Nouvelles de Flandre
Vers un accord culturel entre Flamands et Francophones ?

Soixante écrivains néerlandophones étaient invités au récent Salon du Livre 2003 à Paris. Auteurs flamands et auteurs venus des Pays-Bas s'y côtoyaient, unis par leur langue commune. Ils ont été baptisés: "les Phares du Nord", en raison de leur localisation marine. Tous les genres littéraires étaient représentés du roman à la BD, du polar au livre d'art en passant par la poésie.

Des romanciers néerlandais comme Cees Noteboom , Harry Mulisch et Hella S. Haasse ont conquis le marché français. Parmi les Flamands il y avait, bien évidemment, le "géant" Hugo Claus et le grand Jef Geeraerts, l'animateur Jozef Deleu, fondateur de la revue culturelle "Septentrion", mais aussi les représentants d'une nouvelle génération comme Erwin Mortier, Eric De Kuyper, ou Kristien Hemmerechts. Tous ces auteurs sont traduits depuis des années en français. En Flandre comme aux Pays-Bas, cette mise à l'honneur parisienne était considérée comme "le plus grand festival de littérature néerlandaise qui se soit jamais tenu".

Cet événement a été soutenu financièrement par le gouvernement des Pays-Bas, la Communauté flamande, par des Fondations culturelles comme le "NLPVF" (Nederlands Literair Productie en Vertalingsfonds), l'association flamande "Het Beschrijf" et par… les ministères français des Affaires étrangères, de la Culture et des Communications.

C'est une application concrète prestigieuse de l'accord culturel entré en vigueur en septembre 2002 entre la République française et le Gouvernement flamand qui souligne "l'intensité et la réciprocité des liens intellectuels, culturels et scientifiques entre la France et la Communauté flamande".

Le gouvernement flamand a profité de cette grande manifestation culturelle pour répéter, la main sur le cœur, que "la Flandre et la France partagent une histoire riche et vivent en bons voisins", et que "les Flamands et les Français se comprennent bien", que "les Flamands apprécient la richesse de la langue et de la culture françaises et inversement".

L'autre attitude

Nous voudrions bien pouvoir applaudir de grand cœur à de telles déclarations. Mais nous constatons avec une certaine amertume que le discours adressé aux Français est fort éloigné de celui qui nous est destiné à nous, les Francophones vivant en Flandre.

Notre vie culturelle à nous, ici, se développe au sein de dizaines d'associations. Mais celles-ci se heurtent à des obstinations qui les mettent en péril. Pas de locaux publics libres pour organiser une manifestation francophone. Pas d'aide financière possible. D'une part les autorités flamandes ont obtenu un arrêt de la Cour d'arbitrage (17 mai 2000) interdisant à la Communauté française de subsidier une association francophone en Flandre. Mais d'autre part, le gouvernement flamand a dit clairement qu'il n'entendait absolument pas aider financièrement un association francophone active en Flandre. L'étranglement d'une culture entre deux portes en somme ? C'est la lente mort de la culture française en Flandre qui est programmée.

La France impuissante

Et quand l'APFF se tourne vers la France, voici ce que ça donne! M. Paul Girod, sénateur, a posé au gouvernement de la République française, en juillet 2002 une question écrite à propos de la promotion de la francophonie en Flandre. Il observe notamment que "s'il existe un suivi pédagogique assuré, entre autres, par l'Alliance française, il n'existe à l'heure actuelle qu'une seule structure (l'Association pour la promotion de la francophonie en Flandre) qui maintienne le relais des actions culturelles vers le monde adulte". Or, dit le sénateur, "l'APFF rencontre de grandes difficultés financières car elle ne peut plus recevoir de subvention de la Communauté française de Belgique eu égard à l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 17 mai 2000. C'est donc dans le cadre des accords de coopération culturelle récemment signés entre le gouvernement français et la Belgique qu'il semblerait opportun d'étudier une possibilité d'aide, comme cela se produit envers la communauté flamande résidant en France, en particulier dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, qui reçoit pour ses associations, manifestations ou publications des soutiens réguliers des autorités françaises." M. Girod demande donc "quelles sont les perspectives qui pourraient être envisagées". Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie fait une réponse qui aurait pu inspirer Coluche. Le ministre observe d'abord que "Le soutien à des associations francophones de droit local n'entre pas dans l'accord de coopération culturelle signé en 2001 entre l'ambassade de France et les trois communautés (la communauté flamande, la communauté germanophone et la communauté française de Belgique)". Le ministre, après avoir rappelé que "la Communauté française Wallonie-Bruxelles ne peut plus apporter son soutien aux associations francophones" affirme néanmoins, en conclusion, que "La défense de la francophonie en Belgique est assumée par la Communauté française Wallonie-Bruxelles. C'est à elle qu'il appartient de mettre en place les mesures qu'elle juge utiles". Non! On ne rêve pas…

Après les élections?

