Nouvelles de Flandre
Est-on vraiment à deux doigts de l'éclatement de la Belgique ?

Les élections fédérales auront lieu en juin. Une fois que les électeurs se seront prononcés, il faudra entreprendre les négociations en vue de constituer un gouvernement. Ce sera, cette fois, un dangereux tour de force.

Depuis des mois, tous les partis flamands revendiquent "plus d'autonomie pour la Flandre". Ils font même de cette revendication un préalable à l'ouverture d'une négociation. Ils obligent les francophones, qui ne sont pas demandeurs d'une nouvelle révision de la Constitution, à s'engager dans une partie de poker politique. Si les francophones refusaient de discuter sur base de l'exigence flamande, on risquerait de ne pas pouvoir rédiger un programme de gouvernement. Une telle impasse pourrait créer une situation explosive. Certains craignent, le cas échéant, un éclatement de la Belgique.

Un électrochoc

La RTBF a lancé sur ce thème une émission de télévision très controversée, en raison des principes déontologiques qui ne permettent pas de mélanger l'information et la fiction. Elle a eu néanmoins le grand mérite d'avoir secoué les esprits et rendu les francophones attentifs à ce danger.

Cette émission avait été minutieusement préparée durant des mois par Philippe Dutilleul. Il a interrogé, au nord et au sud, de nombreuses personnalités du monde politique, du monde économique, de la sphère syndicale, des juristes, des journalistes, des historiens, des responsables d'associations culturelles et de l'APFF. Il a rassemblé ainsi une somme d'informations et d'opinions relatives à l'avenir du pays dans un ouvrage intitulé "Bye-bye Belgium*".

Le livre restera sans aucun doute une référence historique. Il fait apparaître les domaines où les Flamands veulent plus d'autonomie, le danger de voir le niveau fédéral se vider un peu plus de ses attributions de pouvoir, le glissement vers un Etat confédéral, les difficultés prévisibles en cas de séparation définitive des communautés et même les problèmes rencontrés par les associations culturelles francophones actives en Flandre...

Les enjeux

Les revendications flamandes portent sur la scission de l'arrondissent électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) et plus d'autonomie en matière socio-économique…

Les francophones refusent la scission de BHV parce que Bruxelles-Capitale serait entièrement englobée en Flandre avec toutes les conséquences linguistiques administratives que cela impliquerait. Les candidats mandataires ne pourraient plus se présenter devant les électeurs des deux communautés, ce qui est le cas jusqu'ici.

La revendication d'autonomie, elle, se fonde en profondeur sur une philosophie sociale différente au nord et au sud. Grosso modo entre démocrates-chrétiens et sociaux-démocrates. Yves Leterme est très clair à ce propos: "Nous sommes en faveur de la solidarité mais avec cette nuance que toute l'assistance ne doit pas être formalisée dans un système organisé par les pouvoirs publics. (…) C'est par cette nuance que la conception chrétienne-démocrate diffère de la vision du monde socialiste." On pourrait dire que, sur le plan économique, la Flandre met l'accent sur un libéralisme "dur" et la Wallonie, sur un libéralisme "tempéré".

Qu'est-ce que les Flamands entendent régionaliser davantage ? Toutes les dépenses compensatoires en matière de sécurité sociale : les allocations familiales, le remboursement des frais médicaux, les coûts d'hospitalisation. La gestion du chômage aussi. Ils disent "si une région fait des efforts de remise au travail des chômeurs - suivez mon regard vers le nord! - elle allège les frais de sécurité sociale et n'en est en rien récompensée. Et si une autre région - regardons vers le sud cette fois - ne fait pas le même effort, elle n'est pas sanctionnée".

La Wallonie a le taux de chômage de longue durée le plus élevé en Europe. Mais, en contrepartie on notera qu'il y a plus de pré-pensionnés en Flandre et plus de personnes profitant des crédits d'heures.

Par ailleurs, les Flamands font valoir la différence de niveau économique entre le nord et le sud. Qui a pour résultat une contribution "disproportionnée" à la sécurité sociale, aux impôts et à la balance commerciale. Les Flamands estiment le déséquilibre insupportable. Les transferts financiers atteignent 4 à 5 milliards d'euros par an (et non 10 comme l'ont avancé d'aucuns).

Le danger

Alors? Une remise en cause de ces éléments susciterait-elle un tremblement de terre institutionnel ? Non, sans doute. Mais, si les francophones acceptent de discuter les revendications flamandes, ils viendront eux-mêmes à la table de négociation avec leurs propres réclamations. Cela équivaut à rouvrir tout le dossier du contentieux communautaire. Dans l'état politique actuel du pays (force de l'extrême-droite en Flandre, affaires en Wallonie, remous autour de la famille royale…) ce peut-être un quitte ou double.

