Nouvelles de Flandre
Lectures: Nos auteurs belges de langue française vus par Michel Otten

Dans "Paysages du Nord", Michel Otten, professeur émérite de l'UCL, grand patron des nouvelles généra-tions de philologues et auteur de nombreuses éditions critiques - en particulier celle de la poésie complète de Verhaeren -, a réuni ses principales études de nos écrivains belges de langue française dans un volume qui porte le nom de "Paysages du Nord". Le titre de ce merveilleux portrait de nos auteurs, de cette grande leçon de littérature est inspiré par la phrase de l'Anversois Max Elskamp, j'écris trop au Nord de Paris. On le verra: le génie belge, en Flandre, est né de la tradition au moins aussi celtique et germanique que gréco-latine, de ses paysages et du caractère de nos villes, Bruges chez Rodenbach, Gand chez Hellens et Anvers chez Guy Vaes... Ce génie inspire sa prose, son théâtre, sa poésie.

Les analyses sont rangées en trois sections: 1. "Fin de siècle et Symbolisme", consacré à Camille Lemonnier, Marius Renard (comparé à Zola!), Albert Mockel, Maeterlinck et Elskamp, 2. "Modernismes de l'entre-deux-guerres" concernant Franz Hellens, Michel de Ghelderode, Paul Nougé, Odilon-Jean Périer et André Baillon, 3. "Horizons contemporains" qui traite de l'écriture de Paul Willems, Guy Vaes, Jean-Pierre Otte, Paul Emond et Pierre Mertens, ainsi que des "Paysages d'exil du roman belge des années1980-1990" et de "L'espace double dans le théâtre spiritualiste belge".

Les quatre premiers chapitres sont consacrés au Symbolisme belge, dont l'auteur décrit minutieusement la spécificité par rapport au Symbolisme parisien plus superficiel, excepté Mallarmé. Cette spécificité provient du fait que les Belges, Mockel et surtout Maeterlinck - avant 1914, bien entendu! &endash; se sont alimentés au Romantisme d'Iéna, à Goethe, aux frères Schlegel, à Novalis. Deux chapitres traitent de Max Elskamp, le plus grand poète de Belgique selon les surréalistes belges. Son évolution religieuse complexe et douloureuse est reflétée dans ses poèmes de maturité, empreints de bouddhisme. Vient ensuite Albert Mockel dont Michel Otten renouvelle la lecture en creusant l'opposition entre symbole et allégorie.

Quant à Maeterlinck, Otten commence par renouveler l'interprétation de Mélisande dans le célèbre drame Pelléas et Mélisande. Deux chapitres sont consacrés à l'œuvre importante du Gantois Franz Hellens, sous le signe du "réalisme magique", concept dû à Franz Hellens lui-même, proche du fantastique romantique d'Hoffman.

Dans la deuxième partie du livre, l'auteur le plus commenté est le dramaturge Michel de Ghelderode auquel cinq chapitres sont consacrés. Chez celui-ci, Michel Otten s'intéresse à ce qu'on peut appeler "le mélange des genres": mélange du tragique et du comique dans Faust et Don Juan, de l'introduction du music-hall dans le théâtre - comme faisaient les Futuristes -, du mélange du drame et du cirque dans Transfiguration dans le cirque.

Avec Paul Willems, commence la troisième partie. C'est le beau thème du paradis sur terre qu'on aborde. Des fragments de paradis subsistent encore ici-bas. Bien sûr, dissimulés çà et là. Les dernières études abordent le curieux motif du "vacillement des apparences", traité chez Guy Vaes et Pierre Mertens. L'Anvers de Guy Vaes dans L'Usurpateur développe une intuition bouleversante qui rappelle la mémoire involontaire proustienne, de même que le Bruxelles des Eblouissements de Pierre Mertens.

Le volume se termine par un genre typique de notre symbolisme, le théâtre spiritualiste qui nécessite un espace double: celui du réel et celui du mystère qui nous échappe. Ce genre est né avec Les Flaireurs de Van Lerberghe - un an avant la première pièce de Maeterlinck! -, et la lignée se prolonge jusqu'à Jean Sigrid, auteur du très étrange Ange Couteau de 1980.

Avant son éméritat et avant la chute du régime communiste, Michel Otten a enseigné à deux reprises la littérature belge à l'université de Cracovie, et ensuite, après l'éméritat et la chute du régime communiste, de nombreuses années à l'université de Cluj, de Timisoara, de Jassy, et en même temps, sans craindre les navettes, à l'université du Bas-Danube, à Galati. 'A la fin du parcours, ce furent trois années à l'université de Riga en Lettonie.


Nicole VERSCHOORE

Michel Otten, Paysages du Nord. Études de littérature belge de langue française. Bruxelles, Le Cri, 2013, 310 p. 29 EUR


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