Nouvelles de Flandre
Rencontre avec Georges Clerfayt,
artisan du rapport Nabholz

Dix ans après l'adoption du rapport Nabholz au Conseil de l'Europe et le vote de la résolution 1301 qui reconnait l'existence d'une minorité francophone en Flandre, Georges Clerfayt nous raconte son long combat pour une cause qui fut le moteur de son engagement politique.

N.d.F.: Vous habitez depuis longtemps à Rhode-Saint-Genèse, mais vos origines sont ailleurs?

Effectivement, je suis né à Colleret, dans le Nord de la France, où mon père avait une exploitation agricole. Nous sommes rapidement rentrés en Belgique à Mons, le véritable berceau familial des Clerfayt. J'ai quitté à nouveau la région lorsque je suis parti faire mes études à Namur, puis à Louvain. J'ai une formation en droit, en sciences politiques et en sciences économiques.

N.d.F.: Une solide formation qui a marqué votre parcours professionnel...

Après mes études, j'ai été assistant à l'I.R.E.S. de Louvain (Leuven à l'époque), puis je suis entré à la Commission ban-caire. Intéressé par la politique internationale et les problèmes monétaires, j'ai participé à "La Relève", un groupe de réflexions politiques, proche du PSC. C'est ainsi qu'a débuté mon engagement, puis ma carrière politique. En 71, j'ai rejoint le FDF et assuré sa présidence de 84 à 95. Parallèlement, j'ai enseigné, l'économie pendant près de vingt-cinq ans, aux facultés Notre Dame à Namur.

N.d.F.: Revenons à votre carrière politique...

Quand ma femme et moi, avons voulu nous établir plus définitivement dans la région bruxelloise, nous avons acheté un terrain à bâtir à Rhode. A cette époque, je n'étais pas du tout intéressé par les problèmes communautaires belges. Je ne connaissais rien des lois de 63 qui ont fixé la frontière linguistique, l'emploi des langues et le statut de la périphérie. C'est donc sans aucune arrière-pensée politique que je me suis installé dans cette commune.
En 68, après l'expulsion de francophones de Louvain, je me suis investi en politique de façon beaucoup plus profonde. Je me suis rapproché de François Persoons qui est devenu mon maitre en politique. Il s'était distancié du PSC bruxellois et avait créé le mouvement "Démocratie bruxelloise".
En 70, "Démocratie bruxelloise" a déposé des listes, souvent en cartel, dans diverses communes. Je me suis assez naturellement présenté aux élections communales à Rhode et j'ai été élu échevin. Mais en 76, les Flamands regroupés au sein d'une seule liste ont remporté les élections. Nous sommes alors passés dans l'opposition pendant douze ans.
En 88, les Francophones ont, à leur tour, constitué une liste unique et, depuis vingt-quatre ans, nous avons repris la majorité et le mayorat à Rhode.

N.d.F.: Vous avez dénoncé une fraude électorale...

En 82, les partis flamands ont remporté de justesse les élections, avec seulement 86 voix de différence. Or, le jour des élections, quelqu'un m'avait prévenu qu'il avait vu des personnes voter à Rhode alors qu'elles n'y habitaient pas.
J'ai fait un "travail de détective" pour établir une liste d'environ 120 personnes dont la domiciliation semblait non conforme à la réalité. J'ai porté plainte. Le Conseil d'Etat, Chambre flamande précisons-le, a refusé d'invalider les élections pour des questions de procédure. Selon eux, j'aurais dû déposer ma plainte avant les élections lorsque les listes avaient été officialisées. J'ai alors porté plainte au pénal. J'ai été débouté mais il y avait eu une enquête détaillée.
Grâce à mon avocat, j'ai pu obtenir tout le dossier pénal. Sur base de ces solides informations, j'ai écrit un livre "La fraude à la frontière linguistique" qui est paru au printemps 88. A partir de ce moment là, les gens qui avaient cru que j'avais inventé toute cette histoire, se sont rendus compte que c'était sérieux. Surtout qu'en août, quand les listes électorales ont été publiées, j'ai découvert encore des triche-ries et déposé à nouveau plainte.
Cette fois, le tribunal m'a donné raison pour une dizaine de cas. Cela a ajouté, à posteriori, de la crédibilité à la plainte introduite six ans plus tôt.
Les francophones se sont alors unis pour gagner les élections.

