N.d.F.: Pour mieux vous connaître, parlez-nous de votre enfance. Vous avez un nom flamand...
C.V.E.: Tout à fait, je suis né de parents néerlandophones. J'ai passé toute ma jeunesse à Bonheiden près de Malines. Mes parents travaillaient, tous les deux, à Bruxelles, dans l'administration nationale. Ils attachaient beaucoup d'importance à ce que, comme eux, je sois bilingue. Je faisais la navette tous les matins en leur compagnie. J'allais à l'école à Bruxelles en français et à la maison, je parlais le flamand. J'ai ensuite étudié la philologie germanique à l'ULB.
N.d.F.: C'est à ce moment que votre vie prend un tournant...
C.V.E.: Fin des années '70, j'ai appris à
connaître Linkebeek par des amis. De fil en aiguille, je me
suis attaché à ce pittoresque petit village aux portes
de Bruxelles. N'habitant pas Linkebeek, j'avais pourtant beaucoup de
contacts et liens avec cette commune où la vie associative
francophone était très active.
J'ai débuté ma carrière professionnelle, en tant
que professeur dans une école de Mons puis à Ottignies.
J'ai enseigné pendant une dizaine d'années.
N.d.F.: Comment avez-vous débuté votre carrière politique?
C.V.E.: C'est Roger Thiéry, bourgmestre de Linkebeek de 1976 à 1989 (père de Damien Thiéry, l'actuel bourgmestre non nommé, Ndlr) qui m'a entrainé en politique. En 1976, les francophones ont renversé la majorité néerlandophone. J'ai soutenu le groupe des francophones et j'ai été très actif dans les associations, les mouvements de jeunesse, les cercles sportifs jusqu'à ce que, quelques années plus tard, nous achetions une maison à Linkebeek. Roger Thiéry m'a alors demandé de me présenter sur la liste du bourgmestre lors des élections de 1982. J'ai fait le 4ème meilleur score et ai été nommé échevin. Ayant été pressenti rapidement comme le dauphin de Roger Thiéry et suite à son décès inopiné et brutal, j'ai repris le mayorat en 1993 jusqu'en 2006. En 88, j'avais abandonné ma carrière d'enseignant. J'étais entré comme traducteur à la Région bruxelloise au cabinet ministériel de Georges Désir puis de Didier Gosuin.
N.d.F.: Vous avez toujours été proche de vos électeurs, proche de la population francophone...
C.V.E.: Les francophones ont toujours été
très soudés. Ce qui les a motivés et
rassemblés, c'est à la fois la convivialité et
l'entraide, toujours basées sur le bénévolat.
Une petite anecdote. Quand l'école des surs a
fermé, les francophones n'avaient plus de classe.
L'épouse d'un des élus communaux a rassemblé une
vingtaine de parents et mis à disposition son propre salon
pour que deux institutrices puissent créer une classe unique.
Au niveau des mouvements de jeunesse, la solidarité
était tout aussi forte. Comme nous n'avions pas droit à
des locaux communaux, nous avons démonté des
baraquements militaires à Beauvechain qui nous avaient
été offerts, pour les remonter sur un terrain
prêté par la Fabrique d'église. Toutes ces
péripéties ont renforcé nos liens.
N.d.F.: Vous vous êtes investi aussi au niveau régional?
C.V.E.: En 1995, j'étais à la première place sur la liste UF (Union des francophones) pour les élections régionales. Nous avons obtenu un siège au Parlement flamand. Ayant remporté le plus de voix, c'est moi qui ai occupé le poste de député. Depuis, à chaque élection, je suis le seul et unique représentant francophone élu à la Région flamande. Je serai encore candidat pour les élections du 25 mai prochain.
N.d.F.: Quel genre de contacts entre-tenez-vous avec les autres députés flamands?
C.V.E.: Bien que je sois le seul francophone, je n'ai pas de
problème. En général, les gens sont courtois. On
me laisse faire mon travail de parlementaire. En séance, je
suis écouté et même quelquefois applaudi par
certains élus qui approuvent mon analyse.
Mais on ne fait pas toujours de cadeau. Par exemple, on m'a
caché pendant des années, que chaque parti
représenté au Parlement flamand avait droit à un
représentant à la Commission nationale du pacte
culturel. Au départ, le Vlaams Belang ne voulait pas de
représentant UF. Mais avec l'appui de l'Open VLD, Groen, SPA
et quelques CV&V, nous en avons obtenu un. Cependant, en octobre
dernier, lorsque cette personne a dû être
remplacée, la N-VA et le Vlaams Belang ont
réclamé un vote alors qu'en principe il n'y en a jamais
sauf si un député en fait la demande expresse.
