Nouvelles de Flandre
Lectures : Les Flamandes, Les Moines
Une réédition très attachante

L'édition critique de Michel Otten des recueils Les Flamandes de 1883 et Les Moines de 1886 a ceci d'extraordinaire que, sur la page de droite du livre, le poème est publié dans sa dernière version laissée par Verhaeren, alors que la page de gauche reproduit les corrections de versions de Verhaeren lors des publications successives. Bien qu'il ne faille pas nécessairement comparer les versions, y jeter un coup d'œil est extraordinairement intéressant. Il ramène le lecteur dans l'intimité du poète au travail. On le sent - critique, sensible et toujours créateur - revoir et refaire sa poésie.

Après Les Flamandes et Les Moines éditées de cette façon à droite et à gauche, suivent dans le même volume les poèmes supprimés par Verhaeren. Le lecteur s'y met avec précipitation, obéissant à son besoin de lire plus - plus encore de ce lyrisme réaliste, juste et fort. Les deux recueils, l'un se situant dans les campagnes et l'autre dans les couvents, ne sont pas "si différents" comme le suppose l'auteur de l'introduction V. Jago-Antoine. J'ose proposer au lecteur de passer cette introduction un peu trop scientifique… Verhaeren se comprend sans interprétation.

Dans Les Flamandes et Les Moines, la nature est la même, omniprésent décor de la vie des hommes, et dans ces deux décors, la même opposition apparaît entre la pureté, la naïveté, la passion naturelle des uns et l'immonde brutalité des autres, entre les moments de joie et de beauté, d'instinct et sexe d'un côté et, de l'autre, les moments de passions mauvaises déchaînées. Chez Verhaeren, les « bonnes » passions du sexe découlent de l'attrait des sexes qu'il suit avec délice et sans pudeur. Chez ceux qui sont capables de faire la fête, toute rencontre est une fête.

Le rapprochement Émile Verhaeren - Jacques Brel a été fait, il est frappant aussi bien dans Les Flamandes que dans Les Moines. Le langage de Verhaeren prépare celui de Brel, écoutons deux passages comme il y en a au moins cent dans le livre. Le premier est extrait des Paysans dans Les Flamandes, le second des Cloîtres dans Les Moines.

Aux kermesses pourtant les paysans font fête,/ même les plus crasseux, les plus ladres. Leurs gars/ y vont chercher femelle et s'y chauffer la tête./ …/ On y bataille, on y casse gueule et mâchoire/ aux gens du bourg voisin, qui voudraient, nom de Dieu !/ lécher trop goulûment les filles du village/ et s'adjuger un plat de chair, qui n'est pas leur. Aux temps de mai, dans les matins auréolés/ et l'enfance des jours vaporeux et perlés,/ quand la brume légère a la clarté des limbes/ et que flottent au loin des ailes et des nimbes,/ il étalait sa joie intime et son bonheur,/ à parer de ses mains, l'autel, pour faire honneur/ à la très douce et pure et benoîte Marie…

Qui connaît la légende flamande du moyen âge, La sœur Béatrice, reconnaît la douceur de la piété. La poésie de Verhaeren est simultanément inspirée par son érudition et par l'élan vital, qui croit à la joie du service imposé, qu'il soit travaux de la terre ou support du divin. Tout ici est jubilation intime, encouragement, réjouissance, pas de bravoure verbale. Et si le chant de l'enthousiasme se lève, c'est pour cueillir ce que la vie offre. L'image qu'on récolte à chaque page est sans candeur, sans innocence, le lecteur s'étonne de l'audace de l'observateur, pas évidente en son temps (1855-1916). Il découvre un jeune homme, force de la nature, déjà engagé dans son anticonformisme de penseur social, personnalité extatique simultanément sensible à l'appel du mysticisme, corrélatif des tristesses occasionnelles de celui qui voit clair.

On y devine aussi l'avenir de Verhaeren, l'immensité de l'oeuvre qui va suivre, même les titres que le poète donna à l'épanchement de sa pensée lyrique: Les débâcles et Les apparus dans les chemins, Les forces tumultueuses, Les multiples splendeurs, enfin, on y reconnaît déjà l'inspiration puisée de l'art des primitifs flamands qui guidera sa prose des trois tomes Impressions sur l'art et la littérature, les artistes et les écrivains, et ses cinq tomes Toute la Flandre, qui firent connaître nos richesses flamandes en Allemagne, en Angleterre, en Scandinavie et en Russie, pays qui avaient accueilli en Verhaeren un grand poète du temps nouveau.

Cela a été dit que la France jugea mal Verhaeren, ami de Romain Rolland, et que, mis à part le roi Albert et la reine Élisabeth, la Belgique ne le fêta que lorsqu'il fut reconnu partout ailleurs. Ce numéro 5 de « Poésie Complète » édité par Les Archi-ves du futur contient le merveilleux souvenir du langage et de l'inspiration d'un grand poète qui mérite de renaître dans les familles.

 

Nicole VERSCHOORE

Émile Verhaeren, Poésie Complète 5, Les Flamandes et Les Moines, Édition critique établie par Michel Otten dans la série « Archives du futur » éditée par Luc Pire pour les Archives et musée de la littérature, Bruxelles.


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