touriste, lors de ses voyages, ne prend même plus la peine d'adresser, ne fut-ce que quelques mots, dans la langue locale. Il utilise l'anglais alors que c'est une langue étrangère pour chacun des interlocuteurs. Et quel anglais! Un anglais d'aéroport, une langue mal maitrisée, sans finesse. Une langue qui, à tort, est considérée comme facile à apprendre et à utiliser.

Or, selon Hagège, "l'anglais des autochtones est un idiome redoutable. Son orthographe, notamment, est terriblement ardue: ce qui s'écrit 'ou' se prononce, par exemple, de cinq manières différentes dans through, rough, bough, four et tour! De plus, il s'agit d'une langue imprécise, qui rend d'autant moins acceptable sa prétention à l'universalité."

Il cite l'exemple du 29 décembre 1972 où un avion s'est écrasé en Floride. La tour de contrôle avait ordonné: "Turn left, right now", c'est-à-dire "Tournez à gauche, immédiatement!" Mais le pilote avait traduit "right now" par "à droite maintenant", ce qui a provoqué la catastrophe.

Le linguiste ne part pas en guerre contre l'anglais mais contre ceux qui prétendent faire de l'anglais une langue universelle, car cette domination risque d'entraîner la disparition d'autres idiomes. Le problème est que la plupart des gens qui affirment "Il faut apprendre des langues étrangères" n'en apprennent qu'une: l'anglais. Ce qui fait peser une menace pour l'humanité tout entière.

Mais le français est aussi une langue à vocation mondiale. Elle occupe la deuxième position après l'anglais, non pas au niveau du nombre de locuteurs mais du point de vue du degré de diffusion: le français est présent sur les cinq continents alors que l'espagnol, le russe ou le chinois, langues de grande diffusion ne le sont pas.

Contrairement à ce que l'on entend souvent dire, le français n'est pas une langue menacée de l'intérieur. Les formes orales qui foisonnent telles que les verlans des cités ou les argots sont des signes de vitalité, de diversité et de dynamisme. S'il y a péril, c'est plutôt à cause de la pression extérieure de l'anglais.

L'OIF un instrument de première importance

Face à l'unilinguisme oppressif que représente l'anglais, l'Organisation internationale de la Francophonie veut promouvoir et développer l'usage du français dans la vie internationale. Cette organisation n'a pas de vocation économique comme le Commonwealth mais se veut d'être un instrument culturel et linguistique. Ce n'est pas une création française.

En 1962, suite aux négociations d'indépendance, Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Habib Bourguiba (Tunisie), Hamani Diori (Niger) et le Prince Norodom Sihanouk (Cambodge) ont voulu créer un organisme de coopération culturelle. Malgré le fait que le colonisateur, la France, leur ait soutiré un maximum de ressources pour s'enrichir, ils ont choisi de conserver ce qu'elle leur avait laissé de meilleur à savoir la langue et la culture françaises.

 

Anne-Françoise COUNET


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