Résultat: le candidat francophone est refusé. C'est
reparti pour un tour qui va durer des mois et pendant tout ce temps
les francophones ne sont pas représentés
Quelques
semaines plus tard, quand une situation similaire se présente
pour la désignation de représentants à une autre
commission, j'ai aussi demandé le vote. Et là, Jan
Peumans (N-VA) président du Parlement flamand, refuse en
argumentant que quand le nombre de places à pourvoir
correspond au nombre de candidats, on ne vote pas. Deux poids deux
mesures. C'est scandaleux.
N.d.F.: Un seul député, cela permet-il d'être vraiment efficace?
C.V.E.: Je suis un porte-parole des populations locales
francophones. Je suis là pour attirer l'attention des
élus flamands sur les problèmes parfois criants qui
résultent de la prise de certaines décisions mais aussi
pour observer ce que le Parlement flamand prépare.
Parfois, même seul, j'arrive à influencer et même
à modifier le cours des décisions et des lois, comme
par exemple, dans le cas des personnes handicapées. Quand on a
divisé le fonds des handicapés entre les 3
régions, aucune aide n'avait été prévue
pour les handicapés habitant la Flandre mais
fréquentant un centre qui n'était pas dans leur
région. Après maintes péripéties qui ont
duré plus de dix ans, j'ai réussi, avec l'aide de
représentants des partis flamands, à obtenir la
réciprocité des aides entre Flandre et Wallonie.
Et puis, au plan politique, mon poste au Parlement flamand est
très symbolique. C'est la preuve qu'il existe une
minorité francophone en Flandre. Il est le témoin d'une
réalité qui gène les politiciens flamand qui
répètent constamment à l'Europe qu'il n'y a pas
de minorité francophone en Flandre.
N.d.F.: Que pensez-vous du fait que les 310.000 francophones de Flandre n'ont qu'un seul député sur 124 au Parlement flamand alors que les 50 à 60.000 Flamands de Bruxelles comptent 17 députés sur 89 au Parlement bruxellois?
C.V.E.: On justifie toujours ces différences en disant
que c'est parce que Bruxelles est une région bilingue. Mais
cela ne tient pas vraiment la route. Que dire des 60.000
germanophones qui ont un parlement, un gouvernement, une radio, ...
Je crois que la solution viendra de l'Europe qui réagit de
plus en plus. Les politiciens flamands redoutent son avis et
craignent les conséquences à long terme d'une mauvaise
image. Il est primordial que l'Europe insiste sur la ratification de
la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales. Il est choquant que des pays fondateurs de l'Union ne
remplissent pas les conditions qui sont imposées aux nouveaux
Etats membres.
De plus, si les partis francophones incitaient les électeurs
à reporter leur voix sur la liste UF à la Région
flamande, on pourrait espérer un second siège.
N.d.F.: Comment voyez-vous l'avenir de la langue et de la culture françaises en Flandre?
C.V.E.: Je leur prédis un bel avenir mais ce n'est pas l'accord de coopération culturelle signé entre Fadila Laanan et Joke Schauvliege qui va arranger les choses. Madame Laanan avait affirmé que cet accord était une porte ouverte et que les francophones de Flandre ne seraient pas oubliés. En séance, J'ai donc demandé à Mme Schauvliege si, par exemple, à l'avenir, une association de Tervuren pourrait louer des locaux communaux pour une représentation théâtrale. Elle a très clairement répondu que non. Cet accord ne va donc rien changer. Soit les francophones, une fois de plus ont été bernés, soit il y a deux lectures au même texte. Et il a fallu 20 ans pour en arriver là!
N.d.F.: On compare souvent les FDF à la N-VA en disant qu'ils attisent les conflits communautaires. Ils sont considérés comme extrémistes. Qu'en pensez-vous?
C.V.E.: Cela me fait sourire car la N-VA est un parti clairement nationaliste et séparatiste qui, sous des dehors démocratiques, a encore des relents fascisants. Matthias Diependaele et Johan Sauwens, il y a quelques années, ont été filmés à une fête néonazie. La N-VA a un projet purement identitaire, de repli sur soi et d'exclusion sociale: "Eigen volk eerst". Je ne considère pas les FDF comme le contrepoids de la N-VA. Dans mon parti, il n'y a pas d'anti-flamands. L'objectif des FDF c'est que les francophones, où qu'ils habitent, aient les mêmes droits que les Flamands, qu'il y ait une équité entre tous les citoyens de ce pays.
propos recueillis par
Anne-Françoise COUNET