N.d.F.: Si vous deviez vous présenter en quelques mots?
F.B.: Il est toujours difficile de se présenter!
Quelqu'un comparait un jour la vie à la musique: nous nous
présentons tous à la naissance comme un instrument, un
violon, par exemple, bon ou moins bon, mais qui sera le nôtre
toute notre vie, autrement dit, un instrument avec lequel "il faudra
faire avec"; la jeunesse, c'est le temps où l'on vous apprend
à jouer de votre instrument (de votre organisation, dirait
George Sand); et votre vie, ce sera l'air qu'on entendra. J'ai
toujours trouvé la comparaison très juste.
Personnellement, mes gènes m'ont dotée, je crois, non
d'un stradivarius évidemment, mais pas non plus d'un
bête crincrin. Cordes innées principales: le gout de
l'indépendance, la joie de vivre, la compassion.
Mais c'est à mes parents que je dois de m'avoir
merveilleusement permis d'en jouer sur toutes les cordes dans les
jeux, les sports, les études, les mouvements de jeunesse,
l'ouverture aux autres, et surtout, surtout, à travers les
livres, les livres partout et toujours! Une éducation
grâce à laquelle toute ma vie et jusqu'au milieu de
l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible
été, comme écrivait Camus...
N.d.F.: Comment avez-vous été amenée à vous tourner vers l'écriture?
F.B.: Mais écriture et lecture ne font qu'un, de l'une
dépend l'autre, l'une et l'autre s'ensuivent et presque
fusionnent! Je ne savais pas encore lire que pour me faire tenir
tranquille, ma mère me mettait un album entre les mains;
à cinq ans, je savais par cur les contes qu'elle me
lisait le soir; et je me souviens, comme si c'était d'hier, de
ma première leçon d'écriture, du livre dans
lequel j'ai appris les premières lettres, du cahier Le Semeur
à deux lignes où j'écrivais p a p a: un
éblouissement!
Je ne me souviens pas, enfant, avoir écrit moi-même de
petites histoires, mais, adolescente, j'aimais les rédactions
que nous avions à faire chaque semaine et, en plus de la
mienne, j'écrivais volontiers, pour le plaisir, celles
d'autres élèves de ma classe.
J'ai aussi tenu très vite mon propre journal...
Écriture et lecture ont été les deux cordes
essentielles de toute ma vie.
N.d.F.: Vous avez vécu en Afrique, cela a dû influencer votre parcours?
F.B.: Oui, mais moins sans doute que le Brabant wallon, que la petite Bruxelloise que j'étais découvrait à six ans dans des circonstances si exceptionnelles qu'elles allaient influencer toute sa vie future! Mais l'Afrique, oui, ce fut l'une des découvertes les plus extraordinaires de ma vie, surtout le premier voyage que j'y ai fait en traversant au Congo toute la Province Orientale et le Kivu, dans des circonstances là aussi exceptionnelles et que j'ai plus tard relatées sous forme romancée dans mon livre L'herbe naïve.
N.d.F.: Le grammairien André Goosse a aussi croisé votre route...
F.B.: Oh oui, et ça, c'est une autre merveilleuse
histoire, vous savez. Jolie comme un conte, mais un conte VRAI, dont
le fil rouge est l'amour de la langue française. À 13
ans, je le voyais - de loin - pour la première fois:
il était le fiancé de mon professeur de français
en 6e latine, Marie-Thérèse Grevisse; à 16 ans,
je le revoyais en rendant visite à Mlle Grevisse devenue Mme
Goosse, qui venait d'avoir son premier enfant, et je le saluais en
tirant une révérence, ce dont, amusé, il garde
le souvenir aujourd'hui encore!
Le hasard, plus tard, nous fit nous établir dans deux villages
voisins du Brabant wallon...
