Nouvelles de Flandre
Rencontre avec France Bastia, écrivain, directeur de la "Revue générale"
et passionnée de la langue française




N.d.F.: Si vous deviez vous présenter en quelques mots?

F.B.: Il est toujours difficile de se présenter! Quelqu'un comparait un jour la vie à la musique: nous nous présentons tous à la naissance comme un instrument, un violon, par exemple, bon ou moins bon, mais qui sera le nôtre toute notre vie, autrement dit, un instrument avec lequel "il faudra faire avec"; la jeunesse, c'est le temps où l'on vous apprend à jouer de votre instrument (de votre organisation, dirait George Sand); et votre vie, ce sera l'air qu'on entendra. J'ai toujours trouvé la comparaison très juste.
Personnellement, mes gènes m'ont dotée, je crois, non d'un stradivarius évidemment, mais pas non plus d'un bête crincrin. Cordes innées principales: le gout de l'indépendance, la joie de vivre, la compassion.
Mais c'est à mes parents que je dois de m'avoir merveilleusement permis d'en jouer sur toutes les cordes dans les jeux, les sports, les études, les mouvements de jeunesse, l'ouverture aux autres, et surtout, surtout, à travers les livres, les livres partout et toujours! Une éducation grâce à laquelle toute ma vie et jusqu'au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été, comme écrivait Camus...

N.d.F.: Comment avez-vous été amenée à vous tourner vers l'écriture?

F.B.: Mais écriture et lecture ne font qu'un, de l'une dépend l'autre, l'une et l'autre s'ensuivent et presque fusionnent! Je ne savais pas encore lire que pour me faire tenir tranquille, ma mère me mettait un album entre les mains; à cinq ans, je savais par cœur les contes qu'elle me lisait le soir; et je me souviens, comme si c'était d'hier, de ma première leçon d'écriture, du livre dans lequel j'ai appris les premières lettres, du cahier Le Semeur à deux lignes où j'écrivais p a p a: un éblouissement!
Je ne me souviens pas, enfant, avoir écrit moi-même de petites histoires, mais, adolescente, j'aimais les rédactions que nous avions à faire chaque semaine et, en plus de la mienne, j'écrivais volontiers, pour le plaisir, celles d'autres élèves de ma classe.
J'ai aussi tenu très vite mon propre journal... Écriture et lecture ont été les deux cordes essentielles de toute ma vie.

N.d.F.: Vous avez vécu en Afrique, cela a dû influencer votre parcours?

F.B.: Oui, mais moins sans doute que le Brabant wallon, que la petite Bruxelloise que j'étais découvrait à six ans dans des circonstances si exceptionnelles qu'elles allaient influencer toute sa vie future! Mais l'Afrique, oui, ce fut l'une des découvertes les plus extraordinaires de ma vie, surtout le premier voyage que j'y ai fait en traversant au Congo toute la Province Orientale et le Kivu, dans des circonstances là aussi exceptionnelles et que j'ai plus tard relatées sous forme romancée dans mon livre L'herbe naïve.

N.d.F.: Le grammairien André Goosse a aussi croisé votre route...

F.B.: Oh oui, et ça, c'est une autre merveilleuse histoire, vous savez. Jolie comme un conte, mais un conte VRAI, dont le fil rouge est l'amour de la langue française. À 13 ans, je le voyais - de loin - pour la première fois: il était le fiancé de mon professeur de français en 6e latine, Marie-Thérèse Grevisse; à 16 ans, je le revoyais en rendant visite à Mlle Grevisse devenue Mme Goosse, qui venait d'avoir son premier enfant, et je le saluais en tirant une révérence, ce dont, amusé, il garde le souvenir aujourd'hui encore!
Le hasard, plus tard, nous fit nous établir dans deux villages voisins du Brabant wallon...
En 1985, je me trouvai chargée par les éditions Duculot, éditeur de mes propres livres, du lancement dans la presse du Bon usage 1986 de Grevisse et Goosse, dont, hélas, 'Miti', décédée à la fin de l'année, n'eut pas la joie de voir paraitre l'édition. Et, en 1986, quand je suis allée, compatissante devant le deuil qui le frappait, dire bonjour à Monsieur Goosse, comment aurions-nous pu, l'un et l'autre, un seul instant prévoir que nos routes qui depuis quarante années amicalement se croisaient, allaient se rejoindre pour n'en faire plus qu'une?! Et nous voici, le grammairien, la romancière et la langue française, merveilleusement mariés depuis bientôt trente autres années et, de plus, dans cet invincible été dont parlait Camus!

N.d.F.: L'écriture a toujours tenu une place importante dans votre parcours, c'est sans doute la raison pour laquelle vous avez été présidente de l'Association des écrivains belges?

F.B.: Oui et non... Oui, mais par un autre chemin et d'autres intervenants que la seule écriture qui en est cependant à l'origine. En 1975, les éditions Duculot cherchaient un écrivain belge pouvant leur proposer des contes pour une nouvelle collection qu'elles voulaient rapidement lancer et, comme ils n'en trouvaient pas, c'est Marie-Thérèse Goosse-Grevisse, auteur de la maison, qui les orienta vers moi, son ancienne élève, qui avais toujours écrit, mais pour mon seul plaisir, sans avoir jamais songé ni cherché à être publiée! D'où, mon premier livre avec des contes sortis de mes tiroirs.
En 1986, Duculot devenant l'éditeur de la Revue générale, me proposait de représenter la Maison au sein du Comité de Rédaction présidé alors par Georges Sion. J'ai dit oui.
L'année suivante, le même Georges Sion me demandait de succéder à l'un des directeurs de la Rédaction inopinément décédé. J'ai dit oui.
Et c'est le même Georges Sion qui, en 1993, me proposait, à ma grande surprise, d'entrer au Conseil d'administration de l'Association des écrivains belges et, en 1994, à ma surprise plus grande encore, de bien vouloir être candidate à la succession de Roger Foulon, qui, pour des raisons de santé, souhaitait démissionner de son poste de président. J'ai encore dit oui, non sans quelque hésitation toutefois, vu le travail important que me demandait déjà la Revue générale...
J'ai été élue et j'ai présidé l'Association pendant 16 ans pour en être nommée présidente d'honneur par l'Assemblée générale lors de ma fin de mandat en 2010. Un merci qui m'a laissé penser que je n'avais pas trop mal fait le boulot...

