Nouvelles de Flandre
Comment sortir du labyrinthe belge ?

Il s'est donné pour mission de nous entraîner dans "Le labyrinthe belge" et de nous en indiquer la sortie. "Il", c'est Geert Van Istendael, ancien présentateur du journal télévisé flamand, sociologue, philosophe et l'un des meilleurs écrivains de Flandre.

Le labyrinthe s'ouvre sur un tour d'horizon historique où l'on se heurte aux premières luttes linguistiques. L'annexion à la France, en 1795, des Pays-Bas méridionaux a pour résultat une francisation forcée de tout le territoire. Une vingtaine d'années plus tard sous le règne de Guillaume 1er, c'est le mouvement inverse : "C'est à lui que revient l'honneur d'avoir sauvé la langue néerlandaise de la dégradation totale et par là, de son éradication en Belgique."

A partir de 1819, le néerlandais devient la seule langue officielle dans les deux Flandres, dans les provinces d'Anvers et de Limbourg. Et, en 1822, la loi s'étend aux arrondissements de Bruxelles et de Louvain. Cette politique rencontre une résistance de la part des libéraux francophones et… du clergé catholique. Les avocats francophones défendent leur gagne-pain et le clergé catholique flamand se méfie du néerlandais, la langue du protestantisme. En 1830, Guillaume se voit obligé de réintroduire la liberté linguistique.

Arrive Léopold 1er! La Belgique se dote d'une Constitution libérale qui prescrit que l'emploi des langues est facultatif. "Cela signifie en fait que l'usage du français est libre et que le néerlandais est toléré avec la plus grande réticence, et même avec répugnance." "Ce n'est qu'en 1898 que toute la Flandre est en fête parce que la loi de l'égalité est ratifiée : dorénavant le néerlandais est langue officielle en Belgique et jouit des mêmes droits que le français. Mais il faudra encore 70 ans pour qu 'il en soit effectivement ainsi."

Difficiles facilités

Avançons dans le temps: "En 1914, le roi Albert promet aux Flamands l'égalité de droit et de fait, phrase répétée des milliers de fois après la guerre. Cette égalité s'est fait attendre pendant bien des lunes. En droit, elle est obtenue à partir de 1930, en fait, elle ne s'est réalisée qu'après 1960." "En 1962 on a reconnu des facilités à vingt-cinq communes. Cette attribution implique que l'on reconnaît les droits de la minorité qui parle une autre langue officielle. Plus tard, six communes de la banlieue de Bruxelles viennent s'y ajouter."

Ici l'auteur renvoie dos à dos les Flamands pour qui les facilités sont une aide temporaire pour s'adapter à l'environnement linguistique et les francophones qui considèrent les facilités comme un droit permanent et constitutionnel. "Chacune de ces deux interprétations est spécieuse" dit-il.

Les Flamands doivent comprendre que les francophones belges et étrangers installés près de Bruxelles n'apprendront jamais le néerlandais et "les francophones disent se battre pour la liberté alors qu'ils méconnaissent la liberté des autres. Bruxelles s'est francisée après deux siècles d'abus de pouvoir et de coercition et les Flamands n'accorderont jamais aux francophones de la banlieue, les mêmes droits que ceux dont jouissent les Flamands bruxellois."

"Mépris", "dédain" …

Dans ce passage de son livre, Van Istendael met vraiment le doigt sur le noeud gordien du problème des relations Flamands - francophones. Pour les Flamands, les francophones ne daignent pas apprendre le néerlandais, ils ont le mépris, un dédain infini pour la langue des petites gens.

Il s'associe à la protestation et s'exclame: "Je n'accepte pas et ne puis accepter que dans ma ville, on ait tout mis en œuvre pendant des années pour éliminer ma langue. Je ne puis accepter que la capitale d'une Belgique bilingue ne soit pas bilingue. Elle était jusqu'à il y a peu essentiellement néerlandophone, je ne vois pas pourquoi cette langue devrait maintenant disparaître."

Il met l'accent sur la responsabilité historique que portent, à ses yeux, les socialistes. Ils n'ont pas compris l'importance de la frontière linguistique sociale. Pour l'ancien Parti Ouvrier Belge, "la langue opprimée de ces travailleurs opprimés ne faisait pas partie de l'émancipation si souhaitée." Il est vrai que les socialistes "voyaient aussi dans l'usage du français un moyen de soustraire l'ouvrier flamand à l'emprise du clergé et surtout à celle du curé de village."

