Nouvelles de Flandre
Langue française : Quelques spécialités belges

La recette du français de Belgique parait assez simple, du moins pour un amuseur: il suffit d'une bonne ration de "une fois", relevée de quelques "sais-tu" et pimentée de l'un ou l'autre "alleïe". Simplification outrancière d'une situation complexe, toute en nuances.

Le français des Belges joue en effet sur un clavier étendu, qui va d'un langage se conformant rigoureusement aux normes en usage dans le Centre dominant à un parler fortement teinté de traits régionaux. Les membres de la collectivité doivent tôt apprendre à naviguer entre ces extrêmes! Si les marques très régionales sont fortement stigmatisées, une personne se conformant pleinement à un usage parisien sera volontiers taxée de prétention. La plupart des usagers tentent de se conformer à une norme intermédiaire, qui ne leur a jamais été explicitement enseignée : car il existe un bon usage des francophones de Belgique, qui n'est pas exactement celui du 16e arrondissement.

Pour décrire l'éventail des variétés qui se répartissent de part et d'autre de cet usage moyen, il faut tenir compte de trois facteurs. Le facteur social tout d'abord: plus l'usager se situe vers le haut de la pyramide sociale, plus il maitrise les variétés linguistiques prestigieuses et évite les marques régionales... à l'exception de celles qui sont inévitables. Le facteur géographique ensuite: c'est l'influence du wallon qui est à l'origine des principales particularités du français oral de Wallonie; tandis que pour le français de Bruxelles, qu'on présente abusivement à l'étranger comme "le français de Belgique", le responsable est un dialecte flamand. Le facteur chronologique enfin: l'intensité des communications a sur les langues un effet nivelant, et les accents ou particularités régionales tendent à s'estomper. Celui qui, il y a trente ans, disait "friterie" pour désigner certain établissement faisait figure de snob: aujourd'hui, c'est l'usager de "friture" qui retarde. Contrairement à ce que prétendent certains, les variétés belges du français ne tendent donc pas à s'écarter de celles de l'Hexagone.

On peut néanmoins tenter de peindre la physionomie de ce français multiforme.

Ce qui donne sa coloration particulière à une langue, c'est sa phonétique. Un séjour en Wallonie ou à Bruxelles permet de repérer facilement les traits suivants: un allongement assez général des voyelles, le maintien du "un" (fréquemment assimilé à "in" en France), une marque du féminin nettement audible dans les mots se terminant par une voyelle (par rapport à "joli", "jolie" se caractérise par un allongement et par ce léger appendice mouillé que les spécialistes nomment un "yod"), la tendance à rapprocher le son de "lui" de celui de "Louis", la réduction du groupe "ly" ("souliers" se rapprochant de "souiller") ou encore l'assourdissement des consonnes sonores placées en finale ("soude" se rapprochant de "soute", tout en conservant la longueur de sa syllabe).

Du coté de la syntaxe, le portrait est plus difficile à brosser : en dehors d'une série de locutions faisant un usage particulier des prépositions à, après, sur, pour, ou reposant sur le tour avoir + qualificatif ("avoir bon", "avoir facile"), les caractéristiques du français de Belgique se laissent malaisément ordonner en un ensemble cohérent.

C'est donc sans doute du côté du lexique qu'on verra le mieux ressortir les particularités langagières belges. Celles-ci sont parfois liées à des spécificités culturelles ou administratives: nombre de termes sont le reflet d'institutions politiques ou sociales particulières, soit qu'il s'agisse d'une terminologie officielle ("bourgmestre", équivalent du maire, ou "athénée", lycée), soit que le langage commun ait dû inventer des mots nouveaux pour des pratiques sociales typiques (ainsi, on a "communautarisé" l'enseignement, en en confiant la gestion aux "communautés", et les principaux ministres du gouvernement fédéral constituent le "kern" ou noyau dur).

Autres vocabulaires liés à des spécificités culturelles: celui des activités domestiques et celui des spécialités alimentaires. Escavêche, pistolet, chique sont des spécialités peut-être moins connues que la gueuze et la praline. Comme le montrent les deux derniers exemples, nombre de belgicismes sont des termes dont la forme est connue ailleurs, mais qui ont ici un sens différent: cour ("toilettes"), gouter ("avoir le gout de"). Cela amène à dire que ce qui caractérise le plus le lexique du Wallon et du Bruxellois est peut-être moins l'usage régulier de formes frappantes que celui d'expressions qui ne sont particulières que par leur fréquence. Comme l'écrivait un fin observateur du français contemporain: "Le Belge transpire, épluche son fruit, verse un acompte, regarde la tévé et attend le paiement de sa pension, tandis que le Français sue, pèle son fruit, verse des arrhes, regarde la télé et attend le paiement de sa retraite."

 

Jean-Marie KLINKENBERG

professeur de Réthorique et de Sémiologie à l'Université de Liège

 

Extrait de « W comme Wallonie, Bruxelles, Flandre » paru dans l'abécédaire « Tu parles!? Le français dans tous ses états », Paris, Flammarion, 2000.

Ce texte est écrit en orthographe nouvelle.


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