Rencontre amicale avec Jean-Louis Xhonneux, témoin et acteur de la saga fouronnaise. Le secrétaire général de l'Action fouronnaise revient sur cet épisode tumultueux de l'histoire de la Belgique dans un nouveau livre au titre évocateur: Fouron - le symbole sacrifié (*).
N.d.F.: Parlez-nous de vous
J-L.X: Ma famille paternelle était déjà présente à Rémersdael, une des six communes fouronnaises avant la fusion, lorsque le village est devenu une commune en 1854. Après l'école primaire à Rémersdael, j'ai fait mes humanités gréco-latines au collège Saint-Hadelin à Visé. J'ai ensuite fréquenté l'école des Hautes Études commerciales à Liège, avant de commencer à travailler. Une vingtaine d'années plus tard, j'ai suivi la formation de la FOPES (une initiative commune du Mouvement Ouvrier Chrétien et de l'UCL) en politique économique et sociale.
N.d.F.: Quel est votre parcours professionnel?
J-L.X: Pendant la première année après mes études, j'ai eu droit à quelques essais: à la ferme de mes parents dans un premier temps pour remplacer mon père qui avait eu un accident de santé, dans la vente ensuite, et même un petit intérim comme secrétaire communal à Fouron-le-Comte, mais j'ai aussi réussi deux examens de recrutement qui m'ont permis de faire un premier essai au bureau liégeois de la S.N.D.E. (Société Nationale de Distribution d'Eau) et, ensuite, à la Province de Liège où j'ai fait carrière au sein du service culturel, pour terminer comme chef de division au Musée de la Vie wallonne.
N.d.F.: Qu'est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans la politique?
J-L.X: J'étais encore en humanités lorsque j'ai
rejoint le C.D.L.F. (Comité de Défense de la Langue
française) qui était la branche "jeunes
étudiants" du comité de défense des Fourons,
présidé par le comte Lionel de Sécillon.
L'engagement fait partie de mon tempérament. Étudiant,
j'ai milité à la J.E.C. (Jeunesse étudiante
catholique) à différents niveaux, jusqu'à
l'équipe nationale. Dans mon village de Rémersdael,
c'était la J.R.C. (Jeunesse rurale catholique) qui a
lancé différentes activités, dont la
construction d'une salle des fêtes pour le village.
En 1970 (je n'avais pas encore 21 ans), j'étais
déjà le témoin de la liste "Retour à
Liège" aux élections communales à
Rémersdael. Comme il y avait eu un recours, j'ai eu droit
à un recomptage avec la députation permanente à
Hasselt.
J'étais de nouveau secrétaire communal
intérimaire à Fouron-le-Comte (en congé sans
solde pour la province de Liège) lorsque le Conseil
d'État a annulé un arrêté du gouvernement
Leburton qui avait permis de créer des classes francophones.
Pendant plusieurs mois, il a fallu trouver des moyens de maintenir 3
classes à Fouron-le-Comte. Du groupe constitué à
cette époque, est née l'Action fouronnaise dont je suis
encore le secrétaire général.
En 1976, j'ai revendiqué une place, comme jeune, sur la liste
électorale lors de la première élection dans la
commune fusionnée. Le plus jeune des 14 autres candidats avait
20 ans de plus que moi.
J'ai été actif dans la politique communale en
étant conseiller communal de janvier 1977 à
décembre 2000 et président du C.P.A.S. d'avril 1977
à fin mars 2001.
N.d.F.: Qu'est-ce qui explique que les Fourons soient entrés dans l'histoire?
J-L.X: Plusieurs gouvernements sont tombés sur l'affaire
des Fourons.
C'était chaque fois un moment important, mais, après
coup, il faut peut-être se souvenir de mauvais coups faits en
douce, comme des arrêts en cascade du Conseil d'État,
l'exploitation perfide de l'article 3bis (actuellement, c'est
l'article 4) de la Constitution, les réformes de
l'État, les accords négociés et reniés
dès que les Flamands avaient engrangé ce qui leur avait
été concédé, comme l'a fait
Tindemans.
Un autre moment important a été celui qu'on a
appelé "le carrousel fouronnais" auquel la
régionalisation des lois communale et provinciale a mis
fin.
Depuis lors, un gouvernement fédéral ne tombera plus
sur le problème fouronnais puisque les Fouronnais ont perdu
toute possibilité de recours honnête. Ils doivent en
effet adresser maintenant leurs plaintes au "braconnier devenu
garde-chasse" qui refuse, par exemple, d'admettre le rôle de la
Commission permanente de Contrôle linguistique.
N.d.F.: Pourquoi les affrontements ont-ils été aussi violents dans les Fourons?