Oui, la psychologie collective du peuple flamand garde les traces sensibles d'une humiliation.

Et, aujourd'hui, dit Van Istendael "le Blok (devenu le Vlaams Belang NDLR) exploite un vieux complexe d'infériorité flamand qui pousse à fermer les rangs contre une menace venant de l'extérieur, à défendre sa propre identité. Ce complexe est très compréhensible. Il y a eu, en effet, une série de graves injustices au niveau linguistique, et les classes dirigeantes francophones ont été trop obstinées dans la défense de leurs scandaleux privilèges culturels et trop lents à comprendre que la survie de ce pays dépendait de la réparation de cette injustice. Pour le Flamand moderne, il n'existe plus de raisons, depuis des années déjà, de se plaindre des préjudices subis par le passé. Mais c'est néanmoins de la mise en avant de ce complexe que le Vlaams Blok fait usage". "Le Vlaams Blok réussit merveilleusement bien à rattacher cette vieille rancune à des thèmes nouveaux, propres à l'extrême droite : xénophobie, racisme, insécurité."

Préparer demain

Hier n'est plus! Et aujourd'hui, il faut préparer demain. Le drame c'est que la mentalité collective est en retard sur l'évolution des faits.

Van Istendal en convient: "Le français a été et demeure une langue mondiale, et c'est un contrepoids bienvenu à l'impérialisme brutal de l'anglais (que nous connaissons aussi). En Flandre le français ne menace plus le néerlandais. Aujourd'hui, ce sont les Flamands qui sont un danger pour leur propre langue."

Par exemple en utilisant fréquemment des dialectes ou des patois que ne peuvent comprendre ceux qui ont appris l'Algemeen Nederlands (le néerlandais officiel)?

Comment faire comprendre rapidement aux Flamands que les francophones de 2005 ne sont plus ceux des classes possédantes de 1905, lesquelles d'ailleurs regardaient de tout aussi haut les petites gens de Wallonie?

Comment faire comprendre que les termes de "mépris", d'"arrogance", de "sentiment de supériorité" sont totalement injustifiés et que la réticence à apprendre le néerlandais, là où elle existe, ne provient pas d'un "dédain" pour cette langue ou la culture qu'elle véhicule, mais simplement de la constatation concrète, rationnelle, de sa dispersion géographique restreinte. Les Scandinaves, les Basques, les Luxem-bourgeois, les peuples de l'ex-Yougoslavie ne sont-ils pas confrontés au même problème que les Flamands ou les Hollandais?

Essayons donc de nous entendre sur des bases rationnelles et non en ruminant les éléments négatifs du passé.

Van Istendael observe en conclusion de son ouvrage que: "La Belgique a réussi à garantir pendant bientôt cent soixante-quinze ans une paix impossible. Pendant ces cent soixante-quinze ans, invariablement, la Belgique a opté pour la paix et la démocratie, et contre la guerre civile. Oh, les solutions trouvées - les fameux compromis des Belges - ne sont ni glorieuses, ni élégantes, ni même enthousiasmantes parfois. Mais elles sont vivables. La Belgique, c'est un modèle de l'Europe en miniature."

Nous n'avons retiré du livre de Van Istendael que la partie relative aux relations qui nous préoccupent directement. Mais l'ouvrage contient une analyse fouillée de l'évolution du nationalisme flamand, des considérations pertinentes sur l'aménagement du territoire, et plein de notes intéressantes sur l'histoire politique de notre pays. Un ouvrage éclairant que devraient lire tous les francophones soucieux de l'amélioration des rapports entre nos deux grandes communautés linguistiques.

 

Marcel BAUWENS

Geert Van Istendael - Le labyrinthe belge - Ed. "Escales du Nord" Le Castor Astral. Traduit du néerlandais par Monique Nagielkopf et Marnix Vincent. Préface de Jacques De Decker.


Copyright © 1998-2005 A.P.F.F.-V.B.F.V. asbl
Secrétariat: Spreeuwenlaan 12, B-8420 De Haan, Belgique
Téléphone: +32 (0)59/23.77.01, Télécopieur: +32 (0)59/23.77.02
Banque: 210-0433429-85, Courriel: apff@dmnet.be
Site: http://www.dmnet.be/ndf