L'année 2003 marque le dixième anniversaire de l'entrée de la Bulgarie dans la Francophonie: un bilan s'impose.
Dans un paysage linguistique où la langue française perd du terrain au profit de l'anglais de l'allemand et de l'espagnol la francophonie bulgare a réalisé des progrès notables. La grande réussite due à une particularité du réseau scolaire en Bulgarie reste les lycées bilingues. Quelque 11 000 lycéens étudient dans 59 lycées bilingues (23 délivrent des diplômes dispensant du test linguistique exigé par les universités françaises des étudiants venant des pays en dehors de l'UE). Presque 2 500 Bulgares font actuellement leurs études universitaires en France. On compte huit filières francophones, dont certaines deviennent de véritables pôles d'excellence pour l'Europe du Sud-Est. Le nombre d'étudiants bulgares dans les départements universitaires de français (Sofia Veliko Tarnovo Plovdiv et Blagoevgrad) s'élève à 1 000 chiffre constant malgré la forte baisse démographique actuelle. L'Université de Sofia assure depuis deux ans un Programme master d'études francophones (une quinzaine d'étudiants). Aussi la francophonie bulgare se maintient-elle à un bon niveau qualitatif malgré la crise générale du système éducatif et la perte des positions géo-stratégiques du français.
Politique et économie
Plusieurs observateurs de la société bulgare estiment que celle-ci est entrée dans une phase ultime de la transition c'est-à-dire de sa transformation en un système démocratique et en une économie de marché. En effet la Commission européenne dans son rapport sur la Bulgarie (octobre 2002) reconnaît qu'il existe déjà en Bulgarie une économie de marché capable de résister aux pressions de la concurrence. On peut mentionner à l'appui de cette constatation quelques indices économi-ques: 727% de l'économie nationale appartient au secteur privé et le rôle de l'État dans la gestion des processus économiques diminue progres-sivement; un taux de croissance économique de 43%; une inflation annuelle de 35 à 4%; une tendance à la baisse du chômage (moins de 14% en juin dernier). La place des 15 pays de l'UE dans les échanges dépasse 50% les importations étant cependant nettement supérieures (de 8572 millions $) aux exportations. Les revenus marquent du moins au plan nominal une croissance: le salaire mensuel moyen est de 135 euros.
UE et OTAN
D'une manière générale les institutions fonctionnent selon les normes européennes. L'intégration européenne qui définit la principale orientation de la politique extérieure du pays s'inscrit déjà dans un calendrier: en 2004 la Bulgarie fera partie de l'OTAN en 2007 elle sera très probablement membre de l'Union européenne. À la recherche d'un équilibre entre ces engagements envers l'Union européenne et envers les États-Unis la diplomatie bulgare fait preuve de souplesse. Le gouvernement a soutenu la guerre américaine en Irak; il s'est en revanche rangé sur la position européenne à propos du Tribunal pénal international de La Haye.
L'habileté diplomatique cache mal l'absence de vision nationale sur la politique extérieure du pays. On pourrait justifier cette absence par l'idée d'une Europe unie qui passe nécessairement par le sacrifice d'une partie de la souveraineté nationale. Or le manque d'un projet social à l'échelle du pays est bien plus grave. Le constat valable pour tous les gouvernements qui se sont succédé au cours des 13 dernières années prend cependant des proportions inquiétantes dans le cas du gouvernement actuel en place depuis deux ans.
Siméon II
Le premier ministre Siméon de Saxe Cobourg-Gotha avait gagné les élections législatives de 2001 grâce à un charisme dû à son statut d'ex-roi et à son exil forcé. Le silence de Siméon semblait aussi contribuer à ce charisme mystérieux. À l'époque plusieurs personnes prenaient ce silence pour le signe d'une discrétion pour la promesse d'une action à venir dont l'efficacité semblait d'autant plus imminente qu'elle était délestée de toute gangue verbale. Devant les sommations des journalistes et de l'opinion publique le candidat Siméon II s'était contenté de deux promesses sibyllines: celle d'une nouvelle morale en politique et d'une nouvelle approche économique. On a pu déchiffrer ces formules comme l'annonce d'une lutte contre la corruption et d'une volonté de donner une impulsion à l'économie. Aucune de ces promesses n'a été tenue. Les indices économiques ci-dessus plutôt encourageants sont l'effet de la politique du gouvernement précédent.
Siméon II a nommé personnellement ou sur les conseils de son entourage tous les députés au Parlement (perversité du scrutin proportionnel) et les membres de son gouvernement. Ce sont à quelques exceptions près des gens qui n'ont aucune expérience de la haute gestion; par ailleurs aucune conviction idéologique ou politique ne les unit. Pour remédier à cela Siméon II a fondé son parti politique - le Mouvement national Siméon II. Les statuts du parti accordent à son leader le rôle d'un décideur absolu bafouant ainsi l'esprit démocratique que s'attachent à observer les autres partis politiques en Bulgarie. Et il n'est pas étonnant que le style monarchique de ce chef de parti en réduise les membres à une masse de courtisans. Pourtant derrière l'inconditionnelle obédience au leader les ministres et les parlementaires de la majorité ne fonctionnent que par groupes d'intérêts et de lobbies se déchirant entre eux rendant impuissant le pouvoir exécutif à résoudre les problèmes urgents: corruption généralisée (système judiciaire douanes administration publique police) criminalité liens entre gouvernants et hommes d'affaires louches absence de coordination entre le parquet l'instruction et la police; insignifiance des investissements étrangers; blocage de la privatisation (aucune privatisation de taille au cours des deux dernières années); absence de compensation salariale des augmentations brutales des prix de l'électricité du chauffage des télécommunications.
Les sondages montrent que la politique de l'actuel gouvernement n'est soutenue que par 13% des électeurs. Les partis d'opposition et les syndicats parlent d'élections anticipées mais ils n'ont ni la volonté réelle ni la cote de confiance auprès de l'opinion pour organiser un mécontentement général capable de renverser le gouvernement. En l'absence d'une véritable alternative à l'actuelle majorité la société bulgare attendra deux ans avant d'élire ses nouveaux dirigeants.
Démographie
Exsangue la société bulgare l'est aussi à cause d'une démographie catastrophique. Pendant les dix dernières années la population bulgare a diminué de presque un million d'habitants. Outre un taux de natalité négatif (-58 sur mille) et une mortalité infantile croissante les Bulgares de la tranche d'âge 20-30 ans quittent massivement le pays pour chercher du travail ou pour faire des études à l'étranger (souvent les deux à la fois). L'expression annuelle de cette hémorragie démographique est de 50 000 (morts et départs confondus). Dans l'autre sens pendant les dix dernières années 70 000 immigrés seulement sont venus s'établir dans le pays.
Stoyan ATANASSOV
Maître de conférences de littérature française à l'Université de Sofia
Article publié dans L'Année francophone internationale 2004