Les difficultés

Néanmoins, une série de difficultés de parcours rendent la partition de la Belgique peu probable : le partage de la Dette publique, le statut de Bruxelles, les répercussions internationales…

La Flandre prendrait unilatéralement la décision de se déclarer indépendante. Personne, au niveau international, ne connaîtrait officiellement ce nouvel Etat. La Flandre devrait, tel un vulgaire Monténégro, demander son entrée dans l'Union européenne. Quels remous dans le landerneau diplomatique.

Bruxelles! Quel serait son statut? Du côté flamand quelques-uns ont déjà trouvé la solution: créer un "Brussels DC" calqué sur "Washington DC" ou reconnaître à la ville-région un statut comme celui de Berlin.

C'est oublier que, probablement, Bruxelles resterait soudée à la Wallonie si la Flandre s'en allait. Il est pratiquement évident que, si elle, restait seule, Bruxelles dépérirait rapidement. Elle est déjà, actuellement étouffée, privée qu'elle est de tout hinterland. Devant la nouvelle situation créée, les institutions européennes pourraient quitter les lieux et s'installer à Bonn, à Vienne ou ailleurs… Les candidatures à la succession ne manquent pas.

Le problème de la répartition de la Dette publique exigerait à lui seul le maintien d'une Belgique unitaire avec un pouvoir fédéral minimal. En effet, les aspects financiers et juridiques, aux niveaux national et international sont tels qu'on peut s'attendre à des négociations sans fin!

Une "Fédération de Belgique"

Il y a donc fort à parier que le scénario catastrophe ne se produira pas. D'ailleurs, Guy Verhofstad, notre Premier ministre actuel et qui voudrait bien le rester, a fait savoir au journal "Le Soir" (du 9 janvier) qu'il était favorable à une « Fédération de Belgique ». Une troisième voie entre "séparatisme" et "immobilisme". Il s'explique: "L'immobilisme sur la réforme de l'Etat et les rapports entre Régions et Communautés ne font qu'exacerber les tensions et peuvent menacer la survie du pays.(…) Il faut au XXIème siècle, développer une série de réformes qui s'inspirent de l'avenir et tournent le dos aux XIX ème et XXème siècles. Il ne s'agit pas seulement d'accorder plus d'autonomie aux Régions et aux Communautés, il faut aussi renforcer la coopération entre elles." Il donnera les détails à ses interlocuteurs futurs dans la négociation…

Un accord culturel

Pour notre part, en matière de rapprochement pacificateur, nous plaidons, depuis toujours, pour que soit signé, entre nos deux grandes Communautés, un véritable accord culturel. Nous insistons sur "véritable" parce qu'il ne s'agit pas seulement d'organiser l'une ou l'autre exposition d'arts plastiques ou l'une ou l'autre soirée de ballet, en entérinant l'ostracisme qui frappe la langue française en Flandre.

Nous ne sommes heureusement pas les seuls à penser de la sorte. Rudy Aernoudt que nous avons eu l'occasion d'interroger dans l'émission "Questions publiques" partage notre point de vue quant à la nécessité d'un rapprochement entre Flamands et francophones et la signature d'un accord culturel. L'auteur de l'ouvrage "Wallonie-Flandre, je t'aime moi non plus" précise: "Les citoyens doivent se positionner sur le sujet si l'on veut éviter que les extrémistes soient les seuls à faire entendre leur voix."

Nous voudrions pouvoir, nous, les francophones qui vivons en Flandre, sans complexes linguistiques, organiser notre propre vie culturelle à travers les activités de multiples associations. Des associations qui sont privées de toute aide financière, par la volonté d'autorités flamandes animées, soit d'un esprit de "revanche", soit d'une peur, pourtant sans fondement, d'une invasion francophone en Flandre. Ne devons-nous pas d'ailleurs tous deux - Flamands et Francophones - nous méfier de l'envahisseur anglais?

Une raison d'espérer: les efforts déployés par les deux cabinets ministériels de Fadila Laanan et Bert Anciaux pour aboutir à la mise au point d'un accord inter-communautaire. En réponse à une question que nous avons posée au ministre flamand, le cabinet de ce dernier a fait une réponse dans laquelle il fait état de la volonté réciproque d'entente mais où il évoque aussi "l'espace politique turbulent" dans lequel s'inscrivent ces efforts... En clair: "c'est pas facile!". Mais pas impossible ! En tout cas, on le sait: "impossible n'est pas français".

 

Marcel BAUWENS

* "Bye-bye Belgium" sous la direction de Philippe Dutilleul aux Editions Labor

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