Nouvelles de Flandre
Le rève de la Flandre ou les aléas de l'histoire

Le rêve d'autonomie de la Flandre ne correspond pas à la réalité historique. Et l'Histoire elle-même ne répond pas à un déterminisme, mais se construit à partir d'une succession de situations dues au hasard.

Ce constat, c'est Marc Reynebeau qui le fait. Historien et journaliste flamand, il rap-pelle, dans son livre "Le rêve de la Flandre"*, le passé des régions qui forment actuellement la Belgique. Son ouvrage, intelligemment construit, remarquablement documenté et agréablement et clairement écrit, se savoure au long de la lecture. Deux observations fondamentales traversent le livre : celle d'abord du caractère aléatoire de l'Histoire et celle aussi de la permanence des particularismes. Pas de visées à long terme qui expliqueraient l'évolution des événements, mais bien une succession d'accidents historiques qui imposent à chaque fois un choix.

Une fausse présentation de la fameuse bataille des Eperons d'or de 1302 a servi à nourrir un esprit nationaliste flamand. L'image idéalisée et mythique d'un peuple flamand uni, se soulevant tout entier, assoiffé de liberté, contre l'oppression du roi de France, ne correspond nullement à la réalité. Les alliances qui s'étaient nouées à ce moment étaient purement opportunistes. "… des groupes de Brabançons étaient venus renforcer l'armée française tandis que des hommes venus de Namur ou de Zélande s'étaient battus contre les Français aux côtés des Flamands". "Le comte (Guy de Dampierre) et les guildes se trouvaient d'un côté, le roi et les patriciens de l'autre, et… dans chaque camp on retrouvait ceux qui voulaient en découdre avec leur ennemi dans l'autre camp."

Les territoires se modifient au gré des mariages, des successions ou des guerres. Par les aléas de l'Histoire, il n'y eut plus "en quelque sorte que des 'occupants étrangers' à la tête des Pays Bas du sud : des Espagnols, des Autrichiens, des Français, des Hollandais."

A la suite de la révolte des provinces du sud des Pays Bas contre l'Autriche "naquirent en 1790 les Etats Belgique Unis, une république qui comprenait tous les Pays Bas du sud et dont la structure s'inspirait du modèle récent des Etats Unis d'Amérique. La République Belgique, comme son nom officiel l'indique n'était pas conçue comme un Etat unitaire mais comme une confédération de régions (…) Le particularisme des provinces était encore bien vivace."

Une parenthèse historique: l'occupation française qui se distingue par une "élimination radicale des anciennes structures du pouvoir". Suivent la débâcle napoléonienne et la période hollandaise. La révolution de 1830 impose une unité nationale belge. "L'Etat belge ne pouvait être faible car il avait encore à prouver sa viabilité sur la scène diplomatique. Les provinces ne se virent donc accorder qu'une liberté de mouvement limitée.(…) Mais le particularisme n'avait pas disparu. Les communes reçurent une très large autonomie."

A l'époque moderne, "la fédéralisation de la Belgique se présente sous la forme d'une succession de réformes qui s'opérèrent au gré des conjonctures, des circonstances liées à leur époque et parfois des rapports de force occasionnels. Un modèle théorique n'a jamais existé"."Dans la pratique belge, la fédéralisation n'est pas une transition entre un régime et un autre, mais un processus permanent dans lequel l'Etat central est continuellement vidé de ses pouvoirs."

Langue et religion

Les particularismes se nourrissent d'un état d'esprit contestataire à l'endroit du pouvoir central et d'un repli, notamment religieux et linguistique, sur soi.

Durant des siècles dans le comté de Flandre et le duché de Brabant, les parlers régionaux flamands et le français se sont côtoyés sans problèmes. Mais par la force des choses, le français est devenu très tôt la langue de l'aristocratie et des classes privilégiées, tandis que les gens du peuple parlaient leur patois. Et, à la fin du XVIII ème siècle, la période de l'occupation française, le français devint la langue officielle et il se répandit partout rapidement. Mais "dans les écoles primaires ou même dans les tribunaux, les dialectes locaux gardaient leur place. La plupart des gens se contentaient des dialectes pour l'usage courant…"

"Dans un sens politique, la langue n'était pas une question de territoire mais de position sociale. Les seules frontières linguistiques ne se trouvaient pas sur une carte géographique, mais se situaient entre l'élite et la grande masse des subordonnés".

