Nouvelles de Flandre
Les atouts de la langue française et de la Francophonie

Beaucoup se posent la question: le français est-il en crise? L'examen des données chiffrées relatives à sa diffusion ne le montre pas. En nombre de locuteurs réels le français progresse. C'est plutôt du côté de son influence internationale qu'il recule. Ce recul institutionnel, entamé avec le Traité de Versailles, n'empêche pas le français d'être, avec l'anglais et l'espagnol, une langue au statut mondial, d'être, après l'anglais, la deuxième langue étrangère la plus choisie dans le monde.

En réalité, le français dispose d'atouts non négligeables. C'est d'abord une langue en état. Sa réputation méritée de clarté est certes liée à une longue tradition de précision textuelle; mais au-delà de la volonté cultivée de clarifier le sens des mots, cette renommée tient davantage à la qualité et l'influence des messages qu'elle a portés. Car il ne faut pas confondre langue et message. Simplement, le français peut aujourd'hui, - comme beaucoup d'autres langues,- grâce au niveau de normalisation auquel il est parvenu, permettre à des esprits clairs de produire des messages clairs. Soutenu par des efforts appréciables d'instrumentalisation, notamment dans le domaine technologique, il est tout à fait apte à contribuer au développement de l'esprit scientifique et critique. Les produits de l'ingénierie linguistique se multiplient, parallèlement au nombre des internautes qui consultent en français. Le rééquilibrage des contenus sur la toile est déjà notable.

En outre, la langue française bénéficie d'un imaginaire positif. On sait bien que les valeurs portées par une langue ne sont pas inscrites dans cette langue. Il n'empêche: dans l'imaginaire collectif de nombreux peuples, le français est porteur de valeurs de liberté, d'ouverture, de tolérance, de justice, de solidarité et de démocratie, et aussi de culture des cultures. Ceci est certainement un deuxième atout, car les représentations déterminent les pratiques.

Mais c'est sans doute au niveau géopolitique que se trouve le maître atout. Pour le comprendre, il faut considérer la conjoncture née du déroulement, pendant les deux dernières décennies, de deux événements majeurs: (a) la mondialisation et (b) la Francophonie institutionnelle.

La mondialisation peut être assimilée à un extraordinaire bouleversement planétaire. De ce phénomène - en soi très ordinaire - on aurait pu attendre des transferts industriels et technologiques porteurs d'espoir pour le Sud. On aurait pu espérer qu'une instance internationale de régulation inclue tous les pays dans le marché global pour les faire participer équitablement au développement que devraient permettre les échanges et surtout qu'elle institue un réseau international de solidarité et qu'elle intègre la notion de patrimonialité universelle.

Le mouvement s'est malheureusement perverti en une stratégie d'hégémonie géopolitique, économique et financière et d'acculturation conduite par l'Administration américaine, stratégie d'ailleurs mieux rendue par l'américanisme globalisation, revendiqué avec arrogance par Madeleine Allbright: "Globalization is us"!

Par son caractère fondamentalement structurant dans tous les domaines d'activités, la globalisation apparaît plutôt comme une mondialisation du marché par le marché, particulièrement inquiétante, sur les plans du développement équilibré, de l'environnement, de la "bonne gouvernance", de la morale et de la culture en général.

L'uniformisation linguistique et culturelle à laquelle nous assistons menace gravement le patrimoine culturel de l'humanité. La perte de la richesse constituée par la diversité mène inéluctablement à l'asservissement des êtres à la langue dominante et aux formes les moins nobles de sa culture. Ce totalitarisme débouche sur la pensée unique, - en réalité une non-pensée totalement dépourvue d'esprit critique.

Mais le mouvement d'uniformisation linguistique est devenu tout aussi dommageable à un niveau plus élevé, celui de la politique internationale. Le plurilinguisme est, on le sait, de règle au sein des organismes chargés de réguler cette politique; il est le fondement même de la vie internationale, car il garantit un multilatéralisme qui respecte l'identité des Etats et leur égalité des chances en matière de participation aux grands débats d'idées, et la dynamique d'un développement international solidaire, à l'époque de la globalisation cybernétique de l'information. La logique multilatérale implique, en effet, la coresponsabilité et la participation aux prises de décision. Or, les règles plurilingues sont de moins en moins respectées, non seulement à l'ONU, mais même à l'Union européenne… Un symposium consacré à cette question à Genève en 1998 n'hésitait pas à considérer que le plurilinguisme est "en soi une cause internationale, comme le sont, à des niveaux différents, la Paix, le Développement, l'Environnement ou les Droits de l'homme… Le plurilinguisme contribue d'ailleurs lui-même directement au progrès de ces autres grandes causes et chacune d'elle a besoin, pour être partagée à l'échelle mondiale, de recourir à plusieurs langues de communication".

