On sort de la lecture de ce livre intellectuellement ragaillardi, comme on le serait physiquement après une douche froide par un temps de canicule. L'auteur, Paul Dirkx est sociologue et Rédacteur en chef de la revue "FrancoFonie" du Centre d'étude des francophones en Flandre. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne pratique pas la langue de bois et qu'il aide ses lecteurs à se placer les yeux en face des trous.

Point de départ: la complainte flamande transmise de père en fils et véhiculant l'image du petit flamand pauvre mais courageux regardé de haut par des Francophones riches et arrogants. Au fil des ans, ce cliché s'est imposé dans la mentalité collective comme une vérité première. Le mythe de la différence ethnique entre deux communautés est nourri par une série d'événements circonstanciels: l'influence en Flandre de l'Eglise catholique contestée dans le sud du pays. La tentation des leaders flamingants durant la guerre 1940-44 de se commettre avec les Allemands. Les réactions opposées des Flamands et des Wallons au retour du roi Léopold III. Le comportement syndical différent lors de la "grande grève" de 1957 contre la "Loi unique" de Gaston Eyskens. Autant d'éléments qui transforment la "question linguistique" en "problème communautaire".

Europe néo-libérale

Ce qui arrange parfaitement les tenants du néo-libéralisme dur et pur qui souhaitent moins d'intervention de l'Etat dans les affaires privées et oeuvrent aux "réformes institutionnelles" qui vident petit à petit l'Etat d'une grande partie de ses prérogatives. Ce qui correspond parfaitement à une certaine vision d'une Europe des régions, dont les promoteurs évoquent le "principe de subsidiarité" imposé au niveau européen. Un principe selon lequel toute action nécessaire doit être confiée au niveau de pouvoir le plus proche capable de l'exécuter. Un pouvoir supérieur n'intervient que si le pouvoir inférieur ne parvient pas à régler le problème.

Débat ou négociation?

Paul Dirkx décortique les stratégies des pouvoirs. Il évoque la toute-puissance des directions de partis qui ne témoigne pas précisément d'une pratique démocratique. Des négociations qui devraient mobiliser un ensemble de représentants des citoyens, se font entre présidents de partis. On se situe en pleine "particratie". L'auteur révèle, par exemple, les manoeuvres déployées par Gaston Eyskens, alors Premier ministre, pour faire accepter sa "Loi unique" qui mit le pays en ébullition. Il montre aussi la continuité de la pensée fédéraliste, liée aux thèses de l'économie libérale, et notamment l'influence de Lodewijk De Raet sur une série de leaders du mouvement flamand. Un "mélange de nationalisme conservateur, de collectivisme paternaliste et de messianisme libéral est la première manifestation théorique d'une vision du monde que l'on peut qualifier d'ethno-libérale". Et Eyskens "se profile comme un De Raet catholique". Du côté wallon, Jean Gol "se fait le théoricien d'une nouvelle "nation francophone" Wallonie-Bruxelles". "Certains observateurs prédisaient, dès 1979 que ces "néo-flamingants" et les "néo-libéraux de Jean Gol" étaient faits pour s'entendre."

Parmi ces néo-flamingants : les frères Van Rompuy et... Wilfried Martens. Ce dernier, plusieurs fois Premier ministre, a nourri les ambitions de son ancien chef de cabinet, Jean-Luc Dehaene. Devenu Premier ministre à son tour, Dehaene est descendu de quelques échelons en occupant, une fois sorti du 16 rue de la Loi, des postes royalement rémunérés dans le secteur privé.

L'ouvrage de Paul Dirkx, favorise une prise de conscience des choix politiques et économiques en présence et de leurs conséquences sur le niveau de (sur)vie des citoyens d'une Europe en crise.

Marcel BAUWENS

"La concurrence ethnique" par Paul Dirkx, Editions du Croquant