Nouvelles de Flandre
Le français vient du latin, oui, mais comment?

Quand Rome s'empare de la Gaule, cinquante ans avant J-C, les Gaulois parlent le celte, une langue indo-européenne comme le latin. Par nécessité ou intérêt, ils apprennent la langue des Romains.

Leurs "professeurs" ne viennent pas tous de Rome ni d'Italie, ce sont des soldats, de petits commerçants, des fonctionnaires issus de tout l'empire. Leur latin n'est pas pur et les Gaulois y mêlent à leur tour des accents, des mots, des tournures, vestiges de leur langue d'origine. Par exemple, on pense que c'est de là que viennent des sons comme le "u" et les voyelles nasales "an, on, un", qui existaient en gaulois, mais pas en latin.

Le gallo-roman

Les Gaulois ont eu cinq siècles pour faire de la langue de Virgile et de Cicéron un latin "à la gauloise": le gallo-roman. Les prépositions ont remplacé les déclinaisons et certains démonstratifs jouent le rôle d'articles: une phrase en "bon" latin telle que Paulus reginae dat librum devient Paulu donat illu libru ad illa regina: Paul donne le livre à la reine. L'ordre des mots "sujet-verbe-compléments" s'impose par souci de clarté. Donare (faire un don) s'est substitué au classique dare: les langues populaires aiment les mots imagés, plus concrets, ainsi edere (manger) est oublié au profit de l'argotique manducare (mastiquer). Il est probable que la numération vicésimale soit aussi une habitude gauloise qui a tenu tête au système décimal des Romains: quatre-vingts plutôt que huitante (octoginta).

Les Germains franchissent le Rhin

Au 5e siècle, les Romains cèdent face aux Germains, qui fuient en Gaule pour échapper à des hordes brutales venues d'Asie. C'est ainsi que les Francs, avec Clovis, fondent un royaume au nord de la Loire, la "Francia". Ils ont la puissance des armes mais pas celle de la culture: la civilisation des Gaulois romanisés les subjugue et ils s'efforcent de se l'approprier en commençant par la langue, dès lors le franci-que imprime aussi sa marque sur le gallo-roman: de nouvelles habitudes linguistiques s'installent, dont un lexique abondant qui fait parfois double emploi avec des termes d'origine latine, par exemple "la honte" remplace la vergogne (verecundia). Les Francs nous ont laissé un bon millier de germanismes_: hache, hêtre, haïr, guerre, garçon, gâteau, gagner, blanc, bleu, brun, blé, jardin, riche, etc.

Une prise de conscience linguistique

Trois siècles après Clovis, la langue romane s'est tellement différenciée du latin que les fidèles ne comprennent plus les sermons des prêtres. Lors d'un concile réuni à Tours, en 813, les évêques recommandent au clergé de prêcher désormais en "lingua romana rustica" (en langue populaire) afin d'être entendus de tous.

En 842, la version en langue romane des Serments de Strasbourg (un pacte d'alliance) fait figure "d'acte de naissance" du français. Nous sommes encore loin de la langue actuelle, mais il est clair qu'il s'agit d'une autre langue, qui a pris son indépendance à l'égard du latin: "Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro comun salvament (...) si salvarai eo cist meon fradre Karlo...". Et l'évolution ne fait que s'accélérer: quarante ans plus tard, La cantilène de sainte Eulalie est considérée comme notre premier texte littéraire, encore bien modeste "Buona pulcella fut Eulalia, bel corps auret, bellezour anima": Eulalie était une bonne jeune fille, son corps était beau mais son âme plus belle encore. Le 11e siècle produira le premier chef-d'œuvre de la littérature en ancien français: La Chanson de Roland.

Deux langues françaises

Au cours de cette période, le gallo-roman s'est morcelé en une foule de parlers populaires qui se nuancent insensiblement à mesure que l'on s'éloigne du nord en allant vers le sud. Deux grands domaines apparaissent : au sud, la langue d'oc et, au nord du massif Central, la langue d'oïl. Plus on va vers la Méditerranée, plus les parlers rappellent le latin: la Province narbonnaise fut conquise un siècle plus tôt et le peuplement germanique y a été plus faible.

Un patois qui a réussi

Le français est issu des parlers d'oïl, c'est une sorte de langue commune qui s'est forgée à Paris à mesure que cette ville prenait de l'importance: siège du pouvoir politique et religieux, centre économique et intellectuel. Toutes les langues régionales s'y côtoyaient et s'y sont mélangées.

Sous l'effet du substrat gaulois et des nouveaux apports germaniques, les dialectes d'oïl ont des mots plus courts par rapport au latin: certaines syllabes non accentuées et des consonnes entre voyelles ont disparu, les voyelles rapprochées se combinent en de nouveaux phonèmes ou se nasalisent: insula devient isula - sle - île puis ile. Et fabrica: favrega - fawrdge - forge. Des transformations phonétiques aussi radicales n'ont pas eu lieu dans les parlers d'oc, ni dans les autres langues romanes telles que l'italien ou l'espagnol, par exemple, ce qui explique leur plus grand air de famille.


Robert MASSART


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