N.d.F.: La Revue générale fête cette année ses 150 ans. En 1865, quelles étaient les motivations pour mettre sur pied une telle revue?

F.B.: En 1865, il n'existait pas de revue en Belgique, seulement des quotidiens se bornant le plus souvent à n'enregistrer qu'actualités politiques et faits divers. Une revue offrant un spectre d'informations et de réflexions plus large couvrant, outre la politique, l'actualité économique, sociale, littéraire, scientifique, artistique, etc. comme il en existait déjà en France, en Angleterre, en Allemagne ou aux États-Unis, était donc nécessaire.
Deux grands partis politiques se partageaient alors le pays: les libéraux, bien organisés déjà dans la presse, et les catholiques, plus conservateurs, mais très ouverts déjà aux questions sociales. Ce sont eux qui, en janvier 1865, prirent l'initiative de la création de la Revue générale, en confiant la direction à un ancien journaliste et avocat, Édouard Ducpétiaux. Le premier numéro précisait toutefois dans son introduction que la Revue générale, admettant la diversité des appréciations, n'entendait imposer aucun programme ni imprimer à la revue une direction unique.
La Revue générale de janvier 2015 reproduit en hommage à ses fondateurs, le texte de cette enthousiaste première introduction et la ligne de conduite avec laquelle, 150 ans plus tard, elle reste fondamentalement attachée: réflexion, culture, respect des droits de l'homme, souci d'évolution et liberté d'expression!

N.d.F.: En tant que responsable de cette publication, vous avez probablement dû gérer des moments riches mais aussi de stress. Quel est votre meilleur et votre pire souvenir?

F.B.: Difficile de choisir parmi les meilleurs souvenirs tellement ils sont nombreux! Peut-être, parmi eux, ces réunions estivales où, sous les arbres de Hamme-Mille, se retrouvaient tous les auteurs et collaborateurs de l'année écoulée et les merveilleuses rencontres que, de façon très conviviale, ces champêtres réunions permettaient! Vous vous en souvenez, je crois, non?...
Le pire souvenir? En 2014, quand le Ministère de la Culture et la Promotion des Lettres, qui en avaient toujours assumé la charge jusque-là, ont supprimé des abonnements de la Revue générale à un nombre important de bibliothèques publiques. Un coup très dur. Mais, fluctuat non mergitur, les temps certainement redeviendront meilleurs et nous gardons confiance en l'avenir...

N.d.F.: Nous vous connaissons depuis de nombreuses années, notamment parce qu'André Goosse et vous, dès les premiers instants, avez apporté votre soutien à la création de notre association l'A.P.F.F. Que pensez-vous de la situation actuelle de la minorité francophone en Flandre?

F.B.: Nous y restons, comme vous le savez, extrêmement attentifs, tenus grâce à vous très au courant grâce aux contacts entre nous, à vos Nouvelles de Flandre et à l'action, si précieuse, si justifiée loin de tout but politique, de l'Association pour la promotion de la Francophonie en Flandre qui multiplie ses efforts pour que le français, l'une des langues officielles en Belgique, ait en Flandre les droits qui lui reviennent.
La Revue générale, qui, au siècle dernier a reconnu le bien fondé des droits fondamentaux linguistiques de la Flandre, ne peut aujourd'hui que s'associer et appuyer au maximum la Francophonie de Flandre pour que soient officiellement reconnus en Flandre ses droits de minorité linguistique tels que les reconnaissent le Conseil de l'Europe et l'ONU. Nous ne pourrons jamais assez vous remercier pour l'action si justifiée que, à travers l'A.P.F.F., vous menez en ce sens.

Mais, Ces jours qui te semblent vides/Et perdus pour l'univers/Ont des racines avides/Qui travaillent les déserts [...] Patient, patience,/Patience dans l'azur! (Valéry): vous finirez par y arriver!

N.d.F.: La francophonie vous tient à cœur. Que vous inspire le thème de la journée de la francophonie cette année "J'ai à cœur ma planète"?

F.B.: Là, c'est du climat qu'il s'agit! Comment n'y être pas sensible, en Francophonie et partout, à l'heure où la dégradation du climat devient telle qu'elle demande une réaction urgente à la fois planétaire et personnelle!
Bravo à Michaëlle Jean, la Secrétaire générale de la Francophonie, pour avoir invité les jeunes et les organisations de la jeunesse francophones à se mobiliser pour tous ensemble lutter contre ces dangers climatiques!

N.d.F.: Dans une société dominée par l'information quasi instantanée, comment voyez-vous l'avenir de la Revue générale ?

F.B.: Comme un outil de plus en plus indispensable pour continuer à prendre en toutes circonstances à la fois le recul et la hauteur nécessaires à la réflexion! De plus en plus conscients que nous ne vivons pas une crise, mais un changement profond de société, garder l'œil attentif à l'actualité, au numérique, aux réseaux sociaux et à l'évolution nécessaire de la revue elle-même, mais en conservant et la tête et le cap sans se laisser emporter par le flot!

 

propos recueillis par
Anne-Françoise COUNET


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