J-L.X: Les meneurs flamingants étaient allés chercher de l'aide dans les milieux extrémistes, dès le transfert au Limbourg, puis après les premières élections de la commune fusionnée. Ce fut l'épisode des "promenades" où il y avait d'un côté la population francophone locale et, en face, ces "promeneurs" venus d'Anvers et ailleurs, soutenus par la gendarmerie.
N.d.F.: Quel est votre meilleur souvenir? Et le pire?
J-L.X: Les "Fêtes du Peuple fouronnais" font partie de
mes bons souvenirs, comme aussi les soirées électorales
jusqu'en 1994.
En 1979, cinq fouronnais avaient été emprisonnés
à Tongres. J'ai eu le plaisir d'aller les chercher à la
sortie de la prison et de les ramener aux amis rassemblés
devant les locaux de l'Action fouronnaise.
La soirée électorale d'octobre 2000 fait
évidemment partie des mauvais souvenirs, même si,
à titre personnel, je savourais le fait d'avoir pu conserver
la majorité au C.P.A.S.
Je garde aussi d'excellents souvenirs des rencontres que j'ai pu
faire en étant le représentant de l'Action fouronnaise
à la Conférence des Peuples de Langue française
(à Liège, Bruxelles, Delémont, Aoste,
Québec, Caraquet, Paris, etc.) et à l'Association
Internationale pour la Défense des Langues et Cultures
menacées (à Klagenfurt, Huesca, Morlaix, Marseille,
Lyon, etc.).
Un autre bon souvenir, c'est la nuit de négociations autour de
la nomination de José Smeets comme bourgmestre, l'attente
ensuite à Val Duchesse avec le gouverneur Vandermeulen, en
sachant que le gouvernement belge était en réunion
à l'étage et, pour finir, la sortie du domaine devant
des journalistes, assez surpris, vers 7 heures du matin.
N.d.F.: Que voudriez-vous que le lecteur retienne de votre livre "Fourons - le symbole sacrifié"?
J-L.X: Je voulais documenter le combat que nous avons
mené, montrer ce que nous avons pu obtenir et dénoncer
les manuvres des adversaires.
Certaines de nos revendications ont donné lieu à des
concessions. La première concession a été faite
par le ministre Gilson lorsqu'il a dû soumettre une
deuxième fois son projet de loi au Sénat: il a
créé le poste de commissaire d'arrondissement-adjoint.
Il ne faut pas nous laisser berner maintenant par l'autorité
flamande qui ne nomme personne à ce poste important pour aider
la minorité francophone.
Plus tard, nous avons obtenu le droit de voter à Aubel pour
les élections législatives et européennes. Nous
avons aussi obtenu la disqualification de la députation
permanente du Limbourg, jugée trop partiale au plus haut
niveau, avec la création du collège des
gouverneurs.
Lorsque vous constatez que 10% des électeurs étrangers
susceptibles de voter s'inscrivent sur les listes d'électeurs
dans toutes les autres communes de Belgique et que ce pourcentage
passe à 80% aux Fourons, vous avez le droit de vous poser de
sérieuses questions.
Je voulais aussi rendre hommage à tous ces gens dont je
rappelle la contribution au combat. C'est pourquoi il y a un index
d'une dizaine de pages des personnes citées dans le livre.
Même si nous traversons une période pénible, le
combat n'est pas fini. Les Jurassiens nous ont montré
l'exemple en obtenant leur canton plus de 150 ans après le
Congrès de Vienne.
N.d.F.: Comment voyez-vous l'avenir de la langue et de la culture françaises à Fourons?
J-L.X: Les facilités linguistiques sont
bétonnées dans la Constitution. C'est ce que Dehaene
nous a garanti, mais il n'a pas garanti la qualité du
béton.
De toute façon, l'usage des langues est libre en Belgique. Ce
n'est qu'en matière administrative et judiciaire que la loi
peut en régler l'emploi, malgré les pressions diverses
sur les sociétés commerciales et autres.
Nous avons une école francophone et un centre sportif et
culturel qui fonctionnent bien. Nous continuerons à y
développer des activités en français, mais
ouvertes à tous.
La situation est plus pénible pour nos élus au Conseil
communal et au Conseil de l'action sociale. Une intervention en
français au conseil communal est considérée
comme un trouble à l'ordre public. Il faut espérer que
les démarches auprès d'instances internationales pour
la protection de minorités linguistiques porteront leurs
fruits à ce sujet.
N.d.F.: Et en Flandre?
J-L.X: Comme je l'ai dit, l'emploi des langues est libre en Belgique. Tous les Francophones de Flandre, et pas seulement ceux qui doivent bénéficier de protections légales (en matière administrative et judiciaire) doivent pouvoir continuer à s'exprimer en français ou dans toute autre langue que comprendraient leurs interlocuteurs.
propos recueillis par Anne-Françoise COUNET
(*)disponible sur amazon.fr (broché et Kindle) ou chez l'auteur: contact@jlxhonneux.be