Nouvelles de Flandre
Le "kreol", une revanche de potache... en ortograf ?

Vous dites: "île Maurice" - erronément appelée "île", Maurice étant un archipel - et vous voyez instantanément dans les yeux de votre interlocuteur, du sable blanc et des lagons aux reflets verts, et turquoise et encore bleu outremer, et encore jade, le tout souligné du trait blanc des brisants… La température monte immédiatement de quelques doux degrés et le bonheur est là, au fond du "ti punch"

Sur place, le bonheur est aussi - et même beaucoup plus que sur les plages - dans la rencontre avec les Mauriciens. D'abord parce qu'ils sont d'une incommensurable gentillesse, tout en dignité, sans la moindre arrière-pensée servile réservée habituellement aux touristes. Et on a donc très vite envie de communiquer avec eux dans leur savoureux langage : le kreol morisyen. Pour découvrir que ce "français petit nègre" n'a rien de réducteur: il recèle une incroyable richesse de situations et d'expériences qui réjouissent aussitôt le locuteur… et son interlocuteur! On y va?

Bonzour, ki manyer? Tou korek? (Bonjour, quelle manière? Es-tu correct?) &endash; Bonjour, comment çà va? Ca va bien?

A quoi vous répondrez: Korek si vous voulez en rester là, - ce qui serait dommage - et Korek do! si vous êtes disposé à continuer la conversation…

Plus familièrement, pour dire la même chose et si on veut paraître branché, on peut demander: Ki pozisyon? (quelle position?) au lieu de ki manyer et gratifier son interlocuteur d'un matlo (matelot) ou d'un kamarad (camarade) suivant le degré de copinerie… La réponse des jeunes branchés est alors: an plas! (en place) - Ca va!

Et si vous n'avez pas la forme, voilà comment vous plaindre: mo pa santi mwa byen zordi, mo lékor kayakaya. (moi pas sentir moi bien aujourd'hui, mon corps kayakaya).

Et puis pour prendre sa première leçon: eski ou kapav koz kréol avek mwa? (est-ce que vous capable causer créole avec moi?) - Pouvez-vous me parler en créole? Mo ti pou kontan aprann enpé kréol. Ou kapav ed mwa? (Je été pour content apprendre un peu créole. Vous capable aider moi?) - J'aimerais apprendre un peu de créole. Pouvez-vous m'aider?

Bien sûr, on va parler du… temps: zordi létan-la byen bon. Pa fer tro so. Kouma dir lapli péna tonbé. (aujourd'hui le temps bien beau. Pas faire trop chaud. Comment dire la pluie pas tomber) - Aujourd'hui il fait très beau. Il ne fait pas trop chaud. On dirait qu'il ne va pas pleuvoir.

Voici un petit lexique du temps qui passe dont je vous laisse le plaisir de deviner la traduction: zordi, yer, avan-t-yer, démen, apré-démen, Sémenn pasé (dernyé), sémenn prosenn (sémenn ki pé vini), zour, lazourné, aswar, lannwit.

Mais devinerez-vous ceux-ci? gramaten (grand matin) et tanto (tantôt, qui est toujours l'après-midi). Gramaten-tanto devenant très logiquement: toute la journée.

Un petit lexique relatif à lékor? Faisons le tour de latet: fron, sévé (cheveux), koko (crâne), likou, lizyé, néné (à ne pas confondre avec tété, pwatrin), trou néné, labous, lalèv, manton. Je parie que vous avez tout compris comme vous comprendrez très bien: seks madam é seks misyé que les Mauriciens - et seulement eux - appellent aussi respectivement sousout et kok. Dans la bouche d'un étranger, ce serait très inconvenant…

Par contre, ne lésinez pas sur les exclamations et parsemez-en largement vos phrases:

Plus drôles et pas toujours évidents, les expressions idiomatiques ou les proverbes appelés souvent à la rescousse pour attester du bon sens de ce qu'on dit:

Et pour finir: Lamizer na pa enn vis, mé li enn byen gros koulou &endash; La misère n'est pas un vice mais un bien gros clou.

Les charades &endash; le langage des chiffres

A côté du kreol branché des jeunes - preuve de la vitalité de ce langage -, il y a le langage chiffré des hommes, code qu'ils se réservent entre eux dans le cadre d'une certaine fraternité machiste.

Il est connu de génération en génération :

A vous de jouer!

Bon, un petit exercice: Mo finn zwen enn mari trannsenk mé so katorz inn vinn ventwit. Pa grav parski li éna enn pèr kenz ar li e so karant bel.

Et tant que vous y êtes, voici aussi quelques "sirandann" (charades) qui furent une des toutes premières manifestations d'une littérature créole (orale) à Maurice. Le maître de cérémonies, généralement un vieillard, lançait le sirandann sous forme de question et la foule répondait à la question par un "sanpek".

Je vous préviens que ce n'est guère facile et qu'il faut toute l'imagination d'un sphynx. Pour vous aider, je vous donne la solution de la première :

(Solutions dans le prochain numéro)

 

Michèle COERTEN

Toutes les «sirandann» sont empruntées au « Créole Mauricien de poche » des Editions « Assimil ».


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