La situation pourrait-elle évoluer lors des négociations pour un nouvel accord gouvernemental après les élections du 18 mai? A supposer que les partis francophones mettent sur la table la reconnaissance des minorités et la ratification de la Convention-cadre, il est d'ores et déjà certain que, du côté flamand, ils se heurteront à un "niet" absolu. Laisseront-ils dès lors d'avance tomber les bras? Abandonneront-ils à leur sort, une fois de plus, les francophones de Flandre? Déjà un homme politique francophone du plus haut niveau nous disait, il y a quelques jours: "Il faut comprendre les Flamands; ils ont été historiquement humiliés!" Il faudrait peut-être dire aux Flamands qu'un siècle a passé et que les Francophones d'aujourd'hui ne sont plus ceux d'hier? Loin de vouloir imposer quoi que ce soit aux Flamands - ils ne le pourraient d'ailleurs pas - , ils demandent simplement qu'on ne les empêche pas d'exercer leurs droits culturels.

Dignes de l'Europe

Reste que le recours à l'Europe! On peut peut-être écouter ce qu'a dit à Strasbourg (session du 23 au 27 septembre) le sénateur français Legendre, dans une intervention claire et mesurée: "Pour assurer l'avenir du néerlandais, le Mouvement flamand a mené un combat long et difficile. Il est parvenu à force de rigueur - et parfois brutalement - à imposer une situation de quasi monolinguisme en Flandre. En tant que Français, j'en ai parfois été heurté mais je le comprends quand il s'agit de sauver une langue, l'âme d'un peuple. De même je comprends et soutiens le combat des québécois pour le français. Mais nous ne sommes plus à l'époque où le néerlandais - en Flandre - luttait pour sa survie. En Flandre, le néerlandais ne peut plus être remis en cause. Il est donc légitime de demander aux autorités flamandes; comme aux autorités belges, d'assurer à la minorité francophone le respect de ses droits linguistiques élémentaires. Il ne faut pas ergoter juridiquement. L'histoire de la Belgique, son évolution, ont placé des francophones en situation de minorité en Flandre. (...) En approuvant aujourd'hui, journée européenne des langues, le rapport de Mme Nabholz-Haideggeer, sans accepter qu'il soit dénaturé, nous marquerons notre volonté de dépasser les querelles linguistiques au profit de la diversité culturelle et de l'intelligente tolérance."

Certes, la Résolution du Conseil de l'Europe n'est pas contraignante, mais elle n'est pas sans poids pour autant. On voit mal la Belgique se mettre au ban de l'Europe en ne ratifiant pas la convention-cadre sur la protection des minorités, alors qu'elle l'a déjà signée. Et on ne voit pas non plus notre pays proposer une définition des minorités qui ne tienne aucun compte des remarques du Conseil de l'Europe. Il paraît clair cependant que du côté flamand les hommes politiques freinent des quatre fers et tentent de remettre la question au frigo pour un bon bout de temps.

Accord culturel entre Belges ?

Notre association, dont les objectifs, - faut-il le souligner dix fois? -, sont d'ordre exclusivement culturel, applaudit avec force la proposition de la signature d'un accord culturel entre nos communautés, contenue dans la "Résolution 1301". Comment les Flamands peuvent-ils refuser de signer avec les Francophones de leur pays, ce qu'ils ont signé si cordialement avec les Français? Bien entendu, en Belgique, l'accord culturel intéresserait également la communauté germanophone.

Peut-être devrait-on ne pas perdre de vue, dans l'éventualité de la négociation d'un tel accord, que la vie culturelle doit être financièrement soutenue par un gouvernement, mais qu'elle ne peut certainement pas être organisée et gérée par des instances officielles. L'organisation des activités culturelles doit rester l'apanage d'associations et de groupements libres. Sinon est grand le risque d'une sorte d'étatisation de la culture, ce qui est la négation de celle-ci.

Appel aux intellectuels flamands

Devant la menace d'une disparition progressive de la culture française en Flandre, nous lançons un appel à l'aide aux intellectuels flamands. A Hugo Claus, à Jef Geeraerts, à Jozef Deleu, et à tous ceux et toutes celles qui ont été à la fête en France nous demandons qu'ils nous entendent et qu'ils soutiennent notre action culturelle.

Nos objectifs sont légitimes et raisonnables. Nous sommes des hommes de dialogue et d'ouverture. Nous en avons marre des obsessions et des obstinations des hommes politiques flamands qui parlent avec une langue de bois en teck imputrescible de la "franse arrogantie" (arrogance francophone), de "Vlaamshaters" (ceux qui haïssent les Flamands)… Cette "arrogance" et cette "haine" supposées sont un procès d'intention. En fait les francophones ont été réticents à apprendre une langue dont la dispersion géographique est peu étendue. Mais cela ne signifie en aucune façon que la culture véhiculée par cette langue soit considérée comme mineure. Et d'ailleurs, le succès actuel des œuvres traduites est là pour en attester.

Les Flamands ont aujourd'hui en mains le pouvoir politique majoritaire, le pouvoir économique et financier et ils ont atteint tous les objectifs culturels que le mouvement flamand s'était jadis assignés. Ils n'ont pas à craindre une "refrancisation" de la Flandre. Le refus automatique qu'ils opposent à la moindre revendication francophone n'a plus d'autre mauvaise justification qu'un complexe d'infériorité dépassé ou un désir pervers de revanche historique. Faudra-t-il arriver à la conclusion qu'il y a aujourd'hui en Flandre une génération de "Franshaters"?

 

Marcel BAUWENS


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