Face à cette dérive, des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent, partout dans le monde, pour humaniser la mondialisation, en préservant la diversité linguistique et culturelle.

La politique culturelle est de plus en plus reconnue comme un élément-clé de la stratégie de développement des pays pauvres, grâce à un aménagement plurilingue respectueux des langues nationales. Dans les pays riches aussi, la mise en œuvre d'un plurilinguisme fonctionnel génère du profit. Si l'on pose sur le secteur non marchand un regard marchand, on doit bien convenir que le culturel n'a pas de prix.

En tout état de cause, nul ne peut contester, depuis Seattle (1999), que l'évolution du monde suscite l'émergence d'un refus populaire et citoyen de mieux en mieux organisé, qui se traduit par la naissance d'une opinion publique universelle animée d'une extraordinaire demande éthique en faveur d'une autre mondialisation, d'un autre développement planétaire.

Parallèlement au bouleversement né de la mondialisation, se mettait en place l'institutionnalisation de l'espace francophone. Ce mouvement de regroupement d'Etats qui ont choisi le français comme instrument d'accès à la modernité ne s'est pas fait sans peine. Des conflits d'intérêts, des luttes d'influence sont apparus qu'il a fallu aplanir. On les a vus s'estomper, à l'occasion de chaque Sommet, par touches successives, politiques, sociales, économiques, sur un fond de pluralisme culturel. Incontestablement, l'union autour d'une langue fédératrice dans un espace ouvert d'échanges culturels et de solidarité entre des peuples différents devait se révéler féconde. Et c'est précisément cette conjoncture géopolitique particulière qui constitue l'atout majeur du français.

Face au péril grandissant de la globalisation, la Francophonie, de par sa composition et ses valeurs, de par son expérience d'une recherche commune des solutions aux problèmes inhérents à un ensemble de pays inégalement développés mais unis, est tout indiquée pour servir de relais auprès des grandes organisations internationales censées être des instances de régulation. Culturellement, la Francophonie est déjà une forme de mondialisation positive, un laboratoire de dialogue et de solidarité axé, non sur le profit et l'exploitation, mais sur l'humain, sur le partage, sur le retour aux valeurs authentiques.

Comparée à d'autres espaces linguistiquement homogénéisés (hispanophonie, lusophonie, arabophonie, anglophonie…), la Francophonie est le premier ensemble organisé sur la base d'une langue en partage, dans un quart des États, - sorte de micromonde rassemblant, autour de quelques pays riches, une majorité de pays pauvres, - et répartis sur cinq continents. Elle est ainsi devenue un laboratoire, une forme de mondialisation positive, qui s'est concrétisée par la mise en œuvre d'une stratégie de respect et de promotion de la diversité culturelle et linguistique, notamment en servant de fer de lance du mouvement qui a conduit l'Unesco à élaborer la Convention internationale sur la diversité culturelle.

Grâce à son crédit éthique, la Francophonie peut donc promouvoir un projet culturel fondé sur ces valeurs devenues plurielles d'un humanisme universel, respectueux des différentes cultures.

Ce pluralisme de la pensée critique face à la menace de pensée unique, ce sens de la solidarité interculturelle face à la menace d'uniformisation, est de nature à rallier tous ceux qui, de plus en plus nombreux, en ont pris conscience.

Paradoxalement, en défendant comme elle le fait son modèle de diversité culturelle, la Francophonie est train de rendre au français l'attrait et le prestige qui furent siens au temps où la France était une grande puissance…

 

Raymond RENARD

Coordinateur de la Chaire Unesco en aménagement linguistique et didactique des langues dans les systèmes éducatifs Université de Mons-Hainaut


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