Nouvelles de Flandre
La Francophonie à l'épreuve des médias

Quel avenir pour les jeunes lecteurs et rédacteur de la presse numérique en Afrique francophone? Tel est l'enjeu des 15e Assises de l'Union internationale de la presse francophone (UPF) en novembre à Dakar.

En prélude au 15e sommet de la Francophonie, l'UPF, sœur aînée de l'OIF se voulant la "camarade de combat" de celle-ci sur le plan des médias, organise ses assises annuelles une semaine avant le sommet, soit du 19 au 23 novembre, à Dakar également (*).

"Jeunes et médias: les défis du numérique"

Alors que le thème du Sommet 2014 de l'OIF est "Femmes et jeunes en Francophonie, vecteurs de paix, acteur de développement", thème volontairement neutre et pour ainsi dire - nécessairement - fourre-tout en cette période de dérèglement politique et moral au niveau mondial, celui des assises de l'UPF, visiblement inspiré du premier, ne l'est pas moins: "Jeunes et médias: les défis du numérique". Avec une série de "tables rondes" qu'on peut considérer comme des sous-thèmes: "jeunes et médias: comment s'informer aujourd'hui?", "Le développement des réseaux sociaux et les pratiques journalistiques", "la francophonie à l'épreuve des médias numériques", "quel avenir pour les médias traditionnels?", "nouveaux journalistes, nouvelles formations".

Si le thème choisi pour le sommet "tient bien la route" malgré le caractère généraliste de son titre, et cela parce que le champ d'action et les enjeux des sommets de l'OIF sont avant tout de nature politique, celui choisi par l'UPF, une organisation spécifique, très ciblée, dont la raison d'être est la défense et la promotion de la langue française (limitée aux médias d'information, comme l'atteste le mot Presse) dans le respect de l'Etat de droit en particulier celui du droit à la liberté de la presse, ne va pas de soi. Du moins pas à première vue.

En effet, ce thème et ces sous-thèmes sont clairement des enjeux qui se posent à l'ensemble de la presse, et plus largement, des médias, dans le monde entier et sous tous les régimes politiques, linguistiques, démocratiques ou totalitaires. Ils ne sont pas spécifiques à la presse francophone puisqu'ils relèvent d'un phénomène de civilisation, des conséquences de ce que l'on a pu appeler une révolution copernicienne au niveau de la planète. Vu les circonstances, vu le lieu des assises (Dakar, une des métropoles de l'Afrique noire francophone), vu l'avenir démographique de la francophonie mondiale, ils ont pourtant une justification réelle.

Hormis une minorité de pays africains francophones émergents ou en voie de l'être (Sénégal, Algérie Maroc, Tunisie, Burkina, Côte d'Ivoire, Gabon, Congo), ces pays ne sont pas dotés d'organes de presse puissants, intégrés, structurés, à large diffusion, mais bien d'un essaim de mini-organes éparpillés: feuilles tirant à quelques milliers d'exemplaires, feuilles d'opinion, de partis et de clans, radios locales plutôt intermittentes, nuées de blogs et sites qui se sont autoproclamés médias mais qui sont en réalité dilués dans le magma de la Toile sans contrôle, ni discipline, ni déontologie digne de ce nom.

Les distances énormes, le manque d'infrastructures de (télé)communications, l'indigence des budgets d'investissement quand ils ne sont pas engloutis par la corruption (interne autant qu'internationale) font sans doute que, ici plutôt que partout ailleurs, l'étape de la presse conventionnelle - l'impression sur papier, les réseaux généraux de radiotélévision - risque d'être escamotée au profit du passage sans transition à la presse numérique, avec ses prolongements et dérives que sont les réseaux sociaux. Toutefois, cette justification vaut aussi pour l'autre moitié de l'Afrique, celle d'expression anglaise.

Déplacement du centre de gravité de la francophonie

La vraie justification est liée à l'Afrique francophone: plusieurs études indiquent que le nombre de locuteurs francophones dans le monde va tripler ou quadrupler d'ici à 2050 pour atteindre à cette échéance 700 à 750 millions d'individus, faisant du français une des langues les plus parlées dans le monde après le chinois (mandarin), l'anglais et l'espagnol. Mais les neuf dixièmes de ces francophones seront des Africains, ce qui posera immanquablement un problème de déplacement du centre de gravité de la francophonie.

L'ampleur de la tâche - celle de la diffusion du français en tant que langue des médias -, justifie la priorité donnée au numérique... et donc au thème des assises UPF: jeunesse et média. Les cadres africains de 2050 seront les jeunes francophones de ce continent, aujourd'hui âgés de 12 à 24 ans, des jeunes déjà (quasiment) tous porteurs ou utilisateurs d'une tablette ou d'un support numérique de communication. Notons aussi qu'une analyse du CSA (Conseil supérieur français de l'audiovisuel) prévoit que l'Afrique abandonnera à partir de juin 2015 la technologie analogique dans ses réseaux de diffusion médiatique.

Déjà aujourd'hui les Africains francophones représentent un "lectorat" autrement plus important que les 66 millions de Français de l'Hexagone, ou les 76 millions en y ajoutant Belges et Suisses, et 86 millions en y mettant en sus les Canadiens. Il est donc temps que l'UPF se penche sur les problèmes de régulation de ce lectorat-audimat francophone africain, qui, pour l'heure, avec les autres usagers francophones dans le monde ne représente que 4 pc des flux mondiaux de la Toile, une contre-performance eu égard à l'importance numérique actuelle même très limitée des francophones. Précisons que ce mot de "régulation" qu'il faut introduire dans le fonctionnement de la presse et des médias numériques africains inclut les concepts d'indépendance, de liberté, d'autonomie, de déontologie, de créativité, de diffusion culturelle.

Car, si les acteurs de nos instances démocratiques ne le font pas, la place sera vite occupée par les géants mondiaux de la Toile - Américains de Google ou Parsons, Chinois de Xinhua ou d'Alibaba. Déjà les agences de presse officielles chinoises inondent-elles les rédactions africaines francophones, numériques ou non, de leurs réseaux d'information - certes utilisateurs d'un français correct... et par ailleurs sans âme - mais aussi dispensateurs d'une terrifiante et insidieuse pensée unique.

La voix de la raison

C'est ce qu'a très bien compris ce "grand seigneur de la presse et de l'audiovisuel" que fut (et reste) Hervé Bourges, ancien ministre français et surtout flamboyant président international de l'UPF dans les années septante. On comprendra qu'il n'a pas toujours été porté aux nues dans l'Hexagone... ni même par les instances de l'OIF, lui qui avait osé déclarer, à propos de la compétition internationale pour maîtriser le numérique africain: "La France est certaine, par arrogance ou inconscience, que les Etats africains passeront par elle. Rien n'est moins sûr, nationalisme et souci d'indépendance aidant...".

Espérons qu'au cours des prochaines assises, la voix de la raison, celle du sage Bourges, créateur par le passé d'une école de journalisme en Afrique francophone, sera cette fois entendue par les journalistes africains de la jeune génération.

 

André BUYSE

(*) Toujours bien annoncé et programmé à Dakar, au moment où nous écrivons ces lignes, mais sous réserve de tout changement imprévu pouvant résulter de l'évolution de la situation sanitaire dans l'ouest africain.


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