Nouvelles de Flandre
Paul pourveur, écrivain de langue néerlandaise et française

Il arrive que des auteurs écrivent en plusieurs langues. Fixés en terre étrangère, exilés - volontaires ou non -, ils font le choix de la langue du pays qui les a accueil-lis et délaissent la langue maternelle qui fut celle de leurs premiers textes. Ou polyglottes, ils élargissent leur domaine d'écriture en s'imposant le défi d'une langue acquise. Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Rainer Maria Rilke, Fernando Pessoa, Gao Xingjian, autant d'exemples prestigieux, différents les uns des autres. Anne-Rosine Delbart a consacré un bel essai à ceux qui ont choisi d'écrire en français: Les exilés du langage, Un siècle d'écrivains français venus d'ailleurs (1919-2000).

En Belgique, le cas du dramaturge Paul Pourveur me semble unique. Bilingue, il écrit tantôt en français, tantôt en néerlandais, selon que la commande lui vienne des Pays-Bas, de Flandre ou d'un théâtre de la Communauté française.

Paul Pourveur nait à Anvers, en 1952, de parents wallons francophones. On parle français à la maison, le père, ingénieur, use du français à son travail mais les enfants sont scolarisés en néerlandais, et donc bilingues dès l'enfance. Le jeune Paul fait ses études chez les jésuites: on ne parle dans l'établissement ni le flamand ni le dia- lecte anversois mais le néerlandais (algemeen beschaafd nederlands), langue d'étude et d'échange, y compris pour les élèves francophones.

Après ses secondaires, il s'inscrit à Bruxelles au RITS, école supérieure de cinéma de langue néerlandaise, aujourd'hui rue Antoine Dansaert, alors installée Porte de Namur, dans le même bâtiment que l'INSAS. Pourveur y est actuellement, et depuis neuf ans, responsable de la section écriture.

Ses études terminées, il travaille en tant que monteur pour le cinéma et la télévision. Ses premiers textes - en néerlandais - sont des scénarios, des textes pour des documentaires. Comme il n'existe pas de formation de scénariste en Belgique à ce moment, il part à deux reprises passer trois mois aux États-Unis, à l'UCLA (Los Angeles), où il suit, deux fois par semaine, des cours du soir d'écriture de scénarios. Par la même occasion, il devient trilingue. Rentré en Belgique, il écrit des scénarios pour la télévision flamande (BRT): documentaires, films de 50 minutes, feuilletons, séries sur le Congo, sur des peintres. En 1985, on lui propose d'écrire (en néerlandais) pour la scène. Un mouvement, fortement soutenu par la presse, désire "réinventer le théâtre" avec des gens extérieurs à ce domaine: des musiciens par exemple, ou Jan Fabre. Des commandes arrivent également de Hollande. Rapidement, Pourveur apparait comme un des nouveaux dramaturges flamands qui comptent.

Et voici qu'en 1989, Hélène Gailly, comédienne et metteuse en scène, demande à Pourveur une pièce en français. Ce sera Oum'loungou (L'homme blanc), édité en 1989 aux Éditions Nocturnes (Bruxelles), joué au Botanique en 1990. H. Gailly montera ensuite Venise en 1992 (Éditions Lansman, B-7141 Carnières-Morlanwelz), Massacrilège - avec des enfants des Marolles - en 1993 et 1994 et, au Rideau de Bruxelles en mars 2010, White-out, dans une version française établie par Martine Bom et l'auteur.

De 1985 à aujourd'hui, Pourveur reçoit de nombreuses commandes qu'il honore dans l'une ou l'autre langue. Mentionnons quelques titres d'œuvres éditées: La minute anacoustique (Lansman, 1996), Les B@lges, en co-écriture avec Jean-Marie Piemme (Lansman, 2002), Marrakech - Cauchemars et fantasmes d'une femme au seuil de la ménopause - Nachtmerries en fantasma's van en vrouw op de drempel van de menopauze (Hayez & Lansman, Bruxelles, 2008; traduction néerlandaise de Nadine Malfait).

Shakespeare is dead, get over it!, écrit en néerlandais (2002), a été joué en français au Théâtre National en octobre 2008. Le texte original de White-out, qui répondait à une demande de la compagnie hollandaise de Willibrord Keesen (1996), a paru dans le recueil Het soortelijk gewicht van Sneeuwwitje, aux Éditions Beduquin, en 1996. Pourveur ne se traduit pas lui-même mais revoit les traductions, qu'il s'agisse du passage du néerlandais au français ou de l'inverse.

Nous avons vu trois de ses pièces en 2008, 2009 et 2010: Marrakech, L'abécédaire des temps modernes I, II, III (inédit) et White-out. Les résumer est difficile car le théâtre de Pourveur mise moins sur l'intrigue que sur des situations et des questions d'aujourd'hui surtout. Le sous-titre de Marrakech en synthétise le sujet. L'abécédaire des temps modernes touche à quantité de thèmes et de problèmes essentiels - l'amour, le sexe, le désir ou non d'enfants, la compréhension ou non de l'autre, l'affrontement entre science et religion, le besoin de se situer dans le monde - ainsi qu'à l'actualité: le terrorisme, l'information et la désinformation, la toute-puissance de la technologie, la déshumanisation des relations, le réchauffement climatique, les spams, les embouteillages. Les jeux de rôle du couple de White-out ne permettront pas au spectateur de démêler le vrai du faux, l'imaginaire du réel. Tous les possibles existent et même coexistent, comme ce brouillard blanc épais du whiteout nordique et le Sud des États-Unis, présent en permanence par des répliques tirées de Lumière d'aout de William Faulkner et du film Autant en emporte le vent.

Paul Pourveur a obtenu le prix du Meilleur auteur de la saison 2008-2009 pour deux pièces en français, dix ans après avoir été récompensé par ce prix en Commu- nauté flamande. Peut-on rêver plus belle reconnaissance?

À propos de son écriture, il déclare: "... je n'écrirai jamais comme un vrai francophone ou comme un vrai flamand. Ce sera toujours entre les deux. Avec des influences des deux langues, je crois. Je n'ai jamais senti une appartenance à une langue précise. Moi, je suis comme un touriste à l'intérieur des langues... Respectueux et irrespectueux. [...] d'un côté comme de l'autre. C'est un mélange des deux cultures. Ce qui me donne plus de liberté. Même si souvent ça frise les erreurs grammaticales! Mais il faut jouer avec le langage."

Laissons-lui le soin de conclure: "J'ai beaucoup de chance. J'ai toujours travaillé sur commande, tant pour le cinéma que pour le théâtre, tant en néerlandais qu'en français. Je n'ai pas choisi d'écrire en cette langue: j'ai répondu à des demandes. Bilingue depuis toujours, je suis belge, écrivain francophone et écrivain flamand."

 

Claire Anne MAGNÈS

Ce texte applique les recommandations orthographiques de 1990.
1) Anne-Rosine DELBART, Les exilés du langage, Un siècle d'écrivains français venus d'ailleurs (1919-2000), Presses universitaires de Limoges (Pulim), Collection Francophonies, Limoges, 2005, 262 pages.
2) Extrait de J'écris des textes nus qui doivent être habillés, entretien avec Michael Delaunoy, janvier 2005.


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