Nouvelles de Flandre
Jean Baetens ou le choix du français

Poète, prosateur, éditeur, Jan Baetens, à qui fut décerné voici deux ans le Prix triennal de poésie de la Communauté française, est un Flamand qui a fait le choix délibéré du français comme langue d'écriture.

Né à Sint-Niklaas en 1957, flamand, et de langue flamande, par sa famille, ses études, son métier, Jan Baetens est professeur à la KUL où il enseigne les affaires culturelles: il a la charge d'un master "destiné à améliorer les étudiants sur un plan culturel". Chez lui, avec sa femme et son fils, il parle néerlandais même si, avons-nous lu, il lui arrive de rêver en français.

Adolescent, lors d'un séjour chez une tante de son père qui, ayant épousé un Wallon, vit en Wallonie, il découvre la littérature française. Il la lit d'abord en traduction, puis, passionné notamment par le nouveau roman, il désire la lire dans le texte. Plus tard, il découvrira la littérature belge de langue française, en particulier la poésie. On peut supposer que c'est l'amour des lettres qui le détermine à faire des études de philologie romane. Il a toutefois hésité entre cette orientation et l'archéologie.

En 1985, il fonde avec son ami Benoît Peeters et avec Marc Avelot Les Impressions nouvelles, maison d'édition de littérature contemporaine - poésie, romans, essais. Codirecteur de la revue Formules, rédacteur en chef adjoint de FPC/Formes poétiques contemporaines, sémiologue, il est aussi extrêmement intéressé par le cinéma. Deux de ses œuvres en témoignent: Vivre sa vie et La novellisation. Sauf erreur de notre part, il publie pour la première fois en 1996, et en français: un volume de poèmes intitulé 416 Heptasyllabes.

Si Jan Baetens a fait le choix du français comme langue d'écriture, c'est pour plusieurs raisons. Sa langue mater-nelle étant le flamand, écrire en néerlandais signifiait déjà s'exprimer dans une autre langue. Il lui a préféré le français. Parce que langue de culture et de plus grande diffusion? Oui, mais c'est moins vrai qu'autrefois.

Ce choix, dont Baetens s'explique dans sa postface à Slam!, va de pair avec une forme de mélancolie: "on est venu trop tard, et peu importe dès lors d'utiliser une langue qu'on peut craindre sur le déclin, à moins que cela n'importe absolument et que ce soit absolument juste de choisir une telle langue pour se jeter dans une telle aventure, d'autant plus nécessaire que profondément mélancolique."

Une triple contrainte

Mais la raison majeure est sans doute la contrainte que cette langue non maternelle impose au poète. Car la contrainte est un élément essentiel de l'écriture de Baetens. Elle se révèle triple: écrire
- dans une langue étrangère: le français;
- sur un sujet extérieur à soi: un objet, un métier;
- dans une forme donnée: heptasyllabe, sonnet…

Au cours d'un entretien mené par Monique Discalcius et publié dans Le Ligueur du 9 avril 2008, Baetens déclare: "La syntaxe des deux langues est tellement différente que je dois penser en français pour écrire ensuite. J'évite tout néologisme, parce que je veux être compris. Le premier contact du lecteur avec mes poèmes doit être facile. C'est dans la construction que réside l'originalité, j'aime faire du neuf avec des mots que tout le monde comprend. Pas d'hermétisme. J'aime le complexe mais pas le compliqué!"

Après les 416 Heptasyllabes, Baetens publie plusieurs volumes de poèmes et un essai:
- Arts poétiques, Baetens/Comp'Act, Le Polygraphe, 2003.
- Cent fois sur le métier, Paris-Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2004: cent poèmes, sur cent professions différentes.
- Vivre sa vie, ibid., 2005: novellisation en vers du film de Jean-Luc Godard; quinze tableaux de formes et de longueurs différentes.
- Slam! Poèmes sur le basket-ball, ibid., 2006.
- Cent ans et plus de bandes dessinées (en vers et en poèmes), ibid., 2007: une soixantaine de textes de formes différentes restituent l'atmosphère de BD aimées et admirées. Le classement est chronologique et les noms des auteurs (Töpffer, E.P. Jacobs, Schultz…) constituent les titres.
- La novellisation, ibid., 2008: essai consacré à ce genre littéraire relativement récent. Terme venu de l'anglais (on écrit aussi novélisation), la novellisation désigne la transcription en roman d'un film ou d'un scénario. L'ouvrage de Baetens comporte un historique du genre, en analyse plusieurs réalisations, étudie la novellisation en tant que texte et objet éditorial.

En 2008, le Prix triennal de poésie de la Communauté française est attribué à Jan Baetens pour Cent fois sur le métier. Il lui est remis le 29 février 2008. Le début du discours de remerciement de l'écrivain nous en dit tant sur le choix de sa langue d'écriture que tout commentaire nous semble superflu.

"Aujourd'hui, les poètes flamands d'expression française sont plus rares encore que les 29 février, et je ne pense pas être le seul à le regretter. Non pas par nostalgie, en songeant à tous ces auteurs flamands qui ont enrichi le patrimoine des lettres belges, mais à cause du présent et surtout de l'avenir. Je crois en effet qu'une littérature gagne à s'ouvrir à celles et à ceux qui la choisissent librement - par conviction, par désir, par amour.
C'est exactement mon cas. Tout le monde sait que je n'écris pas en français par atavisme, par tradition familiale, par souci de distinction, mais par une nécessité intérieure. Le choix du français est un choix voulu, pleinement assumé, que j'ai toujours défendu contre l'incompréhension et les moqueries de certains proches (du reste, presque personne en Flandre ne sait que j'écris). C'est le défi que pose le choix d'une langue étrangère qui m'a permis de trouver ma voix et ce sont les exemples de la littérature française et belge qui m'aident à me faire étranger à moi-même - condition sine qua non, selon moi, de toute parole véritablement littéraire. Écrire n'est pas une manière de s'exprimer, mais une façon de "partager le sensible", pour citer Jacques Rancière, c'est-à-dire une façon de proposer aux lecteurs de nouvelles façons de voir le monde - et le mot importan
t est ici 'monde', non le mot 'moi'".

 

Claire Anne MAGNÈS


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