Récompenser Jean-Luc Godard d'un prix du jury ainsi que "Sommeil d'hiver" ("Winter Sleep") du Turc Ceylan, d'une Palme d'Or (des conversations de 3 heures 15 sur le bien et le mal au fin fond de la Cappadoce, plus fastidieuses en turc sous-titré français que vraiment ennuyeuses), prouve que le jury du Festival de Cannes a privilégié un cinéma pointu.
"Adieu au langage", tourné en 3D et au scénario impossible à raconter, c'est le dernier pied de nez de Godard (83 ans) que plus personne ne comprend. Certes "tout le monde doit quelque chose à Godard et 'A bout de souffle' a changé le cinéma" comme l'a rappelé Jane Campion, présidente du jury. Mais c'était en 1960, il y a plus d'un demi-siècle!
Le favori, "Mommy" du Canadien Xavier Dolan, doit se contenter d'un vulgaire prix du jury ex-æquo avec le vieux Godard. Avec cette histoire d'une mère courage aux prises avec un fils psychotique, Dolan (surdoué de vingt-cinq ans) représente l'avenir du cinéma. Le film devrait être à l'affiche du prochain Festival de Namur.
Que Jean-Pierre et Luc Dardenne soient rentrés bredouilles de Cannes pour la première fois en six sélections officielles peut surprendre. "Deux jours, une nuit" ou le combat d'une ouvrière pour sauver son emploi, est un cinéma du réel en prise avec notre société d'après 2008. Et la môme Cotillard n'aurait pas fait un mauvais prix d'interprétation. Par contre, le film cartonne au box-office.
"Timbuktu" du Malien Abderrahmane Sissako, dénonçant les crimes d'une poignée de djihadistes semant la terreur à Tombouctou pendant la guerre du Mali est le grand absent du palmarès: c'est un scandale tant ce film dénonce avec pertinence les méfaits de toute forme d'extrémisme incontrôlé tout en filmant un Mali d'une étincelante beauté malgré le contexte.
Hors Festival de Cannes, que retenir? "Pas son genre" de Lucas Belvaux, la rencontre improbable d'une coiffeuse délurée, Emilie Dequenne, avec un jeune prof de philo, Loïc Corbery (sociétaire de la Comédie Française)! Subtil mélange de profondeur et de légèreté, la vision très contemplative de l'amour que nous propose le cinéaste belge est décevante.
Reste la surprise, "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu?", une comédie faite de bouts de ficelles et qui met les pieds dans le plat des mariages mixtes de façon mordante, évitant les clichés sur le sujet. Avec Chantal Laubry et Christian Clavier.
Pierre GERMAY