Soutenue par un travail de recherche inédit et par la présentation d'œuvres d'artistes majeurs arabes jamais présentées en Europe, l'exposition Picasso et les avant-gardes arabes, présentée jusqu'au 10 juillet 2022 par l'Institut du Monde arabe-Tourcoing, met en évidence un fructueux dialogue entre le maître espagnol et les modernes arabes.

Face à face

L'anniversaire des 60 ans des accords d'Évian (mars 1962) replace au premier plan la question algérienne. En décembre 1961, Picasso réalise un portrait de Djamila Boupacha, jeune algérienne indépendantiste emprisonnée et torturée, défendue par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir. Née de ce fait précis, Picasso et les avant-gardes arabes met en évidence la relation, beaucoup plus vaste, du peintre espagnol aux artistes arabes, à partir des années 1940 et jusqu'aux années 1980, à travers un face à face précis de peintures, œuvres graphiques et céramiques.

Picasso, figure emblématique

Picasso ne s'est jamais rendu dans le monde arabe, pourtant, ses œuvres y ont servi de catalyseur pour des artistes qui cherchaient à faire émerger un art national adossé aux derniers acquis de l'art moderne international. Il est décrit comme une figure emblématique dans un manifeste signé par des surréalistes égyptiens en1938 et dans le manifeste du Groupe de Bagdad de 1951. Par ses œuvres engagées telles que Guernica (1937) ou Massacres en Corée (1954), Picasso a influencé les artistes arabes qui répondent à l'actualité et aux tragédies par leur peinture engagée, en se réclamant de son exemple moral.

Décrit par Apollinaire, dès 1905, comme "arabe rythmiquement", mais surtout engagé dans la galaxie communiste, Picasso a représenté pour les avant-gardes arabes la promesse d'un art universel sans hiérarchie géographique (Orient/ Occident), temporelle (passé/présent) ou stylistique (art naïf/art savant).

Enjeux artistiques et idéologiques

Au-delà du dialogue formel des œuvres que traduisent la construction des visages et des espaces par facettes allant jusqu'au bord de l'abstraction, Picasso et les avant-gardes arabes retrace les enjeux artistiques et idéologiques fondamentaux du XXème siècle, tels que les arts premiers, le pacifisme ou l'anticolonialisme. Dans un dialogue inédit sont exposées en miroir, quelque septante œuvres du maître espagnol et d'artistes majeurs d'Irak (Jewad Selim...), du Liban (Rafic Charaf...), de Syrie (Idham Ismaïl), d'Egypte (Samir Rafi, ...), d'Algérie (Mohamed Khadda...). L'exposition inter-roge aussi la relation intime de Picasso (né à Malaga) aux arts de l'Islam.

Cette rétrospective, au sujet jamais étudié, redessine une histoire de l'art en miroir dans laquelle les avant-gardes arabes regagnent la place qui leur est due.

Edgar FONCK

Informations: https://ima-tourcoing.fr