Vint la période hollandaise où c'est le néerlandais qui devint langue officielle, cette fois. Mais ce néerlandais du nord était reçu dans nos provinces même flamandes comme une langue étrangère. Et, horresco referens, c'était la langue des protestants. Dès lors, l'Eglise catholique, dont la puissance est une constante dans les Pays Bas du sud, encouragea l'usage des dialectes car celui qui parlait un "flamand" particulier (un dialecte) s'éloignait d'autant du protestantisme et des idées des Lumières véhiculés respectivement par le néerlandais, dit "général" ou "universel": l'Algemeen Nederlands et le français.

Ce particularisme linguistique subsiste en Flandre jusqu'à nos jours. "En tous cas de plus en plus de gens semblent chercher leur authenticité, non plus dans la Flandre en général mais près de chez eux. L'usage de la langue est exemplaire à cet égard. L''Algemeen Nederlands', qui fut pourtant l'enjeu direct de deux siècles de mouvement flamand, cède de plus en plus souvent la place à de petits dialectes colorés, souvent peu adaptés à la pratique culturelle. A la télévision des sous-titres sont parfois nécessaires pour permettre aux Flamands de se comprendre."

N'empêche: la revendication linguistique de la Flandre trouve son origine dans l'action des "taalminaars" (amoureux de la langue) représentants des classes moyennes se haussant dans la sphère des pouvoirs et renforçant "leur action d'intermédiaire entre les gens du peuple qui ignoraient le français et l'élite qui ne connaissait pas le néerlandais".

Ces aléas dans l'usage des langues se mêlent intimement aux mouvements historiques des structures institutionnelles. Nous ne rappellerons pas, à ceux qui la vivent, l'évolution des problèmes linguistiques et institutionnels d'aujourd'hui. La Flandre a conquis son autonomie linguistique et culturelle. Et le principe de territorialité prévaut pour l'usage de la langue sur les choix individuels. Dans tout ce contexte apparaît aussi nettement le fait qu'en Flandre un flamingantisme de classes moyennes a mis l'accent sur un combat culturel, alors que, dans le sud du pays c'est la revendication sociale qui mobilisait les esprits.

Tuer son père

"La Flandre est un pays ordinaire. L'histoire des territoires appelés aujourd'hui "Flandre", le montre bien. Aucune forme de prédestination ne permet d'affirmer que la Flandre constitue un cas particulier. Rien dans son développement politique dans le passé ne devait « nécessairement », par déterminisme ou eschatologie, mener à la situation actuelle."

"L'histoire des nations et du nationalisme ne peut être expliquée à la lumière du présent, telle est aussi la leçon de l'histoire de Flandre. Ce serait faire appel à des critères douteux, controversés, comme la prédestination nationale, les gènes particuliers dans une population, des traditions historiques choisies ou ancrées dans les individus, ou simplement une volonté ou un sentiment. La formation de l'Etat et ses hasards historiques sont plus importants (…) Les nations et les nationalités sont créées ou consolidées à l'intérieur des frontières de l'Etat. Ainsi, finalement, un banal nationalisme, né des institutions flamandes, développe un sentiment national flamand qui semble de plus en plus évident. Ce sentiment apparaît plus particulièrement comme une variante de son prédécesseur, le sentiment national belge. On peut expliquer psychologiquement la curieuse tendance antibelge qui subsiste toujours dans les courants souterrains du mouvement flamand : il faut tuer son père pour devenir soi-même."

La Flandre a pu imposer une fédéralisation de l'Etat dont le processus se poursuit. Jusqu'où se développera-t-il? La réponse viendra peut-être de la confrontation politique qui va s'ouvrir bientôt…

 

Marcel BAUWENS

* "De droom van Vlaanderen" a connu un grand succès en Flandre. Le livre a été excellemment traduit par Monique Verboomen sous le titre: "Le Rêve de la Flandre" (Ed. La Renaissance du Livre)


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