En 1985, je me trouvai chargée par les éditions
Duculot, éditeur de mes propres livres, du lancement dans la
presse du Bon usage 1986 de Grevisse et Goosse, dont, hélas,
'Miti', décédée à la fin de
l'année, n'eut pas la joie de voir paraitre l'édition.
Et, en 1986, quand je suis allée, compatissante devant le
deuil qui le frappait, dire bonjour à Monsieur Goosse, comment
aurions-nous pu, l'un et l'autre, un seul instant prévoir que
nos routes qui depuis quarante années amicalement se
croisaient, allaient se rejoindre pour n'en faire plus qu'une?! Et
nous voici, le grammairien, la romancière et la langue
française, merveilleusement mariés depuis bientôt
trente autres années et, de plus, dans cet invincible
été dont parlait Camus!
N.d.F.: L'écriture a toujours tenu une place importante dans votre parcours, c'est sans doute la raison pour laquelle vous avez été présidente de l'Association des écrivains belges?
F.B.: Oui et non... Oui, mais par un autre chemin et d'autres
intervenants que la seule écriture qui en est cependant
à l'origine. En 1975, les éditions Duculot cherchaient
un écrivain belge pouvant leur proposer des contes pour une
nouvelle collection qu'elles voulaient rapidement lancer et, comme
ils n'en trouvaient pas, c'est Marie-Thérèse
Goosse-Grevisse, auteur de la maison, qui les orienta vers moi, son
ancienne élève, qui avais toujours écrit, mais
pour mon seul plaisir, sans avoir jamais songé ni
cherché à être publiée! D'où, mon
premier livre avec des contes sortis de mes tiroirs.
En 1986, Duculot devenant l'éditeur de la Revue
générale, me proposait de représenter la Maison
au sein du Comité de Rédaction présidé
alors par Georges Sion. J'ai dit oui.
L'année suivante, le même Georges Sion me demandait de
succéder à l'un des directeurs de la Rédaction
inopinément décédé. J'ai dit oui.
Et c'est le même Georges Sion qui, en 1993, me proposait,
à ma grande surprise, d'entrer au Conseil d'administration de
l'Association des écrivains belges et, en 1994, à ma
surprise plus grande encore, de bien vouloir être candidate
à la succession de Roger Foulon, qui, pour des raisons de
santé, souhaitait démissionner de son poste de
président. J'ai encore dit oui, non sans quelque
hésitation toutefois, vu le travail important que me demandait
déjà la Revue générale...
J'ai été élue et j'ai présidé
l'Association pendant 16 ans pour en être nommée
présidente d'honneur par l'Assemblée
générale lors de ma fin de mandat en 2010. Un merci qui
m'a laissé penser que je n'avais pas trop mal fait le
boulot...
N.d.F.: La Revue générale fête cette année ses 150 ans. En 1865, quelles étaient les motivations pour mettre sur pied une telle revue?
F.B.: En 1865, il n'existait pas de revue en Belgique,
seulement des quotidiens se bornant le plus souvent à
n'enregistrer qu'actualités politiques et faits divers. Une
revue offrant un spectre d'informations et de réflexions plus
large couvrant, outre la politique, l'actualité
économique, sociale, littéraire, scientifique,
artistique, etc. comme il en existait déjà en France,
en Angleterre, en Allemagne ou aux États-Unis, était
donc nécessaire.
Deux grands partis politiques se partageaient alors le pays: les
libéraux, bien organisés déjà dans la
presse, et les catholiques, plus conservateurs, mais très
ouverts déjà aux questions sociales. Ce sont eux qui,
en janvier 1865, prirent l'initiative de la création de la
Revue générale, en confiant la direction à un
ancien journaliste et avocat, Édouard Ducpétiaux. Le
premier numéro précisait toutefois dans son
introduction que la Revue générale, admettant la
diversité des appréciations, n'entendait imposer aucun
programme ni imprimer à la revue une direction unique.
