Nouvelles de Flandre
Colloque de L'Année francophone internationale 26-29 mai 2003

Protection des minorités francophones: quelques éléments de comparaison entre la situation au Canada et en Belgique

1) INTRODUCTION

Le Canada et la Belgique présentent plusieurs similitudes au niveau de leur organisation politique. Ce sont tout d'abord deux états fédéraux constitués d'entités unilingues ou bilingues.

Le Canada compte 10 provinces. De ces 10 provinces, une seule est francophone, le Québec, huit sont anglophones et une est bilingue, le Nouveau-Brunswick.

La Belgique quant à elle est constituée de trois régions: la Flandre qui est néerlandophone, la Wallonie qui est francophone et la Région de Bruxelles qui est bilingue.

Le Canada et la Belgique comportent tous deux des minorités francophones significatives situées soit dans des provinces anglophones pour ce qui est du Canada soit dans la région néerlandophone, la Flandre, pour ce qui est de la Belgique.

L'objectif de notre communication est d'examiner les moyens mis en oeuvre des deux côtés de l'Atlantique afin de permettre à la langue et à la culture françaises de s'exprimer librement et aux minorités francophones de trouver leur épanouissement.

2) LA SITUATION AU CANADA

Sur une population totale d'environ 30 millions d'habitants, le Canada compte un peu plus de 6,7 millions de francophones, dont la plupart habitent au Québec où ils représentent 82% de la population. Vient ensuite le Nouveau-Brunswick où ils sont 33%. Dans les autres provinces, ils représentent en moyenne 4% de la population.

La mise en place en 1963 de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme a marqué le début d'une ère nouvelle en ce qui concerne l'emploi des langues officielles au Canada.

Les principes fondamentaux sont énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 et dans la nouvelle Loi sur les langues officielles de 1988.

Dans les domaines de compétence fédérale:

Certains droits sont également accordés au niveau des provinces, notamment en ce qui concerne l'enseignement. Les parents canadiens appartenant soit à la minorité francophone soit à la minorité anglophone ont le droit de faire suivre à leurs enfants un enseignement dans leur langue aux niveaux primaire et secondaire.

En 1994, le gouvernement du Canada s'est engagé à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne, ainsi qu'à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones dans tout le pays.

Cet engagement vise non seulement à faire en sorte que ces minorités aient accès à des services dans leur langue, mais aussi que toutes les institutions fédérales participent activement à leur développement et à leur épanouissement.

Pour clore ce chapitre, signalons l'existence de toute une série de programmes d'appuis financiers dont:

3) LA SITUATION EN BELGIQUE

La Belgique compte une population d'environ 10 millons de personnes. Les francophones représentent environ 40%, les néerlandophones environ 58% et les germanophones environ 0,7%.

Lorsque la Belgique a été fondée en 1830, la seule langue officielle était le français.

En 1898, sous la pression d'un mouvement de défense et de promotion de la langue et de la culture flamandes, le néerlandais est reconnu comme seconde langue officielle. La Flandre, située au nord de la Belgique, devient une région bilingue. A partir de ce moment, les revendications des partis flamands se radicalisent et on assistera à une lente évolution d'une région bilingue vers une région unilingue néerlandophone.

En 1963, le tracé de la frontière linguistique entre la Flandre et la Wallonie est définitivement figé. Quelques communes, principalement dans la périphérie de Bruxelles obtiennent un statut linguistique spécial. Malheureusement, ce statut qui accorde quelques "facilités" aux francophones résidant dans ces communes flamandes est régulièrement remis en question.

Il est important de souligner que le tracé de la frontière linguistique s'est fait sans se préoccuper des minorités francophones existant en dehors des communes à facilités. On fit comme si elles n'existaient pas.

La Flandre compte quelque 300.000 francophones, ce qui représente 5% de sa population (ce chiffre est une estimation étant donné que, suite à la pression des flamands, le recensement linguistique a été supprimé). Ces francophones rencontrent deux types de problèmes: d'ordre administratif, dans les communes à facilités, et d'ordre culturel dans toute la Flandre.

Nous voulons attirer l'attention sur ce deuxième point:

En effet, le français, une de nos langues nationales a, au nord de la Belgique, le statut de langue étrangère. Sans les initiatives culturelles privées, prises dans des conditions difficiles par un grand nombre d'associations francophones, la diversité culturelle serait réduite à un minimum indécent.

