Nouvelles de Flandre
Sur les traces du français au Laos et au Cambodge

Intéressant voyage qu'organisait cette année le club Richelieu de Namur: Cambodge et Laos, deux pays qui émoustillaient notre curiosité francophile: y retrouverions-nous quelque trace de la colonisation française? La réponse est sans conteste: oui.

Anecdotique: la présence de baguettes de pain aux étals de rue, dans les deux pays. Quant aux enfants-vendeurs qui vous accueillent par grappes, en français, à l'entrée des temples, leur connaissance, très limitée, du français n'est due qu'aux seuls touristes actuels!

Plus officielle: les noms de rue et les enseignes de bâtiments publics en deux langues dont le français. Bien qu'il arrive que le français fasse place à l'anglais pour certains bâtiments. Sans qu'il soit possible d'en déterminer la raison. Pour les hôpitaux, écoles, etc. tous bâtiments privés, on peut raisonnablement penser que la nationalité du donateur est pour quelque chose dans le choix de la deuxième langue ; pour les bâtiments publics, il ne semble y avoir aucune règle, français et anglais se retrouvent en 2ème position, une fois dans tel secteur, une fois dans un autre …

Le Laos, un petit parfum d'Indochine

Luang Prabang au Laos, est une adorable petite cité de style colonial, classée au patrimoine de l'Humanité, à la très grande fierté de ses habitants, qui dégage une ambiance méditerranéenne avec ses agréables terrasses. Le français y est parlé couramment avec la majorité des commerçants. Ventiane, la capitale du Laos, possède de larges avenues bien entretenues et fleuries à côté de quelques rues plus populaires, que ne renierait pas une ville du Midi de la France. Peu de dépaysement donc si ce n'est l'incroyable circulation des « tuk-tuk » chamarrés qui emmènent 4 à 6 personnes derrière une moto.

Au Laos, l'enseignement est obligatoire jusqu'à l'âge de 11 ans. Il est possible de suivre cet enseignement obligatoire en français ou en anglais - à côté du lao - mais les minervaux sont dissuasifs, davantage d'ailleurs pour le français que pour l'anglais. Il semblerait que, dans les deux pays d'ailleurs, les aides culturelles américaines soient plus généreuses que celles de la francophonie.

Le Rénovateur, hebdo en français

Il existe, au Laos, un magazine en français, de 30 pages, sous couverture couleur, "Le Rénovateur" (www.lerenovateur.org.la), édité sous l'égide du Ministère de l'Information et de la Culture, qui s'annonce comme un "hebdomadaire d'informations générales de la République Démocratique Populaire Lao". Et, en effet, les nouvelles sont essentiellement locales couvrant pratiquement tous les secteurs d'activité, à l'exception de la vie politique qui, ici, ne se discute pas : le Laos est une République Populaire Démocratique, le Président du Parti Communiste est aussi le Président de la République et est élu à vie. L'ensemble de la Réda-ction est composé exclusivement de Lao (une vingtaine de rédacteurs et journalistes quand même!) ou du moins de personnes à patronyme lao; seul le correcteur porte un nom bien français, ce qui devrait assurer l'exactitude de ses corrections!

Cambodge, splendeur d'Angkor et misère de la population

Décor totalement différent - hélas - au Cambodge. On peut dire "hélas", car ici, la misère se visse sur un manque total d'hygiène. Oublions un instant le site imposant d'Angkor Vat (la ville des temples) et la foule de ses nombreux touristes de toutes nationalités. La ville Siem Réap, proche du site, est essentiellement une ville internationale de passage à l'intention des milliers de touristes qui s'y pressent, à la croissance démentielle d'hôtels rivalisant en luxe et confort. On pourrait être n'importe où dans le monde, les enseignes commerciales se déclinent dans un nombre impressionnant de langues. Ne cherchons plus le français ici : s'il existe encore (sans doute), il est noyé dans la masse des idiomes pratiqués par les touristes!

Le vrai Cambodge est ailleurs. Dans une campagne totalement paupérisée, organisée de manière archaïque et vivant le plus souvent sous des abris précaires: une toile tendue sur quelques bambous ou un simple canot bâché servent souvent de refuge à toute une famille. Les moins pauvres arrivent à se construire des cabanons en bambou, sur pilotis, soit parce qu'ils se trouvent en zone très inondable (le long des fleuves et rivières), soit simplement pour se mettre à l'abri d'animaux indésirables. Agglutinés le plus souvent les uns aux autres, ils forment des véritables bidonvilles. Au milieu desquels, s'érigent soudainement de fastueuses villas affichant avec insolence, et souvent avec mauvais goût, leur richesse. Où trouver des traces du français parmi cette population dont l'unique préoccupation est de survivre?