N.d.F.: Vous avez aussi siégé au Conseil de l'Europe à Strasbourg?

En 1995, quand j'ai appris que Jacques Simonet ne s'intéressait guère à son mandat au Conseil de l'Europe, j'ai demandé à l'exercer. J'allais, avant tout, à Strasbourg pour faire avancer le problème des francophones de la périphérie. La Convention-cadre sur la protection des minorités venait d'être élaborée.
Avec Armand De Decker, j'ai été signataire d'une demande d'examen, par le Conseil de l'Europe, de la problématique des francophones de la périphérie. Un premier rapport a été établi par M. Columberg mais il a été saboté par le lobby flamand. Ce rapport a été modifié en assemblée plénière, en adoptant les amendements flamands, mais aussi ceux de Ch. F. Nothomb qui affaiblissaient le texte.
Je n'ai pas voulu baisser les bras. J'ai "provoqué" une pétition des responsables de la périphérie pour que le Conseil de l'Europe se penche à nouveau sur la protection des minorités en Belgique. Il fallait que la Belgique signe la Convention-cadre.

N.d.F.: Vous avez forcé cette signature?

Oui, en 2001, quand le gouvernement fédéral a voulu transférer la loi communale vers les Régions, en tant que député, j'ai refusé de voter. Cette modification était inacceptable à mes yeux. La preuve que j'avais raison_: on en voit encore les conséquences aujourd'hui, avec certains problèmes qui empoisonnent la vie politique, comme la nomination des bourgmestres ou les convocations aux élections communales.
La majorité des 2/3 nécessaire étant très ténue, le gouvernement a eu peur d'échouer. La dernière nuit avant le vote, il a accepté de négocier. Olivier Maingain, soutenu par le PSC de Mme Milquet, dont les voix étaient aussi indispensables, a obtenu la signature par la Belgique de la Convention-cadre, en compensation de notre accord pour laisser passer la réforme de l'Etat, comprenant le transfert aux régions de la loi communale, mais aussi le refinancement de la Communauté française.

N.d.F.: En 2002, Mme Nabholz a rendu son rapport...

Suite à la pétition des responsables de la périphérie, le Conseil de l'Europe a envoyé un deuxième émissaire en Belgique. Mme Nabbholz a remis un rapport très positif qui démolit l'argumentation flamande selon laquelle il n'y a pas de minorité en Belgique, si ce ne sont les germanophones. Cette fois, mon travail au Conseil de l'Europe a abouti positivement puisque le rapport a été adopté en commission, puis en assemblée plénière.

N.d.F.: La rencontre de l'APFF avec Mme Nabholz a-t-elle été utile?

Bien sûr, j'ai beaucoup travaillé à Strasbourg pour faire connaître les problèmes de la périphérie. Quand Mme Nabholz vous a rencontré, elle a obtenu des informations complémentaires sur ce qui se passait au niveau culturel au-delà de la périphérie, en Flandre plus profonde.

N.d.F.: Pourquoi le Conseil de l'Europe ne s'est-il pas montré plus déterminé à ce que la Belgique ratifie la Convention-cadre?

Il y a plusieurs raisons: les problèmes de la Belgique sont des problèmes de privilégiés par rapport à certaines difficultés graves qui se posent ailleurs en Europe. Donc, pour certains, il y a d'autres priorités_! Par ailleurs, la France ne nous soutient pas car elle n'a ni signé ni ratifié la Convention-cadre. Il y a seulement deux autres Etats dans ce cas: la Turquie et Andorre. Et puis, j'ai quitté Strasbourg en 2003.
Je suis persuadé du rôle très néfaste qu'a pu jouer Luc Van den Brande qui y est resté en fonction longtemps après moi. Il en a profité pour détricoter et démolir tout ce que j'avais construit.
La Flandre est bien consciente que cette ratification n'est pas anodine, car elle sait que le Comité consultatif du Conseil de l'Europe est vigilant et suit de très près les évolutions faites par les pays qui ont ratifié la convention. Tous les trois ans, les états doivent prouver qu'ils honorent leurs engagements, sous peine de fortes pressions et mises en demeure.

