Nouvelles de Flandre
"La Chine s'ouvre sur le monde" : sur quel monde ?


Vue sur Pudong, quartier des affaires de Shanghai

On pourrait penser que celui qui comme l'auteur de ces lignes a effectué 17 séjours en Chine au cours des trente-deux dernières années maîtrise l'analyse de ce pays. Loin s'en faut. Même un natif chinois ne pourrait le prétendre: car plus on étudie cette immense civilisation, plus elle semble vous échapper. Et d'ailleurs tout intellectuel chinois lucide vous avouera qu'il n'a pas fini l'apprentissage de sa propre culture. Cet avertissement peut illustrer la théorie selon laquelle la Chine, ce n'est pas un Etat... mais un état - une façon de vivre, de penser, d'écrire, de parler, de manger, d'analyser, d'apprendre, de se distraire, etc - et la conviction que cet état se trouve là où vivent les Chinois considérés non comme les membres d'une même ethnie mais comme les tenants d'une même culture.

Au terme des trente dernières années le pays a rebondi, comme on dit. Il a retrouvé sur le plan économique et dans une moindre mesure sur les plans politique et social la place qu'il occupait jusqu'au début du 19e siècle. Pendant un siècle, il ne réussit pas à franchir le pas de la modernité, comme le fit il y a 150 ans le Japon.

Aujourd'hui c'est chose faite. La Chine a - pas encore tout à fait - achevé sa révolution copernicienne comme ont dit aujourd'hui. Aussi bien l'éclatant succès des Jeux Olympiques de Pékin 2008 que celui, dès à présent avéré, de l'Expo Shanghai 2010, la plus grande exposition universelle jamais organisée, le démontrent. Ces événements prouvent la réalité de l'ouverture de la Chine, ce pays qui depuis l'explosion du phénomène de la mondialisation martèle un peu moins qu'il est le centre du monde (ou plutôt, selon le point de vue chinois, l'Empire du Milieu).

Ouverture sur le monde, mais sur quel monde? La question ne doit-elle pas être inversée: quand le monde s'est-il ouvert à la Chine? De manière intéressée et cupide depuis le 19e siècle sans doute. Léopold II négocia dans les années 1880 la construction du premier grand chemin de fer chinois (Pékin-Hankow). C'est sous son règne que la Belgique obtint une concession territoriale à Tien-tsin et y implanta tramways et distribution d'électricité. Un des hommes d'Etat de la première république chinoise (1912), Lou Tseng-tsiang, un francophile, épousa une Belge francophone et termina sa carrière à Bruges-Saint-André.

La France fut - parmi les puissances occidentales vers laquelle commença à s'ouvrir Pékin au début du 20e siècle - la fille aînée de la Chine et c'est dans la Concession territoriale française de Shanghai que fut créé le Parti communiste détenteur du pouvoir sans discontinuer depuis 60 ans. Ceci montre qu'au départ (à défaut de remonter plus avant dans l'Histoire) le français - la langue autant que la culture - avait en Chine une ardeur d'avance sur les autres cultures étrangères. Les piliers du régime comme Zhou Enlai ou Deng Xiaoping firent leurs premières armes en pays francophones (banlieue parisienne pour le premier, banlieue carolorégienne pour le second). L'université Aurore créée à Shanghai par les Jésuites français fut l'une des premières et des plus prestigieuses de Chine.

En 1964, de Gaulle fut le premier chef d'Etat d'Europe occidentale à reconnaître diplomatiquement la république populaire, amenant à sa suite d'autres pays à le faire. Mao Zedong lui en sut gré. Il ordonna la promotion du français dès l'enseignement secondaire et fixa des quota très avantageux pour le "français langue diplomatique" imposée aux étudiants. Aujourd'hui, le business as usual a quelque peu inversé la tendance. Mais les grandes universités chinoises ont toutes leur département de français et jamais les Alliance Française implantées dans les mégalopoles n'ont connu autant d'inscriptions de Chinois. Leur appétit commercial pour l'Afrique n'a fait qu'intensifier ce regain d'intérêt pour la langue de Voltaire. En revanche, les chancelleries et entreprises réputées francophones semblent aujourd'hui faire preuve d'une grande frilosité. Un comble, en particulier à Shanghai qui fut surnommée le Paris de l'Orient.

 

André BUYSE


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