L'existence de ces associations francophones est la preuve indéniable qu'elles répondent à un besoin. Hélas, suite aux démarches des autorités flamandes qui ont saisi la Cour d'arbitrage, la survie d'une partie d'entre elles est mise en péril. En effet, les autorités flamandes ont obtenu qu'il soit interdit à la Communauté française de continuer à subventionner les associations culturelles francophones en Flandre. D'autre part, le Ministre flamand de la Culture a déclaré que la Flandre elle-même n'aiderait pas ces associations.

De plus, il est devenu quasiment impossible d'obtenir, en Flandre, des locaux publics pour y organiser des activités en français. Seules les associations qui disposent de leurs propres locaux ou qui ont accès à des locaux privés peuvent poursuivre leurs activités. En cela, les francophones sont réellement discriminés par rapport aux autres habitants.

L'état d'esprit qui règne, en Flandre, à l'encontre des francophones est difficilement compréhensible lorsqu'on sait que les flamands ont aujourd'hui en mains le pouvoir politique majoritaire, le pouvoir économique et financier et qu'ils ont atteint tous les objectifs culturels que le mouvement flamand s'était jadis assignés.

Ils n'ont pas à craindre une "refrancisation" de la Flandre. Le refus automatique qu'ils opposent à la moindre revendication francophone n'a plus d'autre mauvaise justification que de vouloir faire disparaître tout ce qui est francophone en Flandre.

4) CREATION DE L'ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE LA FRANCOPHONIE EN FLANDRE

En 1998, nous avons créé l'Association pour la Promotion de la Francophonie en Flandre (APFF).

Soyons clairs: l'APFF ne poursuit aucun but politique et n'entend nullement remettre en cause le statut linguistique de la Flandre. Elle veut simplement que le français, l'une de nos langues nationales, ait droit de cité en Flandre au même titre que toute autre langue.

Cette promotion de la francophonie, l'APFF la réalise notamment en publiant sur son site internet le magazine "Nouvelles de Flandre" (http://www.dmnet.be/ndf). On peut y trouver outre l'agenda des activités en français, les adresses des ressources francophones en Flandre, des articles et des informations sur la francophonie en général. Un bulletin, version papier du magazine, est également édité tous les deux mois.

Grâce à la participation de plus de 60 associations culturelles et via l'agenda publié dans son magazine, notre association a pu assurer la promotion de près de 500 activités en français au cours de la saison 2002-2003.

L'APFF est aujourd'hui reconnue comme un partenaire crédible et obligé dans toute discussion portant sur l'avenir de la langue et de la culture françaises au nord de notre pays. Plus d'une centaine d'articles nous ont été consacrés dans la presse et nous participons régulièrement à des rencontres avec les responsables de différentes institutions, tant en Belgique qu'à l'étranger.

5) LA CONVENTION-CADRE SUR LA PROTECTION DES MINORITES NATIONALES

En janvier 2001, la Belgique était encore pointée du doigt par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à qui l'on doit la convention en question. Dans sa recommandation 1492, l'Assemblée constatait que la Belgique était l'un des seuls pays membres qui n'avait toujours pas signé ni ratifié cette convention.

Fin juin 2001, suite aux pressions de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et la détermination de politiciens francophones, notre Premier ministre a annoncé, à l'occasion des accords communautaires de la Saint-Polycarpe, que la Belgique avait décidé de signer la Convention-cadre sur la protection des minorités. "Toutes les Régions et les Communautés, par la voix de leur gouvernement, ont marqué leur accord pour que le ministre des Affaires étrangères procède à la signature de cette convention", a-t-il précisé. Le 31 juillet 2001, ce dernier s'est rendu à Strasbourg pour signer le fameux document.

Six années - la Convention-cadre sur la protection des minorités date de 1995 - auront été nécessaires avant que notre pays ne se lance dans un processus qui devrait déboucher sur un réel apaisement communautaire.

La Belgique s'est notamment engagée:

Tout n'est pas résolu:

La signature de la convention n'est qu'une étape avant sa ratification. Notre pays devra d'abord définir ce qu'il entend par "minorité nationale". Il aura aussi la possibilité de désigner le ou les territoires auxquels s'appliquera la convention.

