Nouvelles de Flandre
Petite chronique langagière: Savoir où gît le lièvre

Le roi du gibier belge? Le lièvre. Pour préciser le sexe, l'âge ou la grosseur du lièvre, nous usons des termes propres, hase, levraut, bouquin.

Chasseurs et écrivains, Adrien de Prémorel notamment, emploient des termes imagés, comme oreillard et capucin. Lorsque le lièvre tient ses longues oreilles - d'où oreillard - couchées en arrière de la tête, elles forment une espèce de capuchon, comme en portent les religieux capucins. Et la couleur du lièvre rappelle celle de la robe des capucins. En outre, termes et expressions propres au lièvre posent des questions d'orthographe et de grammaire.

Hase, levraut ou levreau

La femelle du lièvre s'appelle hase, à partir d'un an révolu. Vieille hase se dit de la femelle âgée. Le petit lièvre porte le nom de levraut à la naissance et pendant son premier semestre, qu'il soit mâle ou femelle. La graphie levraut dérange dans la famille lexicale des diminutifs de noms d'animaux: lapereau, lionceau, louveteau, renardeau... Le suffixe -eau signifie "petit". C'est pourquoi le comité d'experts - dont faisait partie un Belge, André Goosse -, qui établit la liste des rectifications orthographiques en les fondant sur des séries homogènes, proposa la variante levreau.

Acceptée et recommandée par l'Académie française en 1990, elle trouve sa place parmi les diminutifs en -eau. La forme ancienne restera valable jusqu'à ce que la nouvelle l'ait remplacée dans l'usage.

Bouquin et bouquiner. Qui bouquine?

Vers un an, le lièvre mâle devenu adulte prend le nom de bouquin. Lorsqu'il atteint un développement complet, il pèse environ quatre kilos et est appelé grand bouquin, grand lièvre ou vieux lièvre. À l'époque des amours ou bouquinage, les bouquins se livrent entre eux à de sérieux combats pour obtenir les faveurs d'une hase. Ils bouquinent lorsqu'ils poursuivent une hase en chaleur. Lecteurs, professeurs et étudiants bouquinent eux aussi! Ils achètent des livres d'occasion dans une bouquinerie ou chez un bouquiniste. Bouquin, lièvre mâle et adulte, et bouquin, livre, sont à la fois homophones (prononciation identique) et homographes (même orthographe). Sur quoi se fonde leur différence sémantique? Sur leur étymon ou racine. Le terme bouquin, lièvre, semble issu du gaulois bucco, "bouc, animal mâle". Bouquin, livre, est emprunté au moyen néerlandais boeckijn, "vieux petit livre, dont on fait peu de cas". Par extension, le mot désigne familièrement tout livre. La distinction vaut pour les verbes homonymes bouquiner.

C'est là où ou là que gît le lièvre?

Le verbe gésir vient du latin jacëre, être étendu, être couché. Le lièvre reste étendu dans son gîte toute la journée. L'accent circonflexe ne se met plus sur le i depuis 1990, mais reste correct. On écrit il git, ci-git, gite, giter. Afin d'éviter le pléonasme là où, considéré comme une faute aujourd'hui, on ne dit pas "c'est là où je demeure", mais "c'est là que je demeure". C'est là que git le lièvre. Au sens figuré, "c'est là que se trouve la difficulté". D'où, l'expression savoir où git le lièvre, qui signifie "connaitre (ou connaître) le nœud du problème".

Lever ou soulever un lièvre?

À la chasse, l'expression lever un lièvre veut dire le faire sortir de son gite. En dehors de la chasse, on peut vous demander: "Pourquoi avez-vous levé ce lièvre?" Au figuré, lever un lièvre, c'est "être le premier à émettre une idée délicate, généralement compromettante pour autrui". À la suite d'une confusion avec soulever une question, soulever une difficulté, s'entend fréquemment la malencontreuse expression, soulever un lièvre, qu'il convient d'éviter.

Courir deux lièvres à la fois

Courir le lièvre: l'emploi transitif du verbe courir (anciennement courre) peut surprendre. Dans le vocabulaire de la vènerie, il signifie poursuivre. Courre subsiste dans chasse et chasser à courre, le laisser-courre. Les chiens de meute ne courent qu'un animal à la fois. Au figuré, courir deux lièvres à la fois signifie entreprendre deux affaires en même temps, poursuivre deux buts simultanément. L'expression est devenue proverbe: il ne faut pas courir deux lièvres à la fois. On a assez de mal avec un seul. "Qui chasse deux lièvres n'en prend pas un", dit un proverbe disparu. Il convient de ne s'occuper que d'une chose à la fois.

Le lièvre revient toujours à son gite
Un lièvre va toujours mourir au gite

Le lièvre ne creuse pas un terrier comme le lapin, il occupe un gite superficiel. S'il est lancé par un chien, il fuit à toute allure, distance le chien, cherche à le mettre en défaut, puis revient aux environs de son gite, dans les champs et les lieux connus pour y avoir maintes fois rusé. Le lièvre revient toujours à son gite ou va toujours mourir au gite, devenus proverbes, signifient que, tôt ou tard, après avoir beaucoup circulé, l'homme finit par revenir dans son pays pour y terminer sa vie.

Il faut attendre le lièvre au gite
Trouver le lièvre au gite

Étant donné que le lièvre revient toujours au gite, il résulte, au sens figuré, que, pour être sûr de trouver la personne que l'on cherche, il faut l'attendre chez elle. Il faut attendre le lièvre au gite. On peut préférer trouver le lièvre au gite, c'est-à-dire surprendre celui que l'on cherche à l'improviste, le prendre au dépourvu. Ces expressions restent vivantes dans l'usage courant.


Michèle LENOBLE


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