N.d.F.: Votre parti n'est pas arrivé à relancer le débat?

Non, pas encore... Un clou chasse l'autre comme on dit en politique. Il y a tant de sujets nouveaux et il n'y a que 24 heures dans une journée. Le FDF aurait pu s'investir davantage. Mais je ne suis plus député depuis 2003 et le FDF n'a plus eu de représentant à Strasbourg. Il faut un idéaliste comme moi pour s'acharner sur un sujet tel que celui-là.
On a plusieurs fois pensé introduire une plainte à l'ONU, mais on ne l'a jamais fait. Je vous félicite, vous, de l'avoir fait. Vous allez avoir à l'ONU la même chose que ce que j'ai eu au Conseil de l'Europe. Je suis sûr que des pays vont soutenir votre plainte rien que pour contrarier la Belgique qui prétend être un modèle et qui a même voulu vendre sa constitution à des pays en difficulté (ex: Chypre).

N.d.F.: Pour en revenir à la Belgique, que pensez-vous de la réforme de l'Etat et de la scission de BHV?

A mon avis, les Francophones ont perdu un gros atout en acceptant la scission de BHV, sans obtenir de contrepartie substantielle. Ils ont fait des concessions en s'illusionnant sur le fait qu'ainsi, ils maintenaient l'Etat belge. Or, sur ce plan, rien n'est garanti!
Il est vrai qu'il est difficile d'admettre que la Belgique n'est plus qu'une illusion. Mais quand à chaque négociation, il faut faire des concessions, dans l'espoir de calmer les Flamands, et puis constater qu'ils demandent toujours plus, il faut à un moment donné mettre un holà et dire qu'on arrête: on ne change plus un iota ou alors on se sépare, mais de cela, ils seront les vrais responsables.
Les Francophones de Flandre, d'ailleurs, ont plus de chance d'être reconnus si la Flandre devient autonome car elle devra reconnaître sa minorité francophone pour adhérer aux instances internationales.

N.d.F.: Et l'accord culturel entre les Communautés flamande et française qui ignore les francophones de Flandre?

Caroline Persoons, députée FDF à la Fédération Wallonie-Bruxelles, a eu raison d'interpeler la ministre de la Culture, Fadila Laanan, pour lui faire remarquer qu'elle n'avait pas profité de l'opportunité de cet accord pour aborder la situation des associations culturelles francophones en Flandre et la ratification de la Convention-cadre. Une fois de plus, c'est une occasion manquée.
Mais face à ces problèmes, il y a tout un lobby d'artistes qui veulent pouvoir développer leurs activités dans les deux Communautés.

N.d.F.: Vous quittez la politique. Quel sentiment vous en restera-t-il?

J'ai fait ce que j'ai pu pour faire avancer les causes qui me tenaient à cœur.
Un exemple: je me suis souvent rendu en Azerbaïdjan lorsque le pays a fait sa demande d'adhésion au Conseil de l'Europe. Nous avons, entre autres, exigé la libération des prisonniers politiques. Un jour à l'aéroport de Bakou, une femme s'est jetée à mes pieds en pleurant. Le traducteur m'a expliqué qu'elle voulait me remercier d'avoir fait libérer son mari. J'en ai été très ému.
A mon humble niveau, j'ai réussi à faire concrètement avancer certains dossiers importants, notamment au niveau humain.
Pour la périphérie, rien n'est encore réglé valablement, mais je garde espoir!

 

propos recueillis par
Anne-Françoise COUNET


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