Nouvelles de Flandre
Maurice: un peu d'histoire et quelques points de repère (2e partie)

A l'origine, un vrai éden, une vraie île vierge, où la main de l'homme n'avait jamais mis le pied, comme dirait un humoriste … Les commerçants arabes la connaissaient, on la trouve sur leurs cartes du 10e siècle sous le nom de "Dina Arobin". Mais ils ne s'y intéressent guère. Pas plus que les Portugais qui la "découvrent" au début du 16e, trop pressés qu'ils sont de rejoindre l'Inde, la Chine ou même le Japon.

En 1511, un portugais, Domingo Fernandez, y jette l'ancre et baptise l'île "Cirne" (l'île du Cygne). Du nom d'un de ses bateaux ou parce qu'il y voit un animal curieux: "sans plumes par le corps qui est couvert d'un duvet noir, il a le cul tout rond, le croupion orné de plumes crépues, le bec gros, les jambes hautes". Vous l'avez deviné, c'est le dodo.

Pauvre dodo! Maurice est son unique habitat: il ne peut pas voler, il ne sait pas nager. Sa chair est, hélas pour lui, délicieuse. Il se laisse capturer sans réticence et, une fois captif, il cesse de s'alimenter et se contente de pleurer à grosses larmes insuffisantes à émouvoir ses prédateurs. Les Portugais laissèrent aussi quelques bœufs, chèvres, question de s'assurer un peu de viande fraîche à une future escale, mais aussi chiens et singes, grands amateurs d'oeufs de dodo. Ce qui achève son extermination. Avant l'arrivée des hommes, un seul mammifère habitait Maurice: la chauve-souris mauricienne, aussi appelée "renard volant", toujours présente, elle, sur l'île.

En 1598 débarquent des Hollandais venus du Cap. L'île en elle-même ne les intéresse que comme escale bienvenue en réapprovisionnement sur la route des Indes. Pour décourager toute concurrence, ils hissent le drapeau des Pays-Bas et baptisent l'île du prénom de leur prince: Maurice de Nassau… Ils s'y installent avec armes et bagages, ramènent des cerfs de Java. Qui font bon ménage avec les cochons devenus sauvages et les singes, des macaques, qui peuplent encore l'île aujourd'hui. De la viande fraîche donc aux escales. Et puis ils plantent quelques essences qui ne seront cependant pas suffisantes pour réparer les navires. Dans leurs bagages aussi des esclaves capturés en Afrique ou à Madagascar et des "colons", en fait des forçats expédiés aux Indes. Qui se font la belle. Voilà les premiers habitants de l'île fixés!

Mais colons et esclaves s'en donnent à cœur joie. Les forêts sont détruites, disparaissent aussi les derniers dodos. Cyclones, disettes, actes de piraterie, naufrages nombreux: en 1711, les Hollandais rembarquent. Ils laisseront outre les cerfs, le tabac et la canne à sucre. Dont le développement continu achèvera, plus tard, la déforestation de l'île. Les Hollandais partis, Maurice redevient un trou.

Cinq ans plus tard un vaisseau commandé par un Malouin, venant de Moka (au Yémen), chargé de plants de caféiers destinés à l'île Bourbon (la Réunion), trouvant l'île déserte, ou à peu près, la rebaptise "Ile de France" et l'offre à la Compagnie des Indes Orientales. Mais ce n'est qu'en 1735 qu'un autre commandant de la même compagnie, Mahé de la Bourdonnais, fait de l'île ce qu'elle est encore aujourd'hui: on aménage un vrai port, on construit des chantiers navals très productifs grâce aux esclaves, on bâtit un hôpital, on fonde la première sucrerie. C'est ici que se place l'épisode du naufrage du Saint-Géran et de ses devenus illustres passagers: Paul et Virginie.

Mais le monde bascule: c'est la guerre d'indépendance en Amérique, les Indes sont devenues anglaises : Maurice revêt un intérêt stratégique: "tant que les Français tiendront l'île de France, déclarait Pitt en 1761, les Anglais ne seront pas maîtres de l'Inde". Les batailles navales se succèdent, les sucreries tournent à plein rendement pour étancher de rhum, les gosiers militaires… Et puis, un jour, le lys royal fait place aux 3 couleurs: c'est la révolution en France. D'abord ravis, les colons français déchantent lorsque la Convention abolit l'esclavage. Les deux malheureux émissaires de la Convention envoyés dans l'île pour y faire respecter le décret d'abolition, sont tout simplement lynchés. D'ailleurs Bonaparte s'empresse de rétablir l'esclavage: les esclaves représentent 90% de la population d'alors! Surcouf ratisse tout l'océan indien et rafle plus d'une centaine de bateaux à l'ennemi anglais : les cargaisons volées sont déposées à l'île de France et revendues aux Américains!

