Nouvelles de Flandre
La Normandie, berceau de l'anglais ?

Au début du 10e siècle, des pirates venus de Scandinavie désolent l'estuaire de la Seine depuis des années.

La Neustrie devient la Normandie

En 911, le roi de France Charles le Simple (autrement dit le sincère, l'honnête) rencontre un de leurs chefs, Rolf ou Rollon, dans un village du Vexin, non loin de Paris, à Saint-Clair-sur-Epte. Conformément aux termes du traité passé entre eux, Rollon se convertit au christianisme et jure de défendre contre les incursions des autres Vikings le territoire que Charles lui a accordé. Le pillard des côtes de la Manche est désormais vassal du roi de France et cette région qui portait le nom de Neustrie devient celle des "hommes du Nord": la Normandie.

Une francisation rapide

En quelques générations, les descendants des Vikings se sont assimilés à la population locale, surtout par les mariages. Les Danois et autres Norvégiens, qui parlaient le vieux norrois, se sont mis à la langue d'oïl en y ajoutant des mots de leur ancienne langue, ces traces sont toujours présentes aujourd'hui en abondance dans la toponymie locale. Quelques exemples: "toth" qui voulait dire une ferme ou un lieu habité (Criquetot, Yvetot). "Bec", le ruisseau, la rivière, comme dans Caudebec (le ruisseau froid). "Beuf", forme romanisée de "*budh", habitation: Elbeuf, Criquebeuf, et que l'on trouve aussi en Grande- Bretagne sous la forme "by": Welby, Kirkby. "Fleur", un fleuve côtier, comme Barfleur, Honfleur, terminaison à rapprocher du scandinave "fjord". "Ey", ile. Dire l'ile de Jersey est redondant, comme si l'on disait l'ile de l'ile de *Jers. Tout comme l'archipel des Orcades, en anglais "Orkney islands".

Guillaume et l'anglo-normand

En 1066, le descendant de Rollon, Guillaume, duc de Normandie, débarque en Angleterre en tant que successeur légitime du roi Édouard le Confesseur, mort sans héritier. Il défait son rival, Harold, à la bataille de Hastings. Au lendemain de cette victoire, l'Angleterre est rattachée au duché de Normandie. La langue du pays est une langue germanique (l'anglo-saxon) imprégnée de souvenirs des anciens parlers celtiques, essentiellement dans la prononciation et la syntaxe. Les Normands n'imposeront pas leur langue aux Anglais, d'ailleurs la langue savante demeure le latin, comme partout en France et en Occident. Toutefois, le normand, branche dialectale de la langue d'oïl et donc très semblable à l'ancien français, est parlé par l'aristocratie venue du continent, mais aussi par une partie de la population, nous dirions aujour-d'hui "la classe moyenne", les marchands et les artisans proches de la paysannerie et de la noblesse, qui se sont familiarisés avec la langue des nouveaux maitres pour pouvoir exercer leur activité.

Le peuple continue de parler le vieil anglais mais les langues se mélangent et l'anglo-normand pénètre malgré tout dans le parler rural: le mouton, s'appelle sheep pour le fermier, alors qu'il devient mutton pour le boucher. Le villageois s'assied sur a stool, le noble sur a chair, etc. C'est ainsi que s'est formé peu à peu l'anglo-normand, une nouvelle variante de la langue d'oïl, que certains préfèrent appeler normand insulaire, voire "français insulaire". L'anglo-normand fut même le moyen d'expression d'une brillante littérature, dont la plus célèbre représentante est Marie de France, auteure des Lais, une douzaine de contes et récits inspirés du passé breton de l'Angleterre qu'elle écrivit en y mettant les formes de la littérature courtoise, à la fin du 12e siècle.

Vers l'anglais moderne

Au cours des siècles qui suivirent la conquête de Guillaume de Normandie, la langue normande, par l'intermédiaire de l'anglo-normand, fera évoluer le vieil anglais vers l'anglais moderne.

L'anglais parlé aujourd'hui est majoritairement une langue romane (la plus romane des langues germaniques, dit-on): le fonds linguistique normand, français et latin (antérieur aux deux premiers) constitue plus de 60% de la langue anglaise actuelle. À peine plus de 30% pour le fonds germanique et celtique, ce dernier essentiellement dans la syntaxe (comme l'emploi de "do" dans l'interrogation et la négation) et une grande partie de la prononciation.

Prétendre que la Normandie fut le berceau de l'anglais n'est pas une impertinence scientifique, c'est tout au plus une légère exagération et un raccourci.


Robert MASSART

NB: ce texte applique les rectifications orthographiques de 1990.


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