Nouvelles de Flandre
Langue d'oïl et langue d'oc
Pèr acaba, qu'es aquò? C'est quoi, au juste?

En Gaule, pendant les cinq premiers siècles de notre ère, la langue celtique est progressivement remplacée par le gallo-roman: un latin populaire teinté de nombreuses traces de l'ancienne langue locale (prononciation, syntaxe, vocabulaire).

Toutefois, ce gallo-roman est loin d'être une langue uniforme, en effet, du nord au sud de la Gaule, il est nuancé par les habitudes langagières des différentes populations locales_: les Celtes, qui comptent de nombreuses tribus, mais aussi les Basques, dans le Sud-Ouest, les Ligures, dans le Sud-est.

Deux langues françaises?

Après l'installation des Francs (5e siècle), au nord, celle des Alamans et des Burgondes, à l'est, beaucoup de traits germaniques viennent s'ajouter à la langue des Gallo-Romains. L'influence germanique sera nettement moins marquée dans le sud, l'ancienne Gaule dite "Narbonnaise" dont la romanisation avait commencé un siècle plus tôt. Il s'agit de la Provincia, nom qui deviendra "la Provence". De sorte que se mettent en place très rapidement deux grands ensembles linguistiques d'un bout à l'autre du sol de la France, dont les couleurs variées se fondent sur tous les points en nuances insensiblement dégradées, pour reprendre la métaphore du linguiste Gaston Paris.

Plus on va vers le nord, moins les parlers sonnent "latin ", c'est la langue d'oïl avec ses variétés - picard, normand, wallon, bourguignon, lorrain, etc. - dont une sorte de mélange, revu et corrigé à Paris, aboutira au français. Plus on descend vers le sud, plus ils se teintent d'accent méditerranéen, c'est la langue d'oc (du démonstratif latin hoc "c'est ça").

Dante, le grand poète florentin, l'a bien vu quand il a classé les trois principales langues d'origine latine (de son époque) selon leur manière de dire "oui": la lingua del si (l'italien), la langue d'oïl (le français) et la langue d'oc (le provençal ou occitan).

Deux langues en concurrence

Pendant que les pays de langue d'oïl se structuraient autour du Royaume de France et que la culture rayonnait de Paris, ceux de langue d'oc, tournés vers la mer, l'Italie et l'Espagne, développaient une civilisation raffinée. Elle s'est exprimée à travers la poésie des troubadours (du verbe troubar: inventer, trouver), comme le duc d'Aquitaine, Guillaume de Poitiers, ou Bernard de Ventadour, Raimbaut de Vaqueyras, la comtesse de Die... La fin' amor glorifie la Dame dans un féminisme d'avant-garde, et l'amour comme moyen d'atteindre une haute spiritualité, quasi mystique, avec ce sentiment de joï difficile à définir. Jaufré Rudel illustrera ces thèmes dans son poème de l'"amour de loin" - l'amor de lonh - un amour inaccessible pour une femme inconnue. Edmond Rostand en tirera sa pièce La Princesse lointaine, à la fin du 19e siècle.

Cette brillante civilisation, dont la ville-phare était Toulouse, va subir un grave coup d'arrêt au 13e siècle à la suite de la croisade contre l'hérésie cathare (dite Croisade des Albigeois) et la victoire du roi de France. La langue d'oc déserte alors les villes et, n'étant plus parlée que dans les campagnes, elle s'appauvrit.

Le renouveau du Félibrige

Au milieu du 19e siècle, Frédéric Mistral, né en Provence, à Maillane, fonde un cercle de lettrés, le Félibrige, dont l'objectif est de restaurer et d'illustrer la langue provençale par des activités littéraires et philologiques. Mistral recevra le Prix Nobel pour son poème épique Mirèio (Mireille). Aujourd'hui les félibres (membres du Félibrige) restent actifs, leurs sièges sont à Arles et Aix-en-Provence. Ils s'intéressent à toutes les variantes de la langue d'oc ou occitane: le gascon, le béarnais, le languedocien, le limousin, l'auvergnat, le provençal rhodanien, le nissart (Nice)...

Qu'en est-il de nos jours?

Le territoire historiquement de langue occitane s'étend sur plus de trente départements français, dans les régions appelées_: Occitanie, Nouvelle Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Auvergne-Rhône-Alpes. On estime à quatre ou cinq millions les personnes qui comprennent ou seraient capables de parler assez couramment l'une des variantes de l'occitan. La langue d'oc est enseignée sur option dans les escòlas calendretas, les "calendrettes", écoles primaires bilingues, créées à la fin des années 1970. Un collège fonctionne aussi à Pau.

L'occitan est de plus en plus visible à travers la signalétique urbaine, plaques de rue, panneaux routiers, dans les médias: presse écrite et télévisée. Il existe une chanson contemporaine très vivante en langue d'oc ainsi qu'une abondante littérature.

Que doit le français à la langue d'oc?

Mis à part son prestigieux héritage culturel, le Midi de la France nous a transmis un riche lexique, que nous n'identifions pas toujours, tant ces mots nous semblent "français": nous avons déjà vu troubadour, qui a même son doublet en langue d'oïl "_le trouvère_". La cuisine aussi nous a fourni son contingent: le pastis, la bouillabaisse (de "fais bouillir puis abaisse (le feu)", l'aïoli (ail et huile), la ratatouille. Le mesclun, le mélange (de salades), le cassoulet. Et bien sûr, la pétanque (pés tancats: les pieds immobiles). Un poutou, un bisou. Mais aussi une rouste, une raclée, et un goujat... Qui n'est autre qu'un jeune homme, un cadet, peut-être_? Chez les nobles de Gascogne, les fils puinés devenaient soldats avec le grade de capitaine, mot qui se disait cadet en occitan.

Et notre langue d'oïl dans tout ça?

Je l'ai un peu négligée, c'est vrai, il s'agit de notre français, celui que nous parlons, mais aussi de notre picard, de notre wallon : écoutez comment les Carolos disent oui: oÿi, c'est aussi "oïl", du latin hoc ille, la même chose que "voilà" ou "c'est cela", ce que nous disons quand nous sommes d'accord.

Le français, nous le connaissons bien, en tout cas mieux que la langue d'oc, j'ai donc pensé que mon article serait une manière de rendre justice à notre seconde "langue française", le français du soleil, la lengo dèl país dèl solelh.


Robert MASSART


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