Comme on pouvait s'y attendre, les flamands et les francophones ne sont pas d'accord sur la définition de "minorité nationale". Dès 1997, le gouvernement flamand faisait savoir que francophones et néerlandophones ne pouvaient être considérés comme une minorité nationale au sens de la convention, ni sur l'ensemble du territoire, ni sur une partie de celui-ci. Les francophones sont, eux, favorables à une ratification sans réserve.

6) LE RAPPORT NABHOLZ

En avril 2001, Madame Lili Nabholz-Haidegger, est chargée, par la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme du Conseil de l'Europe, d'établir un rapport au sujet des minorités en Belgique.

Le rapport que Madame Nabholz remet en avril 2002 est favorable à la position des francophones, à savoir que les francophones constituent une minorité à protéger en Flandre.

Dans son rapport, Madame Nabholz précise:

"Les plaintes de francophones vivant en Flandre que j'ai trouvées les plus fondées étaient celles qui concernaient la culture. De fait, en dehors des quelques communes à facilités linguistiques, il semble que, en Flandre, le français soit traité comme une langue étrangère, et non pas comme l'une des langues de la Belgique, et les francophones ont donc beaucoup de mal à faire vivre la culture francophone en Flandre (...)".

Ces observations de la rapporteuse du Conseil de l'Europe rejoignent très exactement l'exposé de la situation que l'APFF a présenté dans la "lettre ouverte" qu'elle a envoyée au Roi, à toutes les autorités politiques de notre pays et aux 602 membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

7) LA RESOLUTION 1301

En septembre 2002, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a entériné les conclusions du rapport Nabholz en adoptant la Résolution 1301.

Cette résolution offre aux flamands et aux francophones une occasion de discuter sans passion et dans un climat de bonne volonté réciproque du contentieux de leurs relations communautaires.

Il est dit en substance:

A ce jour, la Belgique n'a toujours pas ratifié la Convention-cadre sur la protection des minorités nationales.

8) CONCLUSIONS

Face à la protection de leurs minorités francophones respectives, le Canada et la Belgique ont choisi deux voies radicalement opposées.

Le Canada, comme les autorités européennes, a choisi de créer un climat de tolérance et de dialogue afin de permettre à la diversité culturelle d'être une source, ainsi qu'un facteur, non de division, mais d'enrichissement pour chaque communauté.

La Belgique et plus particulièrement la Flandre a choisi le repli sur soi. Se rend-elle compte que, si elle persiste dans cette voie, elle risque de se retrouver un jour au ban de l'Europe?

Le sort des francophones vivant en Flandre se jouera lors des négociations pour la constitution du prochain gouvernement. C'est au cours de ces négociations qu'apparaîtra la volonté politique des différents partis de reconnaître ou non une minorité francophone en Flandre.

Une chose paraît tout à fait évidente: il est temps que les francophones de Flandre prennent leurs responsabilités, se manifestent et se mobilisent.

Le moment est historiquement crucial pour l'avenir de la francophonie en Flandre: un sursaut vital doit avoir lieu. Nous espérons que, dans un élan de solidarité, l'Organisation internationale de la Francophonie et l'ensemble des pays francophones nous apporteront leur soutien.

Pour terminer nous citerons Philippe Suinen, commissaire général du CGRI(1) qui, dans son petit livre-pamphlet "Minorité(s)"(2), écrit:

"La grandeur, la sagesse, mais aussi l'intérêt des majorités tiennent en la coexistence harmonieuse avec les minorités: ce qui induit une reconnaissance de leurs spécificités - de leur être - et d'une autonomie de politique dans les domaines les traduisant, comme la culture, cette représentation que l'on a de soi et du monde". "Dans la boîte à outils institutionnelle de la protection des minorités, il faut toujours prévoir des vases communicants afin d'équilibrer autonomie et intégration."

 

Edgar FONCK
directeur de l'APFF

(1) Commissariat général aux Relations internationales de la Communauté française
(2) Minorité(s), par Philippe Suinen, aux Editions Luc Pire, dans la collection Pierres de Taille


Copyright © 1998-2003 A.P.F.F.-V.B.F.V. asbl
Secrétariat: Spreeuwenlaan 12, B-8420 De Haan, Belgique
Téléphone: +32 (0)59/23.77.01, Télécopieur: +32 (0)59/23.77.02
Banque: 210-0433429-85, Courriel: apff@dmnet.be
Site: http://www.dmnet.be/ndf