Nouvelles de Flandre
Exploration du Monde: "Weg uit Vlaanderen!" 1994-2014



Emission "Panorama" VRT

Il y a vingt ans, l'activisme des flamingants était illustré, déjà, par un gadget qui est l'arme des lâches, la boule puante.

Ce n'est n'est pas pour céder, après tant d'autres, à ce que l'on pourrait appeler la "commémorations-mania de 2014" (Grande Guerre, débarquement de Normandie, génocide au Rwanda, mort ou naissance de personnalités comme Charlemagne, Lénine, Pompidou, Jaurès, Ionesco), que nous ouvrons à notre tour une rubrique d'anniversaire, mais nous ne pouvions pas nous débiner devant cet autre, prosaïque, déprimant, déroutant mais bizarrement aussi stimulant anniversaire: celui des vingt ans de l'expulsion de Flandre du cycle conférences-cinéma "Exploration du Monde" (abrégé pour la facilité en "Explo"), mis sur pied par l'association culturelle belge francophone éponyme de vulgarisation et de diffusion des grands voyages de découverte des cultures et des peuples du monde, préfiguration des séries TV à succès telles Thalassa, Faut pas rêver et autres Trains extraordinaires.

Malgré l'émergence d'Internet, l'initiative Explo existe toujours et connait même un succès croissant sur l'ensemble du territoire belge (succès dû à la possibilité d'un contact personnel et souvent d'un dialogue direct avec le présentateur)... à l'exception de la "Vlaams Gewest", c'est-à-dire: en Wallonie, à Bruxelles, en région germanophone et très timidement, pour ainsi dire en caméra cachée et donc dans une quasi-clandestinité, dans l'une ou l'autre commune de la périphérie flamande de Bruxelles ou le long de la frontière linguistique.

Pourquoi commémorer ces tristes évènements? D'abord parce que la vérité historique - c'est à dire la suppression du cycle Explo en Flandre dans des circonstances xénophobes, racistes, émeutières et foncièrement antidémocratiques - a ses droits et qu'il convient de les rappeler précisément aujourd'hui, au moment où l'évolution politique pose un grave problème de respect des droits des Francophones de Flandre; ensuite parce que les évènements de fin 1994 ont servi de catalyseur au développement et au renforcement de l'Association pour la promotion de la francophonie en Flandre (APFF), plus active et plus dynamique que jamais.

Jusque dans les années quatre-vingt, Exploration du Monde était un cycle à succès en Flandre où il remplissait plusieurs fois par mois les grandes salles de spectacle urbaines, telles la salle Elisabeth (au zoo d'Anvers), des salles emblématiques à Bruges, Courtrai, Gand, Ostende, Alost, Louvain, etc. Cela devenait insupportable pour les mouvements et partis flamingants, culturellement et politiquement actifs, tels le Taal Aktie Komitee (TAK), le Vlaams Blok, la Volksunie (même s'il s'agissait d'un parti de gouvernement au niveau national) et autres groupements préfigurant nos actuels Vlaams Belang et autre N-VA.

C'est le TAK qui lança les hostilités au début des années 1990, particulièrement à Gand, dont on sait qu'elle était (et est toujours) un foyer actif de francophilie et pas seulement au sein des élites intellectuelles ou "bourgeoises", c'est-à-dire "traîtresses à la cause flamande" aux yeux du TAK. Selon le sociologue Alain Maskens, cette jacquerie antifrancophone reflétait un "ressentiment à l'égard de la langue française" et pas seulement une "animosité envers la classe sociale supérieure" des Flamands de Gand et d'ailleurs, une véritable "allergie croisée" ou ce que le juriste François Tulkens a appelé "la loi du Talion linguistique".