La capitulation napoléonienne livre les deux îles (de France et Bourbon) aux Anglais. Les Anglais laissent la Bourbon aux Français pour mieux se garder l'île de France qui retrouve son nom de Maurice. Dix mille Anglais et Indiens sont aussitôt débarqués et font de l'île une importante place maritime. La production de la canne à sucre est décuplée en peu de temps. Mais en 1833 l'affranchissement des esclaves nécessite l'importation d'une autre main d'œuvre : ce seront les Indiens, hypocritement appelés les "engagés" … à des salaires de misère et qui constituent les deux tiers de la population actuelle.

La percée du canal de Suez en 1869, sonne le déclin de l'île. En 1901, Gandhi, de passage dans l'île, parle de justice et de démocratie… Elle se met en route avec la constitution en 1936, du parti travailliste, l'octroi du droit de vote après la guerre, la semi-autonomie de l'île en 1961, l'indépendance (dans le giron du Commonwealth) en 1968, avec SSR &endash; Seewoosagur Ramgoolam &endash; qui a donné son nom à l'aéroport &endash; comme premier chef du nouvel état. En 1991, la République est proclamée.

De 1968 à nos jours, la vie politique fut passablement agitée et il serait trop long d'en relater les diverses péripéties. Avec en 1999, la mort de 4 hommes dont le chanteur Kaya, le créateur du seggae, idole de la communauté créole et des couches défavorisées. Incarcéré pour avoir fumé un joint sur scène, il fut retrouvé, le lendemain, dans sa cellule, le crâne fracassé. Aussitôt des émeutes éclatèrent dont la communauté hindoue fit les frais : il faut dire que la majorité des policiers est hindoue… La nomination d'un leader populaire calma la population. Et depuis, c'est à nouveau la valse des alliances et des coalitions… Notons encore que l'île est actuellement confrontée à une situation qui risque de devenir cruciale s'il n'y est pas porté remède: la surpopulation. La densité démographique y est la plus forte au monde après Hong-Kong et le Bengladesh!

Et le kreol la didan?

Un rapide coup d'œil aux définitions liminaires des dictionnaires courants, ne nous apprendra pas grand chose sur le créole. Doit-on y voir un signe de mépris??? Tout au plus apprend-t-on que le mot "créole" vient de l'espagnol « criollo » et qu'il désigne soit une personne d'ascendance européenne née dans les anciennes colonies, soit "un langage parlé par les esclaves noirs et devenu la langue maternelle de leurs descendants" (Le Petit Larousse grand format). On apprend quand même qu'il existe des créoles à base de français, anglais, portugais, etc…

Ce qui fait du créole sa particularité, c'est qu'il s'agit d'une langue "inventée" par les esclaves qui s'en servaient pour communiquer entre eux et avec leurs maîtres: c'est donc à la fois l'argot et l'esperanto des esclaves!

A Maurice trois langues co-existent dans une cohabitation linguistique nettement plus pacifique que chez nous: les barbouilleurs de plaques indicatrices ne sévissent guère.

L'anglais est la langue de l'administration publique, des lois, des cours de justice, du Parlement. Bien que son statut de langue "officielle" ne soit inscrit dans aucun texte de loi. Le français est la principale langue de la presse aussi bien écrite que parlée ou télévisée. Ainsi le journal télévisé est-il donné en français… mais suivi d'une édition en créole. Ajoutons que les langues indiennes et chinoises ne sont pas laissées pour compte et nombre d'émissions se font en ces langues. L'école permet d'ailleurs l'apprentissage de l'hindi, du bohjpouri, du cantonais et du mandarin.

Le créole mauricien est la principale langue orale du pays, comprise et parlée par toute la population. Et pas seulement par les descendants des esclaves noirs au risque de contredire Mr Larousse, puisque indiens, chinois et blancs en ont fait leur moyen de communication. La première langue du pays est bien le créole, suivie du français. A l'école c'est l'anglais qui domine mais les journaux doivent écrire en français s'ils veulent vendre! Le français a gardé une attirance historique supérieure à l'anglais: fransé mo koné, anglé mo débrouillé est une boutade qui reflète bien la réalité linguistique de la majorité des Mauriciens.

