Nouvelles de Flandre
A qui appartient la langue française?

À cette question, bon nombre d'entre vous auront tendance à répondre dans un bel élan lyrique et… démocratique: "La langue française? Elle appartient à tous ses utilisateurs, voyons!". Et vous aurez raison, bien sûr. Quoique.

Si nous savons tous (parce de grandes marques automobiles nous l'ont seriné à coups de publicités) que "la route nous appartient", il n'en reste pas moins vrai qu'il y a des limites et qu'un code de la route relativement drastique sanctionne les fantaisistes ou les fous du volant.

Loin de moi l'idée par cette comparaison de tenter de vous persuader que la langue, c'est comme la route. Certes, elles ont en commun toutes deux d'être semées d'embuches et d'obéir à des règles mais, jusqu'à présent, aucun gendarme de la langue ne vous a réclamé une amende pour avoir mal orthographié ornithorynque, avoir fait vingt fautes à une dictée de Pivot, farci votre conversation de cacaille, zwanzeur, filet américain répertoriés comme belgicismes ou encore vous être laissé aller à parler de votre bizness à votre voisin. En 2001, lors de la Semaine de la langue française, à Tournai, de faux policiers dressaient procès-verbal sur la place publique aux personnes qui répondaient de travers à des questions de conjugaison posées avec malice. On n'en est heureusement pas là même si ceux et celles qui réfléchissent au fonctionnement de la langue, à ses arcanes et à ses pièges, se font parfois traiter de "flics de la langue".

Car le domaine est sensible. "Touche pas à ma langue", "J'ai le droit de m'exprimer comme je veux", "Qui vous a donné le droit de me corriger?" sont quelques-unes des réactions que l'on entend souvent. Chacun est souvent persuadé de bien parler sa langue, de l'écrire sans trop d'erreurs. Elle appartient donc à tous, mais en même temps, elle ouvre en permanence des chaussetrappes sous nos pieds qui nous obligent à recourir à des ouvrages de référence, à des dictionnaires, à des correcteurs orthographiques et grammaticaux, à des amis plus compétents ou à des "autorités" incontestables…

Les dictionnaires

Une foule de dictionnaires existe (ou existent!) sur le marché. Certains (comme le Dictionnaire de l'Académie, le Larousse, le Robert, le Hachette, etc.) sont le fruit d'un travail incessant d'un groupe de "spécialistes" (lexicologues, terminologues) traquant inlassablement dans la production écrite dont notre époque est friande, les néologismes, les emplois nouveaux, les mots qui disparaissent, etc. Ils sont devenus des espèces de "bibles" du vocabulaire même s'ils s'en défendent. "C'est dans le dictionnaire!", entend-on souvent, comme justification. Mais il y a des problèmes.

D'abord, les dictionnaires ne comportent pas tous les mêmes mots. Certes un Hachette de 50.000 mots va en comporter moins qu'un Lexis de 70.000, mais même deux dictionnaires d'égale importance ne proposeront pas les mêmes mots aux utilisateurs. Cela est dû d'une part aux critères que chacun d'entre eux s'est fixés pour retenir un mot entre ses pages (un polysaccaride mérite-t-il de figurer dans un dictionnaire familial?) et d'autre part à l'ouverture du dictionnaire aux réalités étrangères ou régionales (si la pizza est entrée facilement dans les dictionnaires, des belgicismes comme drève, pourtant d'apparence bien française, ont fait anti-chambre longtemps). Il faut ajouter à cela que les dictionnaires sont aussi des objets à vendre et que la question commerciale oblige inévitablement à jouer sur les différences, même quand celles-ci ne sont pas significatives. Ainsi tel dictionnaire fera sa publicité en Belgique en annonçant la présence du mot kot comme une nouveauté, ce que n'ont pas osé ses concurrents…

Ensuite, un mot peut très bien vivre en dehors de ces gros volumes remplis de caractères. Tout nouveau mot fait d'ailleurs son purgatoire avant d'entrer dans le saint des saints. Une période "probatoire" est souvent exigée. On ne sait jamais, un mot peut disparaitre! Tous les mots se trouvent-ils dans le dictionnaire? Non! Beaucoup de mots en -able par exemple (appelable) et des mots commençant par in- ou ré- (réorganiser) nous viennent facilement sous la plume ou la touche et sont introuvables.

Que faire avec de tels mots qui ne figurent pas dans les dictionnaires, mais qui sont « corrects », c'est-à-dire respectant les règles de formation des mots de notre langue?

Je plaiderais résolument pour leur emploi.

Pourquoi s'en priver?

Alors, croire ou ne pas croire aux dictionnaires? Je pense que ce sont des outils de référence, comme d'autres, qu'il est judicieux d'en consulter deux, au moins, avant de se faire une opinion mais qu'ils ne sont que des "chambres d'entérinement" de la langue et non sa Bible. Le "dernier mot" (si j'ose dire!) est à l'utilisateur.

L'Académie

S'il est une "autorité" de la langue qui a du poids dans l'esprit du citoyen, c'est bien l'Académie française. Pourtant, au départ, quand le Cardinal Richelieu officialise l'Académie en 1635, il le fait surtout par souci d'unifier la langue française et l'illustre compagnie met près de soixante ans à produire son Dictionnaire. Ce n'est ni le premier dictionnaire ni le meilleur, mais c'est le seul qui aura le droit de porter la majuscule. Il a surtout l'aval du roi. Depuis sa création, l'Académie a édité neuf éditions de son dictionnaire, toujours très lentement. Elle se défend d'être la "gardienne" de la langue mais est souvent considérée comme telle par le grand public. Des débats l'opposent parfois à l'usage, ainsi la féminisation des noms de métiers et de fonction a été fortement critiquée par les deux derniers secrétaires perpétuels, l'un masculin (Maurice Druon) et l'autre féminin (Hélène Carrière d'Encausse). Cela n'a pas empêché les gouvernements belge et français de proposer un guide de féminisation qui sert aujourd'hui de référence.

Les commissions de terminologie et les Conseils supérieurs

La Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) est un organisme administratif interministériel français qui depuis 1989, réfléchit, veille, incite, coordonne des actions en faveur de la langue française. Elle assure le secrétariat de deux organismes: le Conseil supérieur de la langue française qui fait des propositions, recommande des formes d'action et donne son avis sur les questions dont il est saisi par les ministres ainsi que la Commission de terminologie et de néologie qui regroupe dix-neuf groupes de travail couvrant tous les secteurs. Si l'on dit de plus en plus stimulateur plutôt que pacemaker, si le terme ordinateur a remplacé computer, nous le devons entre autres à la Commission de terminologie.

En Belgique aussi, nous avons un Conseil supérieur de la langue française. Les décisions prises par la Commission de terminologie sont en général très bien accueillies en Communauté française (des Belges en sont membres d'ailleurs). Les propositions de la Commission française sont parfois légèrement adaptées à la réalité linguistique belge par un groupe de travail

Ainsi peut-on conclure que l'autorité sur la langue est relative. Elle est de moins en moins détenue par des gourous isolés mais plutôt par des institutions qui ont bien du mal parfois à suivre son évolution qui fait à la fois sa force et sa faiblesse.

 

Henry LANDROIT

Article paru dans Le Ligueur le 12 mars 2003.
Ce texte est écrit en orthographe nouvelle.


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