Des incidents de plus en plus violents

Le TAK mit en place un véritable "processus de racisation", afin de maintenir "les racisés" (c'est-à-dire les francophones) "dans la différence, et de justifier l'exclusion et le désir d'annihilation de la communauté qui refuse de s'intégrer". (Notons au passage que l'action de l'APFF vise au contraire à promouvoir l'intégration des francophones au sein d'une Flandre dont elle ne conteste pas le leaderschip flamand, mais dont elle exige la reconnaissance de l'identité et de l'affirmation francophones).

Le TAK est donc passé à l'action, de plus en plus violente, contre le cycle Explo, ses adeptes et ses organisateurs, se focalisant sur les activités à Gand: manifestations haineuses devant la salle, irruptions dans celle-ci, "gueulement" de chants flamingants, allemands ou fascistes, déploiement de calicots hideux, jet de boules puantes, bris de vitres, prise de position devant l'écran, et autres actes iconoclastes, nécessitant rapidement, et à chaque projection, la présence en nombre des forces de l'ordre. Plusieurs spectateurs sont jetés à terre et se blessent avec les éclats de verre. La séance qui restera dans les annales sera celle du 18 octobre 1994. les manifestants sont accompagnés de quatre ambulances et promettent de ne quitter les lieux que lorsqu'elles seront remplies de victimes. A l'époque le bourgmestre de Gand, le socialiste Gilbert Timmermans, affirmant son attachement au principe constitutionnel de la liberté de réunion, tenta d'aplanir ces manifestations virant à l'émeute.

Rien n'y fit: les perturbations de l'ordre public et les manifestations haineuses et discriminatoires se multiplièrent au point que l'affaire devint un problème national débattu au parlement. Divers procès furent entamés mais généralement les juges renvoyèrent la balle dans le camp des organisateurs, avec quelques exceptions comme à Courtrai.

Rien ne calmera les extrémistes flamingants. Ni la publicité en néerlandais pour les séances, rebaptisées pour la circonstance "Wereldkamera", ni le sous-titrage ou l'introduction des films dans la langue de Vondel.

La Libre Belgique écrira plus tard: "Au fil du temps, la situation culturelle des francophones en Flandre se dégrade. Un symbole s'impose: la fin des séances Exploration du Monde". Et l'éditorialiste, Olivier Mouton, évoque à cette occasion une déclaration du fondateur de la toute jeune APFF: "Je dois avouer que ce qui s'est passé avec Exploration du Monde a été pour moi un véritable déclic", avouait Edgar Fonck. Dès 1995, les magnifiques séances d'Explo dans les grandes villes de Flandre, c'était "fini, fini".

Pour y assister, les spectateurs flamands amoureux des peuples lointains et du mystère des civilisations méconnues (Machu Picchu, l'ile de Pâques, Tibet, Galapagos, l'Islande, le carnaval de Venise, les peuples Nouba ou Dogons d'Afrique, etc) doivent gagner Bruxelles ou des villes francophones proches de la frontière linguistique. Notons que le sectarisme atavique des flamingants a porté aussi, mais avec moins de succès compte tenu des alternatives de nature technique, sur la diffusion en Flandre, y compris dans les hôtels de luxe, de la chaîne TV5Monde.

Vingt ans après, la vie culturelle des associations francophones en Flandre (qui ne peuvent même pas être subventionnées par la Fédération Wallonie-Bruxelles, en vertu d'un arrêt de la Cour d'arbitrage) est toujours aussi entravée. L'Etat fédéral belge n'a toujours pas ratifié la Convention-cadre sur la protection des minorités nationales (tels les Francophones de Flandre, comme l'a reconnu le Conseil de l'Europe). De même, la Belgique n'a toujours pas adopté une position claire par rapport aux recommandations de l'ONU en vue de ratifier ladite convention. Ni de signer la charte sur les langues régionales ou minoritaires. Pourtant, il y eut à cet égard des promesses... seulement de nature électorale.

L'affront fait il, y a vingt ans, à Exploration du Monde devait être évoqué ici pour justifier la détermination de l'APFF et de tous ses membres à continuer de se battre pour la reconnaissance des droits légitimes des Francophones de Flandre.

 

André BUYSE


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