Nouvelles de Flandre
Sommet de Dakar: L'inquiétude au cœur de la réussite

Apparemment, le Sommet de Dakar n'a pas chômé. En deux jours, les 29 et 30 novembre, on a salué douze années exceptionnelles d'Abdou Diouf à la tête de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), on a intronisé par consensus sans vote la Canadienne Michaëlle Jean, on a admis trois nouveaux observateurs (Costa Rica, Kosovo et Mexique), on a adopté une feuille de route substantielle, avec une déclaration et neuf résolutions, on a défini de nouvelles stratégies pour l'économie et pour la jeunesse, on a adoubé Madagascar pour la tenue du prochain Sommet en 2016.

Le tout s'est passé - à 40km de la capitale il est vrai - dans les bâtiments neufs et sécurisés d'un centre de congrès ultra-moderne qui portera le nom d'Abdou Diouf au cœur d'une future ville nouvelle dont Dakar a bien besoin pour se décongestionner.

Pas de couacs sécuritaires, pas d'irruption fâcheuse d'ebola. Pas ou peu de contestation de l'opposition sénégalaise malgré le refus d'Abdoulaye Wade d'honorer l'invitation de son successeur Macky Sall. Un logo à la crinière multicolore conquérante. Un village de la Francophonie festif et universel. Dix et cent manifestations et colloques spécialisés à résonnance francophone dans tout le Sénégal.

Alors, d'où vient ce sentiment persistant d'insatisfaction?

La succession, d'abord: la barre avait été placée très haut par Abdou Diouf, en trois mandats exceptionnels couronnés par le développement de la francophonie politique, de son poids dans la résolution des conflits du continent africain notamment.

Trop haut pour que Michaëlle Jean rassure, elle qui n'a jamais géré autre chose que les relations publiques de la reine d'Angleterre, elle dont le poids spécifique ne dépasse guère sa personnalité - par ailleurs attachante? Sa désignation par consensus résigné face aux divisions africaines est grosse de futures désillusions ou contestations.

Seul candidat africain crédible, appliqué, avec un programme réaliste, et représentant d'un pays multiculturel à la réussite économique exemplaire, le Mauricien Jean-Claude de l'Estrac n'a pu s'empêcher d'afficher sa déception compréhensible quand les Africains n'ont pas même imaginé qu'il puisse supplanter un ancien chef d'Etat putschiste Pierre Buyoya, un ambassadeur estimé mais atteint par la limite d'âge Henri Lopes, ou le représentant d'un Etat dictatorial et hispanophone, l'Equato-guinéen Agustin Nze Nfumu.

Auréolé de sa - courageuse - visite surprise anti-ebola en Guinée, la veille du Sommet, François Hollande aura finalement évité le vote, mais laissé largement prise aux soupçons de manipulation des deux grands bailleurs de fonds de l'organisation, la France et le Canada. Avec un dommage collatéral de taille: le départ obligé de la cheville ouvrière des dossiers concrets de l'OIF, le Québécois Clément Duhaime, administrateur.

Il faudra du talent à la nouvelle secrétaire générale pour gérer et déminer les frustrations, pour gagner à la fois la bataille de la présence externe et de l'organisation interne. Elle n'a pas fait l'unanimité en prononçant la fin de son discours d'intronisation... en anglais, même si c'était pour la télévision canadienne!

L'élargissement, ensuite: après le Qatar et l'Ukraine au précédent Sommet, on a admis le Mexique (qui a certes une vieille histoire conflictuelle avec la France), le Kosovo (qui a certes été administré par le Français Bernard Kouchner), et le Costa Rica (qui a certes une vieille élite francophone).

Voici donc 80 Etats associés, soit plus du tiers des Etats composant l'ONU, dont 57 membres à part entière, et 32 seulement qui ont établi le français comme langue officielle. Certes la francophonie et ses valeurs vont au-delà de la langue; certes l'attirance du club francophone fait honneur à ses dirigeants. Mais le risque de dilution des programmes et des préoccupations n'est-il pas en vue?

La feuille de route, encore: la Déclaration de Dakar est ambitieuse, à juste titre; les neuf déclarations ne manquent pas de pertinence. Mais où sont les moyens pour les appliquer et les mettre en œuvre, réellement?

Le budget autour de 80 millions d'euros est d'autant plus étriqué que la France a réduit sa contribution de moitié en quatre ans, et que le Canada n'a pas financé à la hauteur de ses ambitions. Peut-être cela-va-t-il évoluer... Il le faudra bien si on veut tout à la fois lutter contre le terrorisme, se battre contre l'impunité politique, contre les atteintes aux droits de l'homme, contre les discriminations envers les femmes, renforcer les actions communes sur les moyens d'éducation, éradiquer l'inculture et la pauvreté... Pour l'instant, François Hollande a obtenu le soutien des Francophones pour accord universel et ambitieux lors de la conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015. C'est déjà ça.

La gageure économique, enfin: dans la foulée du rapport Attali, novateur, convaincant sur les opportunités, mais largement peuplé de bonnes intentions, le Forum économique francophone qui faisait suite au Sommet a été un lieu d'échanges, de propositions, mais pas encore de décisions claires, courageuses, innovantes et hardies sur les frontières économiques, les facilités d'échanges et de visas dans la totalité de l'espace francophone.

On observe avec satisfaction que les investisseurs en Afrique, chinois notamment, apprennent le français_! Reste du pain sur la planche pour généraliser en Francophonie les taux de croissance de 5 ou 6% qu'affiche l'Afrique. La nouvelle secrétaire générale a axé son premier discours sur ce thème de la "francophonie économique", avec une volonté de réduire les inégalités entre pays membres par le développement. Là aussi elle sera très attendue.

 

Loïc HERVOUET

Informations: www.francophonie.org/15e-Sommet-de-la-Francophonie.html

 

Prochain Sommet à Madagascar

La désignation de Madagascar pour la tenue du prochain Sommet en 2016 est symbolique de l'attachement de l'OIF à la légalité constitutionnelle: le sommet avait été retiré à ce pays lors du putsch mené contre Marc Ravalomanana. L'OIF n'a pas ménagé ses efforts, avec succès, pour rétablir l'ordre constitutionnel dans le pays. Elle renforce à cette occasion son soutien au président élu Hery Rajaonarimampianina. (LH)


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