Michaëlle Jean, la nouvelle secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a fait ses premières armes à la tête de l'institution regroupant les 80 Etats et gouvernements ayant en partage l'usage de la langue française, en lançant un premier message général le jour de la fête de la langue française. Elle en a profité pour synthétiser son programme électoral rédigé à la veille du sommet de Dakar, rappelant qu'elle est la représentante de toutes les sensibilités, toutes les cultures et tous les engagements de pays aussi différents et complémentaires que ceux qui constituent la Francophonie et, bien sûr aussi, la porte-parole de ceux qui n'avaient que moyennement voix au chapitre: les femmes et les jeunes.

Elle y a ajouté un "plus" dans la perspective du sommet mondial sur le climat qui doit se tenir à Paris en décembre: la prise en compte de manière prioritaire des défis du développement durable et, d'une manière générale, de la recherche de solutions intergouvernementales, pour ne pas dire planétaires, aux problèmes du réchauffement climatique.

Ce faisant, elle emboite le pas de l'IFDD, l'Institut de la Francophonie pour le développement durable, une instance qui a préparé le terrain en définissant un programme d'action dans Objectif terre, l'une de ses publications.

Nous n'allons pas effectuer ici une recension exhaustive de ce programme qui, comme toute entreprise de ce genre, est une synthèse des réunions de commissions et de groupes de travail, de nature assez théorique et administrative, et donc à certains égard indigeste, préférant nous baser sur des faits et des constatations pratiques plus accessibles aux profanes.

Vanatu et le cyclone Pam

L'actualité récente nous sert bien: le cyclone Pam qui a dévasté l'archipel de Vanuatu, l'un des Etats membres de l'OIF, est encore dans toutes les mémoires. Rappelons que Vanuatu est un cas rarissime dans l'histoire de la colonisation puisque le nom de cet Etat, adopté lors de l'obtention de l'indépendance en 1980, est celui de l'ancien Condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides.

Soit une colonie administrée à la fois par la France et la Grande-Bretagne et qui, depuis 1980, est, comme le Canada, un pays souverain ayant aussi bien le français que l'anglais comme langues officielles, parlées à parts égales par les 270.000 habitants de cet archipel de 80 îles totalisant plus de 12.000 km2, soit plus du tiers de la Belgique, ce qui, pour le Pacifique, en fait un des Etats insulaires les plus étendus.

Un Etat où l'influence française reste significative... comme en atteste le fait qu'ici, à l'inverse des autres anciennes colonies anglaises, on roule à droite! Mais revenons au cyclone Pam - de force 5 soit l'un des plus virulents qui soit - qui a dévasté les 22 îles habitées, détruisant une grande partie des cultures vivrières (revenu essentiel de l'archipel), des routes, infrastructures et bâtiments en dur (qui conditionnent les revenus accessoires des îliens que sont les activités touristiques).

Eh bien, ce cyclone qui est l'un des plus dévastateurs des dernières décennies, n'aurait fait qu'une trentaine de victimes mortelles et une centaines de blessés, taux ridiculement bas, compte non tenu bien entendu du risque de famine à moyen terme.

Pourquoi ce miracle? A cause des pratiques de développement durable en vigueur depuis des temps ancestraux chez les habitants de cet archipel isolé, resté à l'écart de la croissance et de la modernité tous azimuts, objectifs majeurs de la plupart des autres "pays prétendument en développement".

Et d'abord les habitations: elles ne sont ni en dur ni même majoritairement en tôles ondulées et parpaing. Elles sont en matériaux naturels locaux: bois et feuille de palmier, toitures basses et en pente douce, logements semi enterrés, avec réserves protégées pour le stockage des aliments conservables, salables ou séchables (produits de la mer), présence de puits d'eau potable dans chaque hameau, recyclage artisanal mais systématique des produits d'emballages, textiles et autres matériaux et produits usagés, utilisation de l'huile de palme pour l'éclairage, etc.

En d'autres termes, une mise en application, comme dans l'Etat himalayen du Bhoutan, du critère du "bonheur intérieur brut" plutôt que de celui de la croissance aveugle du PIB! Ou, dit autrement dans l'esprit de l'Objectif terre de l'OIF, la mise en œuvre systématique, sur le terrain, du "développement durable".

Une leçon salutaire

A défaut d'être un exemple, irréaliste pour la plupart de nos économies hyper-industrialisées et consuméristes, cette attitude peut être pour nous une leçon salutaire, mais également égalitaire et humanitaire, car maints analystes du climat (dont ceux du GIEC) ont décrété que l'ouragan Pam ne devait rien au hasard mais - presque - tout au réchauffement climatique, ce problème mondial devenu le défi de nos sociétés et de l'OIF en particulier, tel que l'a rappelé la secrétaire générale Michaëlle Jean... elle dont les aïeuls haïtiens savaient mieux que quiconque ce que le mot précarité veut dire.

Et l'on en revient aux paradigmes de l'OIF et du prochain sommet de Paris: l'origine humaine du changement climatique est un fait établi. Il faut revoir au niveau planétaire l'agenda du développement durable et c'est même devenu un leitmotiv pour les responsables de la Francophonie.

Mais ceci implique au préalable la prise de conscience par le plus grand nombre de ce que le cyclone destructeur Pam, et tant d'autres avec lui, ne sont pas des caprices de dame Nature... mais des monstres engendrés par l'ignorance et l'indifférence de notre monde civilisé, notamment celles des populations des quatre-vingt pays de l'OIF, à l'égard du "développement durable".

André BUYSE