Nouvelles de Flandre
Petite chronique langagière: Adapter les emprunts aux systèmes phonétique et graphique du français

Les langues se sont toujours enrichies les unes les autres par les emprunts. À la Renaissance, c'est à l'italien qu'emprunte le français: archipel, banque, ligue. Le français adopte aussi des termes d'architecture: esplanade, pilastre, tribune. Des termes d'art militaire: alarme, attaquer, cavalcade, brigand, parapet, sentinelle, solde. Les beaux-arts fournissent: ballet, concert, fresque, improviser, sérénade, solfège. La mode: feston, ombrelle, panache, veste. La gastronomie: artichaut, brocoli, cervelas, sorbet. Les mœurs en général: caprice, carrosse, courtisan, douche, gazette, majordome, politesse. Entièrement intégrés au système graphique du français, ces emprunts ne laissent pas voir leur origine italienne.

Depuis le XVIIIe siècle, les emprunts se font majoritairement à l'anglais et, à partir de 1945, à l'anglo-américain. Ce sont des termes d'économie, de politique ou de société. De plus, des termes scientifiques accompagnent les techniques et les produits qui traversent l'Atlantique. Les transferts lexicaux s'installent rapidement en français: sens, forme anglo-américaine et prononciation approximative. Contrairement aux emprunts italiens du XVIe siècle, les anglo-américanismes n'ont pas le temps de "s'habiller" à la française pour être adoptés. Même si quelques-uns se parent d'une touche française (en -age: dopage, aquaplanage), la plupart, largement diffusés par les médias, s'implantent tels quels dans l'usage. Comme ils gardent en tout ou en partie leur graphie d'origine, ils s'intègrent mal ou ne s'intègrent pas du tout dans le système du français, ce qui gêne les francophones.

Par exemple, comment écrire beefsteak ou prononcer business? L'emprunt anglais ancien beefsteak (beeft Stek en 1735) s'écrit bifteck en français actuel. Au XIXe siècle, on relève plusieurs variantes: beefteak sous la plume de Balzac, beefstake chez George Sand et beefsteck chez Simone de Beauvoir. Au XXe siècle, dans le Dictionnaire de l'Académie française (8e éd., 1932-1935), l'orthographe anglaise beefsteak reste admise à côté de bifteck. Cette dernière forme l'emporte dans la neuvième édition (2e fascicule, 1987).

Bifteck résulte de la francisation partielle de beefsteak. Les doubles voyelles anglaises ee et ea sont respectivement remplacées par des voyelles simples, i et e, courantes en français. Le digramme ck final étonne parce que le c n'appartient pas au mot anglais. Il apparaît comme une marque dépréciative du mot étranger.

L'emploi du mot s'est élargi en français: un bifteck de cheval. Deux expressions, gagner son bifteck (gagner de quoi vivre) et défendre son bifteck (défendre ses intérêts) s'utilisent dans l'usage populaire.

 

Michèle LENOBLE-PINSON


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