Au niveau de la conversation quotidienne, en effet, vous n'aurez guère l'occasion d'entendre les Mauriciens s'exprimer en anglais. La langue véhiculaire de tous reste le créole. Le français est très présent dans de nombreuses familles, les parents se font un point d'honneur de l'enseigner à leurs enfants: c'est la preuve qu'on a atteint un certain niveau social…

Le créole mauricien est, bien entendu à base française. Mais d'autres langues y ont laissé leur empreinte: le malgache, l'hindi et le bhojpouri, et l'anglais. Les mots anglais y sont, en général, introduits tels quels sans altération : girl-friend, drink, bus-stop. Mais aussi le son "tch" existant en créole, que l'on retrouvera, par ex. dans "tchair" (chair) et dans "tchek" chek.

Il s'agit, comme la plupart des créoles, d'une langue parlée. Il existe bien quelques écrivains créoles mais peu lus par le Mauricien moyen. Le créole écrit est utilisé pour les tracts politiques ou syndicaux, les affiches électorales et… les publicités murales! Les chanteurs de sega et de seggae écrivent en créole. De tout ceci se dégagent petit à petit des règles d'écriture, assez proches paraît-il, de celles des Antilles ou de la Réunion, mais qui restent très évolutives.

Quelques règles de prononciation et d'écriture…

Je pourrais vous énoncer les règles de prononciation: les "U" se disant "I" (ex : niméro), le "J" devenant "Z" (ex : zoli), le "IN" s'écrivant "EN", etc… etc… mais je crois que vous vous amuserez davantage à les découvrir vous-même à l'aide de quelques petits dessins.

Sachez seulement que toutes les lettres se prononcent en créole, quelle que soit leur place dans le mot: ne confondez donc pas lepor (le port) et laport (la porte). Bon amusement!

 

Michèle COERTEN

Cet article fait suite à notre petite leçon de « kreol morisyen » du numéro précédent. Sources: le Guide du Routard (Hachette); Le Créole Mauricien de poche (Assimil); Francophonie Vivante &endash; Maurice Ile Plurielle (Fondation Charles Plisnier - n° 4 - déc. 99); Et mes « professeurs » en créole mauricien: Roopsen, Goonajee et Anil.

 

SOLUTIONS DU PRECEDENT NUMERO
  • Mo finn zwen enn mari trannsenk mé so katorz inn vinn ventwit. Pa grav parski li éna enn per kenz ar li e so karant bel. (Moi avoir joint une super 35 mais son 14 est devenu 28. Pas grave parce qu'elle a une paire 15 avec elle et son 40 bel.) &endash; J'ai rencontré une superbe femme mais elle n'a plus sa raison. Ce n'est pas grave puisqu'elle a une de ces paires de seins et une belle paire de fesses.

  • Gel dan gel, set lapat, kat zorey? Sanpek: lisyen manz dan marmit. (Gueule dans gueule, sept pattes, quatre oreilles?) Réponse: c'est un chien qui mange dans une marmite.

  • Kat pat lor kat pat asper kat pat; kat pat vini, kat pat alé, kat pat resté? Sanpek: sat lor sez asper léra; léra pas vini, sat alé, sez resté. (Quatre pattes sur quatre pattes attendent quatre pattes; quatre pattes pas venir; quatre pattes s'en vont, quatre pattes restent?) Réponse: un chat sur une chaise attend une souris, la souris ne vient pas, le chat s'en va, la chaise reste.

  • Mo nwar dan mo boner, mo rouz dan mo maler? Sanpek: sevret. (Moi noir dans mon bonheur, moi rouge dans mon malheur?) Réponse: une crevette (noire quand elle est vivante, rouge quand elle est cuite).

  • Een bann bef lor montagn, zot kit lerb zot manz ros? Sanpek: lipou. (Une bande de bœufs sur la montagne, ils quittent l'herbe ils mangent les rochers?) Réponse: les poux (c'est au crâne [les rochers] que les poux s'attaquent, pas aux cheveux [l'herbe]).


Copyright © 1998-2003 A.P.F.F.-V.B.F.V. asbl
Secrétariat: Spreeuwenlaan 12, B-8420 De Haan, Belgique
Téléphone: +32 (0)59/23.77.01, Télécopieur: +32 (0)59/23.77.02
Banque: 210-0433429-85, Courriel: apff@dmnet.be
Site: http://www.dmnet.be/ndf