La Revue générale de janvier 2015 reproduit en hommage
à ses fondateurs, le texte de cette enthousiaste
première introduction et la ligne de conduite avec laquelle,
150 ans plus tard, elle reste fondamentalement attachée:
réflexion, culture, respect des droits de l'homme, souci
d'évolution et liberté d'expression!
N.d.F.: En tant que responsable de cette publication, vous avez probablement dû gérer des moments riches mais aussi de stress. Quel est votre meilleur et votre pire souvenir?
F.B.: Difficile de choisir parmi les meilleurs souvenirs
tellement ils sont nombreux! Peut-être, parmi eux, ces
réunions estivales où, sous les arbres de Hamme-Mille,
se retrouvaient tous les auteurs et collaborateurs de l'année
écoulée et les merveilleuses rencontres que, de
façon très conviviale, ces champêtres
réunions permettaient! Vous vous en souvenez, je crois,
non?...
Le pire souvenir? En 2014, quand le Ministère de la Culture et
la Promotion des Lettres, qui en avaient toujours assumé la
charge jusque-là, ont supprimé des abonnements de la
Revue générale à un nombre important de
bibliothèques publiques. Un coup très dur. Mais,
fluctuat non mergitur, les temps certainement redeviendront meilleurs
et nous gardons confiance en l'avenir...
N.d.F.: Nous vous connaissons depuis de nombreuses années, notamment parce qu'André Goosse et vous, dès les premiers instants, avez apporté votre soutien à la création de notre association l'A.P.F.F. Que pensez-vous de la situation actuelle de la minorité francophone en Flandre?
F.B.: Nous y restons, comme vous le savez, extrêmement
attentifs, tenus grâce à vous très au courant
grâce aux contacts entre nous, à vos Nouvelles de
Flandre et à l'action, si précieuse, si
justifiée loin de tout but politique, de l'Association pour la
promotion de la Francophonie en Flandre qui multiplie ses efforts
pour que le français, l'une des langues officielles en
Belgique, ait en Flandre les droits qui lui reviennent.
La Revue générale, qui, au siècle dernier a
reconnu le bien fondé des droits fondamentaux linguistiques de
la Flandre, ne peut aujourd'hui que s'associer et appuyer au maximum
la Francophonie de Flandre pour que soient officiellement reconnus en
Flandre ses droits de minorité linguistique tels que les
reconnaissent le Conseil de l'Europe et l'ONU. Nous ne pourrons
jamais assez vous remercier pour l'action si justifiée que,
à travers l'A.P.F.F., vous menez en ce sens.
Mais, Ces jours qui te semblent vides/Et perdus pour l'univers/Ont
des racines avides/Qui travaillent les déserts [...]
Patient, patience,/Patience dans l'azur! (Valéry): vous
finirez par y arriver!
N.d.F.: La francophonie vous tient à cur. Que vous inspire le thème de la journée de la francophonie cette année "J'ai à cur ma planète"?
F.B.: Là, c'est du climat qu'il s'agit! Comment n'y
être pas sensible, en Francophonie et partout, à l'heure
où la dégradation du climat devient telle qu'elle
demande une réaction urgente à la fois
planétaire et personnelle!
Bravo à Michaëlle Jean, la Secrétaire
générale de la Francophonie, pour avoir invité
les jeunes et les organisations de la jeunesse francophones à
se mobiliser pour tous ensemble lutter contre ces dangers
climatiques!
N.d.F.: Dans une société dominée par l'information quasi instantanée, comment voyez-vous l'avenir de la Revue générale ?
F.B.: Comme un outil de plus en plus indispensable pour continuer à prendre en toutes circonstances à la fois le recul et la hauteur nécessaires à la réflexion! De plus en plus conscients que nous ne vivons pas une crise, mais un changement profond de société, garder l'il attentif à l'actualité, au numérique, aux réseaux sociaux et à l'évolution nécessaire de la revue elle-même, mais en conservant et la tête et le cap sans se laisser emporter par le flot!
propos recueillis par
Anne-Françoise COUNET