Nouvelles de Flandre
La Bibliotheca Wittockiana : un régal pour les yeux et l'esprit

Michel Wittock, aujourd'hui âgé de 75 ans, est un personnage haut en couleur et d'une érudition extra-ordinaire, aujourd'hui reconnu comme l'un des plus importants collectionneurs de livres précieux - précieux tant pour leur contenu que pour leur forme... sans parler de leur valeur marchande -, grand bibliophile devant l'Eternel, fondateur et directeur de "l'institution" que représente la "Bibliotheca Wittockiana", à Woluwé-Saint-Pierre, le plus grand musée au monde consacré à la reliure d'art et aux livres rares, le seul en Europe conservant plus de 3.000 livres d'art du 16e au 21e siècle, la plupart enjolivés par de fastueuses reliures, mais pas seulement.

Michel Wittock est aussi un "personnage" parce que sa famille compte dans ses ancêtres Lucien Bonaparte, frère de Napoléon 1er et écrivain à ses heures. Lignée qui lui doit, au sein de Bibliotheca, le riche Fonds Lucien Bonaparte, et aussi parce que son grand-père n'était autre que le poète et écrivain belge Valère Gilles. Ce dernier fut directeur de la revue des symbolistes "La jeune Belgique" à la fin du XIXe siècle, aux côtés de quelques grands noms de la littérature flamande d'expression française (Verhaeren, Rodenbach) et de la littérature française de France (Mallarmé, Régnier). Plus tard Valère Gilles correspondit avec des artistes, écrivains et hommes politiques aussi brillants que Colette, Charles Plisnier, Paul Hankar, James Ensor, Odilon Redon, Fernand Knopff, Joris-Karl Huysmans, Paul-Henri Spaak, etc.

Plus de 1.000 lettres faisant partie de cette correspondance sont conservées (dans des pochettes de cellophane mises au point par l'atelier de reliure de la Cambre) à la Bibliotheca, dont elles constituent le Fonds Valère Gilles. Cet aspect moins connu de l'institution - désormais détenue par La Fondation Roi Baudouin qui tenait à ce que ce très rare patrimoine littéraire et artistique belge ne quitte jamais le pays - est à mettre en relation avec une autre institution culturelle et littéraire de haut niveau implantée à Bruxelles: les Archives et Musée de la Littérature (AML).

Revenons-en au "fabuleux destin" de Michel Wittock. Fils d'une famille d'industriels du textile, il aurait logiquement dut faire carrière dans la manufacture ancestrale. Il y fut du reste contraint pendant la première partie de sa vie.

Mais voilà, en 1951, alors qu'il était encore étudiant interne à Maredsous, le jeune Michel, habitué d'une galerie bruxelloise de livres plus ou moins anciens, eut le coup de foudre pour un ouvrage intitulé "Les délices du Brabant" (sur l'héraldique). Le marchand sembla ignorer la valeur réelle du livre puisqu'il accepta les malheureux 20 francs que lui tendit le jeune homme (en fait, déjà à l'époque, le livre en valait 2.000!).

De ce jour, Michel Wittock tomba dans la soupe bibliophilique et ne cessa d'acquérir des livres et reliures rares, tâche qui lui fut facilitée par les missions à l'étranger que lui confiait son employeur paternel. En fait, Michel se retira avant terme de l'entreprise textile pour valoriser et exploiter financièrement les collections impressionnantes qu'il avait progressivement acquises. La légende veut que ce soit son épouse, excédée de voir ses livres précieux envahir la buanderie et la salle de jeux de ses cinq enfants, qui l'obligea "à construire une cabane au fond du jardin" pour les entreposer. Une cabane? pour des reliures dorées à l'or fin et quelques incunables? Pas question! Wittock râcla ses fonds de tiroirs (qui étaient larges) pour faire construire par un architecture moderniste (Emmanuel de Callataÿ), un bâtiment d'avant-garde en béton qui deviendra la Bibliotheca, inaugurée en 1983.

Rapidement, elle devint un lieu incontournable pour les bibliophiles et collectionneurs, Belges et Européens d'abord, du monde entier ensuite. Car outre un riche fonds d'archives (Henry Van de Velde, Paul Claessens, Jo Delahaut, Rose Adler, Julius Baltazar), la bibliothèque hérita des "largesses poétiques de Pierre Lecuire", poète, éditeur et architecte du livre, des œuvres de nombreux maîtres relieurs, de la collection des almanachs du Gotha (de 1764 à 1944), de livres-objets, des travaux d'impression de Pierre Alechinsky, d'ouvrages documentaires anciens sur l'art de la reliure et de la dorure, sans parler - bien que cela n'ait rien à voir avec le livre - d'une fantastique collection de 500 hochets anciens (remontant jusqu'à 440 avant J.-C.), objets d'orfèvrerie (en or, argent, ivoire, perles et fruits séchés).

Et n'oublions pas la collections d'ouvrages concernant "la spiritualité dans les livres flamands des XVIe et XVIIe siècles", ornés par des artistes aussi prestigieux que de Vos, Van Veen ou Rubens.

Cela c'est pour les seules collections permanentes. Les expositions temporaires thématiques ne sont pas moins prestigieuses. La prochaine (du 25 octobre au 27 janvier) sera consacrée aux "lettres du désir" et fera la part belle aux auteurs belges et flamands d'expression française tels que Emile et Marthe Verhaeren, Rik et Nel Wouters, Georges et Anna Rodenbach, Christian Dotremont, Dominique Rolin, Suzanne Lilar et bien sûr Maurice Maeterlinck, dont on vient de fêter le centenaire de l'attribution du prix Nobel de littérature.

Un régal donc, à ne manquer sous aucun prétexte!

 

André BUYSE

Informations:
Bibliotheca Wittockiana, rue du Bemel 23, 1150_Bruxelles,
tel. 02.770.53.33, info@wittockiana.org, www.wittockiana.org.
Accessible du mardi au dimanche de 10h à 17h, excepté jours fériés.


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