Phnom Penh, bastion certain du français

Et puis aussi dans sa capitale Phnom Penh, où l'on est accueilli par une banderole lumineuse nous souhaitant la "bonne année" ("happy new year" quand même au verso!): on n'était pas loin du nouvel an chinois qui est célébré ici durant plusieurs jours et est l'occasion de fêtes grandioses (comme dans toute cette partie de l'Asie d'ailleurs). Le nouvel-an occidental se manifeste de façon bien plus modeste, comme un événement gentiment "exotique" grâce à ses sapins enneigés et Pères Noël! Comme quoi, l'on est toujours l'exotique d'autrui! Sur ce plan-là, au niveau d'une tradition rituelle qui puise ses racines dans le bouddhisme, anglais et français se retrouvent au tapis devant le chinois!

Une très faible scolarisation: 90% de la population serait analphabète, l'école n'est pas obligatoire mais "recommandée". Il y a quelques écoles gratuites, cambodgiennes, mais l'uniforme est imposé aux élèves. Ceci suffit à réserver son accès aux "privilégiés". Un grand nombre d'œuvres de bienfaisance d'origine occidentale, viennent au secours de la population en matière d'enseignement, de santé, de culture. En véhiculant leur langue d'origine. Et le français est largement représenté, aidé en cela par les Suisses et les Canadiens.

Le hasard d'une lecture de magazine dans l'avion, nous apprend qu'il existe une initiative de scolarisation gratuite en khmer, anglais et français, soutenue entre autres, par Claire Chazal, journaliste à TF1, à une trentaine de km de la capitale. L'école est réservée aux filles qui sont davantage écartées encore de l'enseignement que les garçons. L'école les sélectionne elle-même. L'admission ne se fait donc pas sur une base volontaire des enfants : on nous apprend que les petites filles sont bien souvent effrayées à l'idée d'être séparées de leur famille. Des photos nous les montrent, apeurées à leur arrivée alors que nous les voyons s'ébattre très joyeusement dans la cour de récréation. L'école n'a que 2 ans d'existence et donc aucune expérience de ce qu'il advient des ces jeunes filles instruites, éduquées lorsqu'elles réintègrent leur milieu. Mais l'initiative est généreuse et participe donc, au même titre que l'anglais, à l'enseignement du français.

Le français, aussi victime des Khmers Rouges

Enfin, n'oublions pas le lourd tribut payé par ceux dits "intellectuels" aux terribles Khmers Rouges. Nos deux guides francophones en sont des rescapés, l'un ayant pu fuir dans la jungle et l'autre ayant pu se faire admettre dans un village inconnu où il parvint à cacher qu'il pouvait lire et écrire! Voilà donc aussi une sanglante raison du recul du français. Toutefois, le français reste la langue véhiculaire de nombreuses facultés universitaires comme celles de médecine, de pharmacie et d'architecture.

Cambodge Soir, journal indépendant

Le Cambodge a aussi sa presse rédigée en français à ses débuts, devenue bilingue français - khmer par la suite: "Cambodge Soir Hebdo" (www.cambodgesoir.info). Quotidien jusqu'en octobre 2007 et hebdomadaire ensuite, son contenu dépasse l'actualité cambodgienne pour s'intéresser à toute celle du sud-est asiatique. Il est le seul journal indépendant d'informations politiques et générales publié en français de toute l'Asie ! Soutenu par l'Organisation internationale de la Francophonie, sa liberté de parole et le fait qu'il soit bilingue contribuent largement au débat démocratique et lui permettent de s'affirmer dans un paysage médiatique très partisan et manquant de professionnalisme. Sa création en 1995 fut vraiment un tournant historique alors que l'ensemble de la presse était contrôlée par l'Etat, lui-même aux mains d'un parti unique ! Dès cette époque, la coopération internationale s'est intéressée à la formation de journalistes à l'éthique et aux techniques professionnelles. L'Université Royale de Phnom Penh possède donc une section "journalisme" destinée aux étudiants en langue française. La Rédaction est composée de 11 journalistes cambodgiens, 4 français et 4 autres Cambodgiens assurant notamment des traductions.

Autour d'une machine à coudre

Et puis cette rencontre étonnante, sous un marché couvert de Phnom Penh, déconseillé aux odorats sensibles. Nous entendant parler français, un homme nous pousse vers sa femme qui, elle, parle français! Elle tient un étal de couturière (tous les métiers s'exercent ici dans la rue et sur les marchés), elle nous invite à nous asseoir, veut nous servir une tasse de thé pour avoir le privilège de parler français avec nous! Emouvant.

Une certaine idée du français

Si les traces du français dans ces deux pays, sont relativement disparates, il est quand même remarquable de constater que la langue de ceux qui furent quand même des occupants-colonisateurs, sous différents statuts suivant les régions, ne souffre d'aucun opprobre, d'aucun rejet comme c'est souvent le cas. Peut-être est-ce dû au fait que le français, au contraire de l'anglais devenu langue internationale "neutre", véhicule certaines valeurs universelles que sa fameuse "Déclaration des Droits de l'Homme" affirme haut et fort, depuis déjà plus de deux siècles! Une raison de plus de soutenir le français au moment où l'universalité de cette Déclaration est dangereusement remise en cause par des totalitarismes religieux et politiques.

 

Michèle COERTEN


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